Face aux multiples événements mondiaux survenus en 2018 qui ont pénalisé les investissements classiques (Brexit, guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, Venezuela, politique monétaire de la Fed…), l’année financière 2019 pourrait être celle de changements de paradigmes importants dans la gestion de son portefeuille. Faut-il pour autant tout changer, tout révolutionner et nettoyer totalement son portefeuille? Les analystes interrogés préfèrent parler de réflexions à avoir et de nouveautés à privilégier.
Saxo Bank, très connue pour la publication chaque année de ses «prédictions chocs», et son économiste en chef, Steen Jakobsen, donnent le ton de notre dossier: «Tous les indicateurs confirment cette impression de bouleversement. Nous estimons que 2019 devrait être une année charnière qui permettra de passer à autre chose. Nous sommes allés au bout de la démarche d’accumulation des dettes et nous allons commencer à payer le prix fort de nos erreurs à partir de cette année.» Et de poursuivre, plus philosophe: «Nous pourrions enfin assister à un virage vers une société plus saine, moins endettée, moins axée sur les gains et la croissance à court terme, davantage intéressée par la productivité.»
Selon l’analyste de Swissquote Vincent Mivelaz, «le grand marché haussier» est menacé et les investisseurs doivent dès lors adopter un nouveau point de vue. «Maintenant que le record de la plus longue période haussière jamais observée sur les marchés a été atteint, la croissance économique ralentira, les prévisions de hausses de taux occuperont le devant de la scène et l’endettement massif pèsera sur la confiance des investisseurs. Des nuages sombres vont donc se profiler au-dessus du marché mondial haussier. Il est temps pour les investisseurs d’envisager des scénarios alternatifs concernant le marché des actions, qui continue inlassablement sa montée.»
En partant du principe que les grands changements sont effectivement en cours, voici quelques thématiques d’investissement pour 2019, proposées par nos experts. Pour varier vos allocations, si l’envie vous en prend.
La monnaie en berne?
Pour Valentin Bissat, économiste stratégiste à la banque Mirabaud Asset Management, les possibilités de réorientation en matière de devises ne sont pas à négliger. Il fait le tour des marchés monétaires, et certains filons seraient à exploiter. «Nous prévoyons en préambule une légère dépréciation du dollar contre les principales monnaies des pays émergents et développés. La baisse des incertitudes commerciales devrait agir en défaveur du dollar, la monnaie refuge offrant les rendements les plus élevés actuellement.
Nous pourrions enfin assister à un virage vers une société plus saine, moins endettée.
A court terme, l’environnement économique et politique défavorable en Europe devrait cependant limiter l’appréciation de l’euro. A moyen terme, une amélioration des surprises économiques pourrait amener une appréciation de l’euro.» Enfin, compte tenu des coûts de couverture très élevés du dollar contre le franc suisse et l’euro, la banque Mirabaud privilégie de limiter les couvertures de change sur ces monnaies.
L’année des énergies durables?
Si 2019 devait être une année avec une thématique, ce serait évidemment celle liée aux énergies. Cette industrie est omniprésente dans les manifestations, les discours des politiques et de plus en plus dans… les portefeuilles d’investissement. «Si l’énergie durable ne date pas d’hier, elle profite aujourd’hui de la croissance des investissements dans les technologies servant à fabriquer les panneaux solaires, les éoliennes et à transformer les déchets en énergie», résume Vincent Mivelaz, de Swissquote.
«Dans le monde, les investissements dans les énergies propres ont atteint 333,5 milliards de dollars en 2017, soit une hausse de 3% par rapport à l’année précédente. Alors que le secteur de l’énergie éolienne a enregistré une consolidation qui a donné lieu à une concurrence féroce sur les prix, l’énergie solaire a affiché la dynamique la plus importante, attirant à elle seule près de la moitié des investissements. Fait peu surprenant, c’est la Chine qui se classe en tête au niveau des investissements (132,6 milliards de dollars), suivie des Etats-Unis (56,9 milliards de dollars) et de l’Europe (57,4 milliards de dollars).»
Le discours de l’analyste est ensuite empreint de modernité: «Vous pensez qu’il est temps que le monde change de paradigme et adopte un mode de vie plus écologique pour lutter contre le changement climatique? Alors, ce thème est pour vous!» Le changement, c’est maintenant, donc… Afin de se positionner adéquatement, il faut savoir que ce thème offre une exposition aux entreprises actives en général dans le secteur des énergies propres, qui regroupe les producteurs d’énergie solaire, éolienne, géothermique, hydroélectrique et à partir de déchets, ainsi que les fabricants d’éoliennes et de modules solaires. Les entreprises sélectionnées sont actives dans le monde entier. A vous de faire votre choix. A long terme, évidemment.
