Chaque année, rien qu’en Europe, les accidents de voiture, de travail ou domestiques provoquent environ 6000 brûlures vraiment graves. Pour les personnes touchées – si elles survivent –, rien n’est plus comme avant. Elles souffrent de douleurs chroniques et doivent subir régulièrement des interventions chirurgicales.

Aux dommages physiques s’ajoutent les dommages psychologiques et sociaux. Des études montrent que les personnes ayant d’importantes cicatrices visibles sont considérées comme moins sympathiques et moins intelligentes, ce qui entraîne des difficultés pour les grands brûlés à trouver un emploi. Et implique des salaires plus bas. «La souffrance des patients est énorme», assure Daniela Marino, cofondatrice et CEO de la start-up zurichoise Cutiss.

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La technologie pour soigner ces brûlures a bien évolué ces dernières années, et on réussit désormais à faire pousser une nouvelle peau à partir de cellules intactes des personnes brûlées. Mais pour aller encore plus loin, il faudrait remplir trois conditions à la fois: réduire les coûts, pouvoir couvrir de grandes surfaces et que ces cellules aient la capacité de se régénérer sur la blessure.

La femme qui veut relever ce défi vient d’Agrigente, en Sicile. De là, Daniela Marino est remontée vers le nord il y a presque vingt ans. Elle rêvait d’une chaire au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ce qui l’a d’abord conduite à Milan. Elle y a étudié la biotechnologie, a ensuite obtenu son doctorat à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, d’où elle a rejoint l’Hôpital universitaire pédiatrique, toujours à Zurich, en tant qu’assistante de recherche.


Essais cliniques jusqu’en 2022

«Un jour, mon professeur m’a proposé de l’aider dans une demande de fonds européens pour un projet de recherche en dermatologie», se souvient-elle. Comme elle avait consacré sa thèse de doctorat au potentiel dermatologique des cellules souches, elle a accepté. En 2011, la bonne nouvelle est arrivée de Bruxelles. L’équipe a reçu 9 millions d’euros. A partir de 2016, il est devenu évident que le rêve des dermatologues et des chirurgiens devait pouvoir se réaliser: la production mécanique de grandes surfaces d’épiderme pour les greffes, d’au moins 1 millimètre d’épaisseur.

«Nous étions en train d’explorer des terres nouvelles», note Daniela Marino. Le défi consistait à réunir la recherche médicale, la biologie fondamentale et l’ingénierie. Daniela Marino, qui était entre-temps devenue responsable du projet européen, cherchait des spécialistes. Elle est tombée sur un crack international de la bio-ingénierie, actif à Singapour. Il s’appelle Vincent Ronfard, travaillait dans la recherche en sciences de la vie, et il n’a pas su résister à l’enthousiasme de Daniela Marino, qui l’a convaincu de quitter son emploi à Singapour et de venir en Suisse.

Ce Franco-Américain de 60 ans développe avec deux partenaires – le CSEM de Neuchâtel et Zühlke – une fabrique de peau. L’objectif est ambitieux: la production de
1 mètre carré de peau greffable en seulement vingt jours! Le prototype est prêt. Dans le laboratoire, l’organigramme du processus est accroché au mur sur une affiche géante.

Daniela Marino secoue la tête: «Incroyable, ce qui s’est passé ces deux ou trois dernières années.» Un moment clé fut l’acceptation de son dossier par Wyss Zurich, un accélérateur de projets de l’Université de Zurich et de l’EPFZ. Ce soutien a permis la création de Cutiss en mars 2017.

La microbiologiste Fabienne Hartmann-Fritsch, qui a cofondé Cutiss avec Daniela Marino, travaille maintenant dans une salle blanche de Wyss Zurich, avec une équipe qui cultive la peau des patients. Les cellules proviennent, par exemple, d’enfants ou de jeunes gravement blessés qui ne peuvent plus être aidés par les thérapies conventionnelles. «Des cas graves, pratiquement sans espoir, qui expliquent pourquoi les parents autorisent l’utilisation d’une méthode de traitement qui est encore en phase d’essai», explique Daniela Marino.


