L’été dernier, quelque 250 motards se sont réunis pour une protestation silencieuse au col du Gothard. Une semaine avant, une action similaire a eu lieu à Berne, devant le Palais fédéral. La raison? Les motards se sont notamment adressés à la conseillère nationale Gabriela Suter (PS) qui, en juin 2020, a déposé deux initiatives parlementaires visant à réduire le bruit routier, notamment celui émis par les deux-roues. Ainsi, elle propose une interdiction de circulation pour les motos émettant plus de 95 décibels, comme c’est déjà le cas au Tyrol, en Autriche.

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85% de réduction du bruit

Les mesures et les initiatives pour limiter le bruit routier se sont multipliées en Suisse ces dernières années. En cause, notamment, une meilleure connaissance des effets nocifs des nuisances sonores pour la santé (lire encadré). Depuis les années 2000, les communes et les cantons ont ainsi investi plus de 4 milliards de francs pour installer des murs antibruit ou d’autres mesures d’isolation acoustique. La preuve que le sujet est plus que jamais d’actualité: Gabriela Suter a déclaré avoir reçu des centaines de courriers encourageants à la suite de ses initiatives parlementaires.

Une des mesures phares pour lutter contre le bruit routier est l’assainissement des routes avec de l’asphalte – ou revêtement – phonoabsorbant. Il s’agit d’un asphalte poreux qui absorbe une partie du bruit provoqué par le contact entre les pneus d’un véhicule et la route.

Selon une étude de l’Office fédéral de l’environnement, les revêtements phonoabsorbants peuvent entraîner une réduction du bruit routier qui équivaut à une diminution de 85% du trafic. Ce matériau, utilisé depuis quinze ans environ, est posé sur des axes à forte circulation. Par exemple, le canton de Neuchâtel comptera d’ici à 2022 une cinquantaine de kilomètres de routes assainies – les plus fréquentées – sur un total de 450 kilomètres.

A Genève, c’est même plus de la moitié du réseau routier cantonal – 140 kilomètres sur 260 – qui sera dotée d’un revêtement phonoabsorbant. Actuellement, 90% de ces travaux d’assainissement ont été réalisés. Au total, le canton a ainsi investi environ 85 millions de francs afin de réduire le bruit pour les riverains des axes les plus fréquentés. Sept entreprises locales ont bénéficié de cet investissement important, dont Perrin Frères, qui se chargera notamment, au premier trimestre 2021, de l’assainissement de la route cantonale entre Versoix et Bellevue.

Selon Nils Rentsch, directeur général de la société, l’asphalte phonoabsorbant représente entre 5 et 10% de leur chiffre d’affaires annuel dans ce secteur d’activité. «Ce matériau demande moins de quantités qu’un revêtement standard, car une route assainie comporte une couche de 3 cm de revêtement phonoabsorbant qui est posé sur une autre couche de 20 à 25 cm d’asphalte standard», explique-t-il. Le potentiel pour l’entreprise se trouve davantage sur le long terme: «Une fois un revêtement phonoabsorbant posé, on ne revient plus en arrière, car les bénéfices pour les riverains sont considérables. Aussi, ce matériau a une longévité d’une dizaine d’années environ, après quoi les performances acoustiques diminuent fortement, ce qui implique des travaux de rénovation réguliers.»

Verbaliser les bruyants?

Une autre mesure proposée par Gabriela Suter consiste à créer un cadre juridique qui permette l’installation de radars antibruit. Comme un radar de contrôle de vitesse, ces appareils peuvent mesurer le bruit provoqué par un véhicule et envoyer les informations aux autorités afin qu’elles puissent verbaliser les responsables. Aujourd’hui, les forces de police sont seulement autorisées à faire des tests avec des véhicules à l’arrêt.

Cependant, des amplificateurs existent pour permettre d’avoir un son «normal» à l’arrêt, mais qui est amplifié une fois en route, ce qui provoque des bruits très gênants pour l’environnement. Pour lutter contre ce fléau, l’entreprise genevoise Securaxis est en train de développer un radar capable de détecter et de catégoriser les bruits envoyés par des véhicules. Le système fonctionne avec des capteurs et des algorithmes basés sur l’intelligence artificielle.

Glenn Meleder, CEO de Securaxis

© Christophe Senehi

La lutte contre les pollutions sonores fait partie des priorités des autorités en Europe.