C’est l’année du cochon!
S’il est aisé de recommander des titres ou des placements en Europe ou en Suisse, les marchés plus lointains semblent moins faciles d’accès. Pourtant, en 2019, un pays semble d’actualité pour ceux qui souhaitent enrichir leur portefeuille personnel. Il s’agit de la Chine. Selon notre experte Jian Shi Cortesi, gérante stratégie actions chinoises et asiatiques chez GAM Investments, les titres chinois pourraient être haussiers comme en 2007! Et les arguments avancés sont des plus étonnants, mais non sans intérêt dans une année si incertaine.
«Pour les Chinois, l’année du cochon a commencé le 5 février 2019. Les données historiques montrent que la performance moyenne des valeurs mobilières au cours des années placées sous le signe du cochon a tendance à être plutôt bonne. La dernière fois, c’était en 2007, année au cours de laquelle l’indice MSCI China a progressé de 66,6%, tandis que l’indice Shanghai Composite gagnait 98,0%», se remémore notre analyste qui va beaucoup plus loin dans son analyse pour 2019. «Après le pic de janvier 2018 et la correction qui a suivi de plus de 30%, je crois que beaucoup de facteurs négatifs sont d’ores et déjà connus et intégrés aux prix des titres chinois. Les valorisations sont descendues à des niveaux extrêmement bas. Par ailleurs, le gouvernement s’est mis à soutenir plus activement l’économie.»
Serait-ce alors une opportunité pour les investisseurs suisses de tenter l’aventure chinoise et, si oui, dans quels secteurs? Là encore, Jian Shi Cortesi se lance: «La probabilité que 2019 soit une année tout à fait respectable pour les actions chinoises est très élevée. Je privilégie la consommation et les technologies en Chine, car la transition du pays vers une économie axée sur ces secteurs va leur profiter à brève échéance. A mon avis, le moment pourrait être bien choisi pour se lancer dans une chasse aux bonnes affaires, notamment dans l’univers de l’internet et dans l’industrie automobile.»
Le come-back des obligations?
Elles sont maltraitées et mal nommées depuis plusieurs années. Mais 2019 pourrait être l’année du come-back de certaines obligations. Benjamin Melman, responsable de l’allocation des actifs chez Edmond de Rothschild Asset Management, y voit un nouvel élan. «Même si ce facteur sera beaucoup moins pénalisant en 2019, le reflux des liquidités des banques centrales a plus de chances d’impacter davantage les obligations d’entreprises et la dette émergente. Historiquement, dans les phases de cycle mature, les obligations d’entreprises sont le plus souvent moins performantes que les actions, à risque ajusté. Les obligations devraient mieux diversifier les risques qu’en 2018. Nous conservons ainsi nos investissements en obligations souveraines portugaises et grecques. Ces deux marchés obligataires bénéficient de facteurs de soutien qui justifient leur place dans une allocation obligataire.»
L’investissement social est-il prêt?
L’investissement socialement responsable (dit ISR), également appelé investissement éthique, vise à concilier performance économique et bien social. Il est reconnu depuis plusieurs années, mais les récents mois (incertains) pourraient le booster. Selon Nicolas Pelletier, stratégiste à la banque Reyl, nous assistons à l’émergence d’une forme d’investissement novatrice: l’investissement à impact social. «Il s’agit d’investir dans des entreprises ou des fonds communs de placement avec l’intention de générer un impact social ou environnemental positif assorti d’un rendement financier. Ce type d’investissement peut s’appuyer sur différentes classes d’actifs, telles que les actions, les obligations, la microfinance et le private equity», résume-t-il.
La Suisse deviendra l’une des figures de proue de l’investissement à impact social dans les années à venir.
«La Suisse est le cœur d’une importante communauté prônant l’investissement socialement responsable et Genève l’un des pôles majeurs de l’investissement à impact social. La ville abrite un véritable écosystème autour de l’ISR: siège européen des Nations unies, organisations internationales spécialisées, ONG, fondations, acteurs de la microfinance et de l’investissement à impact social, banques privées, gérants de fortune et investisseurs institutionnels. La Suisse deviendra non seulement l’une des forces motrices, mais également l’une des figures de proue de l’investissement à impact social dans les années à venir», prédit l’analyste.
L’heure de l’or a-t-elle sonné?