20 millions supplémentaires

Le cas d’un adolescent qui, selon les médias, s’était infligé de graves brûlures à lui-même a fait la une des journaux en Suisse: 97% de la surface de son épiderme avait été détruit. Aujourd’hui, il porte plusieurs greffes de sa propre peau, grâce à Cutiss, et se porte bien, compte tenu des circonstances.

Mais de tels cas, même s’ils sont positifs, sont isolés et ne suffisent pas pour que les technologies développées par Cutiss reçoivent une autorisation de commercialisation de la part des autorités médicales. C’est pourquoi des essais cliniques de phase II sont en cours dans plusieurs hôpitaux en Suisse, aux Pays-Bas et en Italie. Les tests devraient être terminés d’ici à la fin de 2022. Ensuite, les autorités réglementaires des marchés cibles – la FDA aux Etats-Unis, Swissmedic en Suisse et l’Agence européenne des médicaments (EMA) – décideront si une phase clinique III est nécessaire.

Développement de nouvelles technologies avec des partenaires extérieurs, production en salle blanche et essais cliniques dans des hôpitaux dispersés dans la moitié de l’Europe, Daniela Marino aurait besoin de journées qui durent nettement plus que vingt-quatre heures! Elle rit de bon cœur: «Pas de problème. Je suis soutenue par une bonne équipe, qui fait du bon travail.» Cette mère de deux enfants ne s’en cache pas: elle aime être sous les feux de la rampe et sur le devant de la scène. Comme au Forum suisse de l’innovation, où Cutiss a reçu le Prix de la technologie dans la catégorie «Start-up/Rising Stars» en novembre dernier.

A la mi-juin 2020, deux ans après le dernier tour de financement, grâce au Venture Leaders Life Sciences Roadshow, à Boston, Cutiss a levé 20 millions de francs supplémentaires. En plus des investisseurs déjà présents, de nouveaux intéressés se sont également impliqués. «Cela me montre que nous sommes sur la bonne voie», commente Daniela Marino.

Le modèle commercial de Cutiss repose sur deux piliers. En tant que prestataire de services, la jeune pousse veut produire la peau des victimes d’incendie ou de brûlures graves dans ses propres salles blanches et la fournir aux grandes institutions spécialisées dans le soin de ces brûlures, comme l’Hôpital universitaire de Zurich. «Lorsqu’il faut produire de grandes surfaces de peau en cas d’urgence, le plus important, c’est l’expertise dans le fonctionnement des machines», explique Daniela Marino.

Les chirurgiens esthétiques, en revanche, agissent rarement sous la pression du temps et n’ont besoin que de petits morceaux de peau pour corriger les cicatrices et les taches de naissance. «Dans leur cas, nous développons également des modèles compacts pour une utilisation ambulatoire.»

Daniela Marino a mis en veilleuse son rêve de devenir professeur au MIT. A la place, elle dirige aujourd’hui une entreprise qui est pionnière mondiale dans son domaine, au carrefour de la biologie, de la médecine et du génie mécanique. «En fait, si on me l’avait demandé, je n’aurais pas pu expliquer comment le faire, dit-elle en riant, mais nous l’avons fait et j’en suis extrêmement heureuse.» Parfois, Cutiss reçoit des appels de brûlés graves ou de parents désespérés qui sont tombés sur le site de la start-up en cherchant sur internet. Pour l’instant, Daniela Marino ne peut répondre à leurs demandes. Mais elle en est convaincue, «le jour viendra où nous pourrons aider ces gens».


Cutiss, Schlieren ZH

  • Secteur: Biotech
  • Fondation: 2017
  • Employés: 20
  • www.cutiss.swiss

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