Dès janvier 2020, de nouvelles règles, plus strictes, vont entrer en vigueur pour lutter contre la surchauffe dans l’immobilier de rendement (25% de fonds propres contre 10% actuellement; amortissement d’un tiers de la dette sur dix ans au lieu de quinze actuellement). Cette décision ulcère Alexandre Uldry, 28 ans, spécialiste de l’immobilier depuis dix ans, qui investit à travers sa holding TGAU dans l’immobilier résidentiel et industriel dans neuf cantons, principalement dans les zones délaissées par les investisseurs classiques.

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En quoi ces mesures, proposées par l’Association suisse des banquiers (ASB) et acceptées par la Finma, vous dérangent-elles?

Il faut d’abord préciser que l’ASB a émis ces propositions sur pression de la Finma qui, en avril dernier, a menacé de faire intervenir le Conseil fédéral par ordonnance pour donner un tour de vis si les acteurs du marché n’agissaient pas eux-mêmes. C’est donc contrainte et forcée que l’ASB est intervenue, ce qui signifie que la responsabilité de ces mesures incombe clairement à la Finma.

Observant une tendance à la surchauffe dans le domaine des immeubles de rendement, la Finma remplit son rôle en intervenant pour que les banques prennent moins de risques, non?

Les banques ont appris de la crise des années 1980. Elles ne sont pas en train de commettre à nouveau les mêmes erreurs. Régulièrement en contact avec elles, je n’ai jamais pu observer un cas de figure où elles se contentent de 10% de fonds propres. Pour obtenir un financement hypothécaire avec 80% de taux d’avance, l’immeuble doit être autoportant, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir supporter les charges théoriques imposées par la Finma (5% d’intérêt hypothécaire, 1% de charges d’entretien et 1% d’amortissement) uniquement avec les loyers qu’il génère. Si ce n’est pas le cas, l’établissement bancaire va réduire le taux d’avance en dessous de 80% ou demander le nantissement d’avoirs correspondant à la différence entre l’état locatif encaissé et les charges théoriques sur une durée de trois ans. Par ailleurs, il faut aussi souligner que les sociétés privées qui, comme les miennes, s’endettent pour acheter des immeubles de rendement le font avec leur propre argent. Autrement dit, si le marché s’inverse, je vais moi-même en sentir les effets négatifs.

Vous affirmez donc que la décision de la Finma n’était pas nécessaire parce que le marché se régule déjà tout seul.

La décision de la Finma passe à côté de la cible. La surchauffe actuelle est essentiellement provoquée par les caisses de pension. Aujourd’hui, elles sont prêtes à se contenter de rendements qu’il faut bien qualifier de ridicules et dangereux. Historiquement, les caisses de pension investissaient à un rendement d’au minimum 5%. Aujourd’hui, elles achètent des immeubles à des rendements entre 2,5% et 3,25%. De facto, elles sont prêtes à tout pour utiliser leurs liquidités plutôt que de payer les intérêts négatifs imposés par la BNS. Les conséquences sur les prix de l’immobilier sont dramatiques.

En quoi?

Prenez l’exemple d’un immeuble de 50 appartements à Lausanne avec un loyer de 2000 francs net par mois en moyenne. Ce bien rapporte 1,2 million de francs par année de loyers. Par le passé, une caisse de pension aurait été prête à payer environ 24 millions de francs cet immeuble lausannois, de sorte à obtenir un rendement de 5% net sur son investissement. Aujourd’hui, les caisses de pension se battent pour payer ce même immeuble 35 millions de francs, voire davantage, parce qu’elles acceptent des rendements très faibles qui sont de véritables bombes à retardement.

Les caisses de pension jouent avec l'argent de tous les salariés qui cotisent au 2e pilier.

Raison pour laquelle la Finma est intervenue…

Oui, sauf que les mesures prises n’auront aucun impact sur les caisses de pension puisque ces dernières n’empruntent pas pour investir dans l’immobilier. Elles utilisent leurs fonds propres. Il serait d’ailleurs plus exact de dire qu’elles investissent l’argent des autres. Votre argent. Mon argent. L’argent de tous les salariés qui cotisent au 2e pilier. Contrairement aux privés, qui investissent vraiment leur propre argent, les caisses de pension jouent avec l’argent des autres.