Comment ne pas penser à l’or lorsque les fondamentaux financiers semblent si hésitants? Il faut savoir que l’once d’or s’échangeait en février à plus de 1300 dollars, en croissance de 3% en janvier. Cette hausse ne s’explique pas seulement par une augmentation du risque de récession, mais surtout par la faiblesse du dollar et par la baisse des taux d’intérêt réels. «Par ailleurs, la demande d’or a fortement augmenté de la part des banques centrales des pays émergents. En effet, ces dernières ont profité de la stabilisation de leurs monnaies et de l’amélioration de leurs fondamentaux pour reconstituer leurs stocks», nous explique Valentin Bissat de Mirabaud Asset Management.
Qui conclut sous forme de conseil: «La demande supplémentaire en provenance de Chine durant la période du Nouvel An chinois peut également expliquer une partie de l’augmentation de la demande. L’environnement actuel ne plaide plus en faveur d’une sous-pondération de cette classe d’actifs.»
Qu’attendre des marchés en 2019?
A la mi-février, nous avons demandé à Valentin Bissat, économiste stratégiste senior chez Mirabaud Asset Management, ce que pourraient nous proposer les marchés en 2019 à la suite des premières semaines d’échanges. «Les performances de janvier 2019 ont été diamétralement opposées à celles de décembre. Les principales classes d’actifs ont réalisé une performance positive grâce à un message beaucoup plus accommodant de la Réserve fédérale, un ton plus rassurant sur le front commercial et l’impact limité de l’arrêt des activités gouvernementales aux Etats-Unis sur la croissance», positive-t-il.
De facto, en janvier, les actions mondiales ont augmenté de 8% en moyenne avec une surperformance des titres cycliques, des petites et moyennes capitalisations, et des marchés émergents. La hausse des prix du pétrole (+18%) et des métaux industriels (+8%) a soutenu le secteur de l’énergie et le secteur industriel, les deux meilleurs secteurs sur le mois.
En ce qui concerne les possibilités d’investissement, l’analyste détaille: «Nous proposons une surpondération des actions émergentes, une sous-pondération des actions européennes et le retour d’un positionnement neutre sur les actions américaines. En revanche, nous voyons une surpondération des actions à haut dividende en Europe.»
Faut-il miser sur les actions suisses en 2019?
Les titres suisses ont été malmenés l’an dernier. Plusieurs analystes nous livrent leurs conseils et des noms d’entreprises à suivre.
Le marché suisse des actions est-il en soi si particulier, évoluant en dehors des sentiers battus de la finance mondiale? Evidemment non. Il est aussi influencé par les soubresauts mondiaux et les évolutions des autres bourses. Il n’en demeure pas moins un vecteur d’investissement intéressant. En 2018, la société morgienne Investment by Objectives (IBO) a d’ailleurs analysé les résultats de la gestion privée suisse. Ce sont plus de 10 000 portefeuilles, totalisant quelque 25 milliards de francs, qui ont été comparés et regroupés en plusieurs profils de risque et monnaies de référence.
Pour les portefeuilles basés en francs suisses, les performances moyennes en 2018 des trois profils principaux sont parlantes. Pour les risques faibles, le recul est de -5,79%, il est ensuite de -8,08% pour les risques moyens, puis de -10,36% pour les risques élevés. On apprend en outre que durant le premier mois de l’année 2019, un net rebond s’est fait connaître, avec des performances respectives pour les trois profils de +2,74%, +3,86% et +5,71%. Serait-ce un indice sur l’année à venir? Nous avons interrogé plusieurs analystes de référence afin qu’ils nous donnent des conseils et des avis. Voici le résumé de leurs sentiments.
Adrian Schönauer, Geneva Swiss Bank
«Notre analyse du marché suisse en 2018 et les perspectives pour l’année en cours en ce début 2019 nous permettent de donner quelques conseils aux investisseurs potentiels et de mettre en avant quelques titres intéressants, a expliqué d’entrée Adrian Schönauer, le CIO de Geneva Swiss Bank. Nous recommandons ainsi, d’une manière générale, presque toutes les petites et moyennes capitalisations qui ont souffert l’année dernière, comme AMS, Georg Fischer, EMS Chemie, Bobst ou Bossard, et qui bénéficient toujours de solides rentrées d’argent, ainsi que Credit Suisse et UBS, car elles semblent vraiment sous-estimées malgré de meilleurs revenus. Toutes ces sociétés se présentent comme des opportunités à fort potentiel.»
Mark Hänni, Vontobel Asset Management
Mark Hänni, responsable des études sur les actions suisses pour Vontobel Asset Management, donne d’autres pistes: «Nous restons prudents quant aux perspectives de marché pour les mois à venir. Les incertitudes géopolitiques et macroéconomiques restent élevées, ce qui est synonyme d’environnement difficile pour de nombreuses entreprises suisses en raison de leur forte dépendance vis-à-vis des exportations.»
