Parmi les quelque 6000 experts en «analyse du cycle de vie» que compte la planète, une entreprise a su se faire une place. La société lausannoise Quantis réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 10 millions de francs grâce à l’établissement de bilans environnementaux pour un portefeuille de près 500 clients, dont Nestlé, General Electric, Intel, Air France ou encore le canton de Vaud et la Commission européenne.
Lorsqu’ils ont démarré leur activité en 2006 sur le campus de l’EPFL, les fondateurs de Quantis avaient davantage un profil de scientifiques que de managers. «Le Laboratoire en écobilans de l’école devait fermer à la suite du départ de son directeur pour les Etats-Unis, explique Sébastien Humbert, un des premiers employés et actionnaires de l’entreprise. Les collègues de ce bureau ont alors imaginé créer une société pour poursuivre l’activité.» La PME n’a ensuite cessé de croître, au rythme de l’intérêt grandissant pour les bilans carbone.
Bureaux à Boston et à Paris
Sébastien Humbert, qui est aussi directeur scientifique de Quantis, se souvient de discussions inimaginables aujourd’hui. «En 2006, des clients que nous démarchions nous disaient: «Très bien, vous nous proposez un bilan carbone de notre activité, mais est-ce vraiment important de baisser ses émissions de CO2?» Aujourd’hui, la problématique du changement climatique est connue de tous. «Le film d’Al Gore Une vérité qui dérange, sorti en 2006, a mis en lumière l’impact écologique de l’économie.» Le marché de niche, constitué de quelques centres de recherche académiques et de bureaux, s’est mué en un secteur de l’écobilan beaucoup plus important et structuré. Les grands cabinets d’audit, tels que PwC ou Deloitte, ont étendu leurs activités à ce domaine.
Les clients historiques de Quantis se sont mis au fil des ans à dépenser davantage, avec des demandes plus régulières ou plus précises. «Ce sont les grandes entreprises qui commandent le plus, détaille Sébastien Humbert. D’une part, elles ont plus de moyens que les PME. D’autre part, elles sont sous le feu des projecteurs et subissent des pressions de la part du grand public et des ONG pour plus de durabilité.»
Pour répondre à cette demande croissante, le spin-off de l’EPFL a ouvert dès 2008 un bureau à Boston et un autre à Paris. «Des chercheurs souhaitant créer leurs entreprises nous ont également contactés. Ils ont finalement décidé de créer des extensions de Quantis dans leurs villes respectives, afin de profiter de notre expérience de «chercheurs-entrepreneurs». Nous avons ainsi ouvert une branche à Zurich avec des anciens du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (EMPA) et une autre au Canada. La première a bien fonctionné, mais la seconde a dû fermer.»
Depuis 2015, l’entreprise s’est également implantée à Bellinzone, à Berlin et à Milan. Cette expansion s’est aussi traduite par une augmentation d’environ 10% du nombre de collaborateurs par année. La société compte désormais quelque 70 employés en Suisse et 110 à l’étranger.
Big data et conseils stratégiques
L’approche scientifique reste fortement ancrée dans la culture de Quantis. «Nous apportons à nos clients des analyses solides sur l’impact écologique d’un produit, d’un service, d’un procédé ou d’une organisation tout entière, note Sébastien Humbert. Celles-ci vont au-delà des perceptions ou des idées communes.» Plus l’écobilan est précis, plus il intègre un nombre important de critères et de paramètres. Il étudiera par exemple un produit – de l’extraction des matières premières nécessaires à sa production jusqu’à son démantèlement –, en tenant compte de la pollution de l’eau, de l’air, de l’impact sur les écosystèmes, de la consommation d’eau, etc.
Depuis le milieu des années 2000, la méthode utilisée par Quantis n’a pas changé. «Nous calculons toujours de la même manière le bilan carbone d’une bouteille en plastique, d’un verre de Coca-Cola ou encore d’un aller-retour Paris-New York», souligne le directeur scientifique. Par contre, la quantité de données disponibles a été multipliée par dix. «Au départ, nous utilisions quelques informations disparates dans des publications scientifiques, tandis que, aujourd’hui, nous employons des logiciels pour traiter rapidement et précisément une énorme masse de données.»
La PME a également cherché à adapter son modèle d’affaires. Après avoir travaillé, au début des années 2010, sur un logiciel de calcul d’empreinte carbone, elle a changé de direction en 2015. «A la suite d’une période creuse en 2011 et en 2013, nous nous sommes recentrés sur nos activités de consulting et les avons développées. Nous livrons également à nos clients des conseils sur la manière d’intégrer le résultat de l’écobilan dans une stratégie en durabilité plus large et dans un plan de communication.»
«En 2006, le film d’Al Gore ‘Une vérité qui dérange’ a mis en lumière l’impact écologique de l’économie.»
Quantis aidera par exemple une entreprise qui commercialise un produit plus écologique à le faire savoir au consommateur. Ce nouveau type de mandats a permis à la PME de connaître une croissance de 10 à 20% de son chiffre d’affaires ces dernières années. Ses tarifs s’étendent de quelques milliers de francs pour une analyse ponctuelle à environ 200 000 francs pour l’accompagnement complet d’un nouveau produit. Travailler avec des multinationales dont le modèle d’affaires n’est pas entièrement durable, n’est-ce pas leur donner des excuses pour faire du «greenwashing»? Marc Münster, spécialiste romand de la formation en développement durable et directeur adjoint de la PME biennoise Sanu, réfute ces accusions d’«écoblanchiment».
«Bien sûr, il ne faut pas se montrer naïf, la stratégie de durabilité d’une grande entreprise n’est jamais parfaite. Toutefois, le fait qu’elle met le pied à l’étrier est toujours positif. En décidant de rendre plus durable ne serait-ce qu’un petit élément, elle s’affiche ensuite comme une société plus verte. Elle attire sur elle l’attention du grand public, elle enclenche aussi des débats à l’interne. C’est un processus qu’elle ne peut plus arrêter ensuite.»
Une solide réputation à l’étranger
Pour Eric Mieras, directeur de l’entreprise néerlandaise PRé, qui réalise aussi des écobilans et commercialise un logiciel spécialisé dans ce domaine, Quantis tire son épingle du jeu en raison de sa capacité à vulgariser les résultats scientifiques. «Elle est particulièrement bien implantée aux Etats-Unis, en France et en Suisse, relève le spécialiste en analyses de cycle de vie. Elle y a développé une réputation de confiance et de transparence, car elle base son analyse sur une méthodologie scientifique.»
Les concurrents de Quantis sont des PME (comme ESU-Services et Treeze en Suisse alémanique ou PRé à l’international), mais aussi des centres académiques ou de grands cabinets de conseil et d’audit internationaux. «Contrairement aux géants du conseil, des entreprises telles que Quantis ou la nôtre sont entièrement dédiées au développement durable, explique Eric Mieras. Nous partageons des valeurs qui vont au-delà des préoccupations pécuniaires.»
Quantis, qui ne s’appuie pas sur des financements externes – presque tous ses actionnaires travaillent ou ont travaillé dans l’entreprise –, vise une croissance organique, basée sur les demandes de sa clientèle. Elle n’exclut pas l’ouverture prochaine de nouvelles branches à l’étranger.