En quoi est-ce une bombe à retardement?

Nous n’allons pas vivre éternellement sous le régime des taux négatifs. Personne ne les voit remonter aujourd’hui, mais d’ici cinq à dix ans, c’est le scénario le plus vraisemblable. Lorsque les taux remonteront, le prix des immeubles va logiquement baisser et les caisses de pension vont devoir corriger vers le bas la valeur de leur patrimoine immobilier. Il faut s’attendre à des pertes de plusieurs centaines de millions. Cet argent qui s’envolera sera de l’argent en moins pour payer les pensions des retraités. Les caisses de pension feront du lobbying à Berne pour changer la loi et abaisser le taux de conversion du 2e pilier. Les dirigeants actuels des caisses de pension ne seront plus là pour assumer les conséquences de leurs achats débridés. Ce sont vos lecteurs, c’est vous et moi qui payeront les pots cassés. La décision de la Finma va donc à l’encontre des intérêts des habitants de ce pays.

N’êtes-vous pas au fond mécontent avec une décision qui aura un impact négatif sur vos affaires?

Cette décision ne va certes pas favoriser nos investissements parce que nous allons devoir immobiliser davantage de fonds propres à l’avenir, mais je peux parfaitement m’accommoder de cette situation. Là n’est pas l’essentiel. Il y a longtemps que la Finma se trompe de cible et prend des mesures qui vont à l’encontre du bon sens.

A quelle décision faites-vous allusion?

Il faut 20% de fonds propres pour acquérir son propre logement. En 2012, la Finma a décidé de limiter l’utilisation du 2e pilier à 10% du prix du bien. Cette décision a eu pour conséquence de sortir du jeu des dizaines de milliers de personnes, incapables d’économiser les montants nécessaires. Les promoteurs ont adapté leur stratégie en conséquence. Des immeubles destinés au marché de la PPE ont été reconditionnés au marché locatif et les caisses de pension les ont achetés. Aujourd’hui, dans certaines régions comme Lausanne, le déséquilibre est flagrant: d’année en année, on constate une augmentation importante de logements locatifs neufs qui déstabilisent le marché. En conséquence, les vacants augmentent, les loyers baissent et les caisses de pension souffrent. L’Arc lémanique, zone longtemps considérée par les investisseurs comme sans risque, devient problématique. C’est un scénario totalement inédit.

On est toujours plus malin après. Quelle solution prônez-vous?

Il existe dans notre Constitution un article qui prévoit que la Confédération prenne les mesures nécessaires pour favoriser l’accession à la propriété. Les mesures actuelles sont une hypocrisie car elles empêchent l’accession à la propriété. Pourtant, les taux hypothécaires historiquement bas sont une aubaine pour favoriser l’accès au logement! Il faudrait donc revenir en arrière et autoriser à nouveau l’utilisation de 20% issus du 2e pilier pour les fonds propres. La Finma pourrait imposer des critères très stricts pour éviter les dérives, comme l’amortissement obligatoire sur une durée très courte, même au-delà du deuxième rang, avec un taux bloqué sur la tranche à amortir. On devrait se souvenir que l’amortissement n’est pas une charge, mais un enrichissement! Un propriétaire qui amortit correctement sa dette aura la chance, à l’âge de la retraite, de posséder un patrimoine. On ne peut pas en dire autant d’un locataire.

Et pour les caisses de pension, quelle solution prônez-vous?

Imposer un plancher de rendement en dessous duquel les caisses de pension n’ont pas le droit d’acheter. Ce plancher pourrait être fixé à 4% en fonction du niveau actuel des taux négatifs de la BNS. Et il faudrait le remonter proportionnellement dès que les taux d’intérêt remonteront. Je vous promets qu’une telle mesure aurait pour conséquence immédiate de calmer le marché, avec parallèlement pour effet positif immédiat de protéger l’argent des retraités, ce qui devrait quand même être aussi une préoccupation des autorités de régulation.