Cet avertissement donné, l’analyste livre son avis sur le marché suisse. «En ce qui concerne les valorisations des actions suisses, la situation est inégale. Sur la base de leur ratio cours/bénéfices, les blue chips se négocient actuellement avec une prime d’environ 5% seulement par rapport à leur moyenne historique sur 15 ans, tandis que la prime pour les petites et moyennes valeurs reste plus élevée.
En revanche, si l’on part du ratio cours/valeur comptable, la situation paraît beaucoup plus intéressante. A notre avis, dans cet environnement difficile, la qualité du portefeuille joue un rôle particulièrement important. Au sein de notre fonds par exemple, nous continuons donc de nous concentrer sur un mix d’actions de qualité défensives et cycliques.»
Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand
Emmanuel Ferry est le directeur des investissements de la Banque Pâris Bertrand. Il fait une analyse des plus intéressantes. «Dans ce qui restera d’ores et déjà comme une des pires années de la décennie pour les marchés, les actions suisses affichent une performance 2018 en demi-teinte. L’indice SPI a certes retrouvé son statut de marché refuge en Europe, avec une surperformance de presque 5% par rapport au MSCI Europe converti en francs suisses (-8,6% contre -13,5%), mais ce constat positif doit être nuancé car l’indice suisse ne parvient pas à faire beaucoup mieux que les -9,0% des actions mondiales. Et surtout, la bonne performance des trois champions nationaux – Roche, Novartis et Nestlé, qui représentent la moitié de la pondération du SPI – ne fait que masquer une dure réalité, à savoir que près de la moitié des sociétés constituant l’indice affichent une perte supérieure à -20% en 2018!»
Selon lui, après la chute de 2018, la valorisation relative est revenue sur sa moyenne de long terme et le segment des petites et moyennes capitalisations commence donc à regagner une certaine attractivité. Et l’expert de donner un dernier conseil. «Les actions suisses ont un rôle important à jouer dans les portefeuilles.
A court terme, il convient d’augmenter l’exposition aux grandes capitalisations afin de profiter de leur caractère défensif, tout en conservant une allocation dans l’univers plus risqué mais plus prometteur des petites et moyennes capitalisations.»
Investir dans une PME, c’est aussi possible
Les nouvelles technologies permettent d’investir plus facilement. Dernier exemple en date: les plateformes de crowdlending.
Les nouvelles technologies permettent d’investir plus facilement en Suisse dans des domaines jusqu’ici quelque peu oubliés. Comme les plateformes de crowdlending, qui offrent une multiplicité de nouvelles possibilités. Ce sont surtout les petites et moyennes entreprises qui concluent des crédits par le biais de ces plateformes de crédit en ligne.
En Suisse romande, un acteur important a vu le jour l’année dernière dans ce domaine. Il s’agit de Lendico. La filiale de PostFinance met ainsi directement en contact des PME et des investisseurs via sa plateforme en ligne. Les crédits proposés sont des prêts sans vérification de garantie, qui s’échelonnent de 10 000 à 500 000 francs et dont la durée peut aller jusqu’à cinq ans. Les entreprises profitent de conditions avantageuses, mais surtout de la rapidité d’examen de leur demande de crédit, qu’elles peuvent lui soumettre gratuitement. Dans les 48 heures suivant la transmission de leur dossier complet, elles sont informées de la décision de crédit.
Démocratisation bienvenue
«Ce lancement sur le marché romand couvre les besoins de financement des PME au niveau local tout en leur apportant une qualité de service efficace grâce à notre réactivité et à la simplicité de nos processus. Lendico permet aux petites et moyennes entreprises de se doter de la sécurité de planification dont elles ont tant besoin», explique Myriam Reinle, la directrice. L’outil offre la possibilité à chaque investisseur de se constituer un portefeuille sur mesure à partir de divers projets de crédit qui étaient jusque-là exclusivement réservés aux banques et aux investisseurs institutionnels.
Une démocratisation bienvenue pour les PME et les investisseurs individuels qui semblent très demandeurs. Selon l’étude annuelle de l’Institut für Finanzdienstleistungen (IFZ), le crowdfunding a crû de 192% en 2017 par rapport à l’année précédente, pour atteindre un montant de 374,5 millions de francs. C’est le crowdinvesting qui a enregistré le bond le plus fort, avec +245% à 135,2 millions, suivi de près par le crowdlending (+239% à 186,7 millions). Ces sommes se répartissent sur 43 plateformes actives en Suisse à la fin d’avril 2018. Elément intéressant, ce sont souvent des anciens cadres de grandes banques qui se retrouvent dirigeants de ces plateformes.