 

«Pour l’instant, nous menons des expériences de prise de son, par exemple à Genève et à Fribourg, pour mieux comprendre le bruit routier. Nous pensons avoir un système performant et apte à être utilisé dans le cadre de verbalisations d’ici à deux ans, si une loi le permet», explique le CEO, Glenn Meleder. Actuellement, seuls des radars dits «éducatifs» sont autorisés: en juin, le TCS et le canton de Genève ont installé un tel appareil sur l’avenue de Wendt. Sur un écran s’affiche un «Merci» pour les usagers de la route dont la conduite ne provoque pas d’excès de bruit.

Selon Glenn Meleder, les radars antibruit pourraient même s’inscrire dans une stratégie plus globale de prise de conscience du bruit en ville: «Nous travaillons également sur des systèmes qui lient ces appareils à des lampadaires – l’intensité de la lumière la nuit pourrait ainsi être adaptée selon l’intensité du bruit venant du trafic. S’il est faible, cela voudrait dire qu’il n’y a pas ou très peu de passage à proximité du lampadaire, la lumière qu’il émet pourrait donc être réduite afin de faire des économies en énergie», ajoute-t-il. Securaxis compte actuellement une dizaine de salariés et anticipe de doubler son effectif d’ici à deux ans. «La lutte contre les pollutions sonores fait partie des priorités des autorités en Europe. Nous ciblons également la Grande-Bretagne, la France et la Scandinavie.»

Un atout touristique

La lutte contre le bruit et le silence qui en résulte peuvent également être des arguments touristiques, comme le remarque Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme: «La nature représente une des principales motivations de voyage en Suisse, quelle que soit l’origine des touristes. La méditation et la reconnexion avec la nature sont ainsi des arguments touristiques très actuels et le silence, ou du moins une absence de bruits perturbateurs, joue ici un rôle clé.» Elle cite plusieurs offres touristiques allant dans ce sens, comme une plateforme de réservation en ligne lancée en 2017 qui regroupe environ 300 chalets d’alpage. Ces établissements se trouvent à la montagne ou dans de petits hameaux et promettent une déconnexion du quotidien, certains n’ont même pas d’électricité ou d’eau courante. Selon Daniel Koller, CEO d’E-domizil, société zurichoise qui gère cette plateforme, environ 1000 réservations ont été faites en 2018, contre presque 2300 en 2020. «Le succès est énorme si l’on considère que la plateforme propose seulement des créneaux pour lesquels les propriétaires des chalets n’ont pas trouvé preneur eux-mêmes», dit-il. Il précise que ce sont de plus en plus de familles qui choisissent ce type de séjour.

En revanche, il voit aussi un effet lié à la pandémie de Covid-19: «Cette année, passer ses vacances dans un chalet d’alpage donnait la garantie de respecter la distanciation sociale.» Mais il ne croit pas à une tendance générale: «Ceux qui viennent en Suisse pour chercher du calme seront toujours une minorité, la majorité des voyageurs optera de nouveau pour des destinations exotiques dès que la situation le permettra.»


Le bruit nuit gravement à la santé

Dans l'UE, 12 000 décès et 48 000 maladies cardiovasculaires sont attribués aux nuisances sonores. 

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les nuisances sonores sont la deuxième cause de morbidité parmi les facteurs de risque environnementaux, derrière la pollution de l’air. En effet, chaque année, dans l’Union européenne, 12 000 décès et 48 000 maladies cardiovasculaires sont attribués aux bruits routiers et autres nuisances sonores, selon les chiffres de l’Agence européenne de l’environnement. Il ne s’agit pas d’effets directs sur l’audition, comme dans le cas d’un ouvrier lors de tâches bruyantes, par exemple, mais de bruits que l’on entend au quotidien, de manière régulière. Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), ils suscitent des réactions nerveuses et la sécrétion d’hormones du stress telles que l’adrénaline, la noradrénaline ou le cortisol. Les conséquences: troubles du sommeil, dépression ou encore maladies cardiaques.

L’OFEV note que, contrairement à une idée répandue, le corps humain ne s’habitue pas au bruit. En Suisse, une personne sur cinq est exposée à un bruit routier excessif à son domicile le jour, et une personne sur six la nuit. L’Office fédéral du développement territorial estime de son côté que les coûts qui en résultent s’élèvent à 1,5 milliard de francs par an et concernent à la fois la santé et la dépréciation de biens immobiliers.·