Quelle chance vous avez, votre patron vous paie vos primes d’assurance maladie. Certes, en partie, seulement. Mais face à une dépense difficilement compressible et qui ne cesse d’augmenter, année après année, comment faire la fine bouche face à ce qui apparaît comme un avantage réel par rapport à la plupart des habitants de la douce Helvétie?
Elles sont pourtant des centaines, ces entreprises qui assument en partie ou toute la prise en charge des primes dues aux caisses maladie de leurs salariés. Cette prestation est à différencier de la prise en charge de l’assurance perte de gain en cas de maladie ou d’accident, à laquelle tous les employeurs sont soumis, de façon paritaire avec leurs salariés. La prise en charge des primes de l’assurance maladie résulte d’autres logiques: celle du résultat des négociations avec les organisations de salariés ou, plus rarement, des offres à bien plaire d’employeurs envers certaines catégories de leurs employés, qu’ils soient expatriés, cadres ou spécialistes pointus.
Nestlé et Philipp Morris ont inclus cette prestation dans leurs prestations d’employeurs. La première offre entre 200 francs et 235 francs par mois à ses salariés en Suisse, les variations tarifaires dépendant des différentes régions du pays. Le nombre de personnes concernées s’élève à 9000, selon le syndicat Unia, signataire de conventions collectives avec Nestlé. De son côté, le cigarettier offre 100 francs par mois depuis 2015 à 800 salariés employés par sa filiale Philipp Morris Products, toujours selon Unia. Cette prestation est incluse dans la convention collective de travail.
L’horlogerie dans son ensemble a également inclus la prise en charge d’une partie de la prime maladie dans sa CCT. Elle verse 175 francs par mois à chacun de ses salariés, selon la Convention patronale de l’horlogerie. Cette disposition concerne quelque 40 000 personnes réparties dans près de 500 entreprises. Enfin, des entreprises internationales offrent ce paquet à certains de leurs salariés, en particulier les expatriés. Néanmoins, aucune donnée centralisée ne permet d’en établir le chiffre exact, et encore moins le nombre de personnes concernées.
Pour leurs parts, ni l’Office fédéral de la santé publique, chargé de la surveillance de l’assurance maladie de base, ni l’Office fédéral de la statistique ne possèdent de renseignements. En clair, la Confédération ne montre aucun intérêt pour le geste de ces entreprises envers certains de leurs salariés. La prise en charge des primes d’assurance maladie de base, pourtant obligatoires pour toute personne domiciliée en Suisse, est considérée par l’administration comme ressortant purement de la sphère privée des entreprises et des corps de métier.
Attirer les employés qualifiés
Aussi, qu’est-ce qui incite les employeurs à faire un tel cadeau à leurs employés? Les raisons sont naturellement multiples. Mais celle qui est la plus fréquemment invoquée est celle d’accroître la capacité des entreprises à mieux se profiler. Dans un marché du travail qui se durcit (avec un taux de chômage au plancher, des entreprises qui annoncent vouloir embaucher encore, dans leur majorité, et des conditions d’immigration moins faciles), les prestations en nature peuvent compléter les prestations salariales pour les entreprises qui cherchent à attirer les employés les plus qualifiés.
Cet avantage permet aux entreprises de se qualifier sur un marché du travail qui se durcit.
«Cet avantage permet aux entreprises de se qualifier sur le marché du travail, expose François Matile, secrétaire général de la Convention patronale de l’industrie horlogère à La Chaux-de-Fonds. Le montant offert pour la prime d’assurance maladie peut être un élément d’attractivité pour les travailleurs provenant d’autres secteurs.» Il est à noter que le salaire médian de l’industrie horlogère est inférieur, avec 5500 francs bruts mensuels, à la moyenne suisse, qui est de 6502 francs.
La convention collective de travail de l’horlogerie prévoit que la prise en charge par les entreprises des primes d’assurance maladie revête la forme d’un versement mensuel de 175 francs par salarié. Ce versement est opéré en plus du salaire, dont il est un complément, et est soumis, comme tel, aux retenues habituelles: AVS, prévoyance, assurance chômage, assurance perte de gain, etc. Il est aussi versé aux employés frontaliers, même s’ils ne sont pas soumis à l’obligation de s’assurer, puisqu’ils sont aussi soumis à la convention collective.
«Les salariés emploient naturellement cette contribution comme ils l’entendent, puisqu’elle est versée en complément du salaire», poursuit François Matile, qui précise qu’aucun contrôle n’est exercé. Il n’en a toutefois pas toujours été ainsi. Cette disposition est apparue dans le courant des années 60, alors que l’assurance maladie n’était pas obligatoire (elle l’est devenue en 1994 lors de l’entrée en vigueur de la loi sur l’assurance maladie, la LAMal). L’objectif patronal de cette époque était d’encourager les salariés à s’assurer, une mesure destinée tout autant à garantir un bon état de santé des employés qu’à faciliter les embauches de travailleurs qualifiés à une époque de haute conjoncture. La contribution patronale s’élevait à 15 francs par mois et n’était versée que contre la présentation par l’employé d’une attestation d’assurance.
Des contrats collectifs
L’évolution des montants n’a évidemment pas suivi celle des cotisations d’assurance. Elle a été adaptée au fil des négociations paritaires visant le renouvellement de la CCT, un exercice répété tous les cinq ans. Le montant actuel, qui correspond grosso modo à un peu moins de la moitié du montant de la prime mensuelle moyenne telle que calculée par l’Office fédéral de la statistique, a été déterminé lors de la dernière négociation en 2016. Elle a été revalorisée de 15 francs par rapport à la contribution précédente.
La mesure coûte quelque 110 millions de francs par an aux 491 entreprises de la branche. L’employeur le plus important, Swatch, qui occupe 17 000 personnes, reconnaît qu’elle lui revient à quelque 35 millions de francs par an. Rapportée aux 2,34 milliards de francs que lui ont coûté en 2017 les salaires et autres charges de personnel, la contribution à l’assurance maladie est une part très modeste (1,5% environ). Chez Nestlé, la démarche a été similaire: la contribution existe «depuis plus de vingt ans pour aider les employés à financer leurs dépenses de santé. Ce montant peut être utilisé librement par les employés», explique le service de presse du groupe basé à Vevey.
Il peut aussi arriver que des caisses maladie proposent aux entreprises de prendre elles-mêmes en charge les primes de certains de leurs salariés. C’est notamment le cas de la CPT, qui propose un «Suisse International Healthcare Plan» (sic) en collaboration avec le géant allemand Allianz. «L’employeur décide si les employés paient l’intégralité des primes, une partie ou rien du tout», explique le service de presse de la caisse maladie. Les clients sont, toujours d’après le service de presse, «plutôt des entreprises suisses avec des employés détachés vivant à l’étranger». Ces prestations leur permettent de «garantir l’égalité de traitement de leurs employés dans le monde entier».
Flou statistique
Certaines entreprises voient dans ces formules de prise en charge un autre argument pour renforcer leur attractivité: celui de les coupler avec des assurances collectives. C’est le cas de Philipp Morris, dont la CCT inclut une assurance collective couvrant les prestations de base et les complémentaires. La prise en charge partielle n’est allouée qu’aux salariés qui y souscrivent. La CPT avance l’argument de l’encaissement collectif des primes: l’entreprise conclut un contrat collectif avec la caisse et peut en retirer des avantages pour les prestations complémentaires. La prise en charge des primes d’assurance maladie, ce n’est donc pas qu’un avantage pour les employés et leurs employeurs. Cela peut aussi représenter une source d’activité supplémentaire pour les caisses maladie.
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