Roland Brack, 48 ans
Propriétaire et président Competec, Mägenwil AG
Une bonne partie de l’économie pâtit de la pandémie. Dans une certaine mesure, l’entreprise de Roland Brack aussi, mais très différemment. Le groupe a été submergé par une déferlante de commandes dès le début du confinement. Le plus grand commerçant en ligne indépendant du pays a été au bord de la noyade même si, peu avant, un nouvel entrepôt robotisé a assumé l’exploitation dans son centre logistique de Willisau (LU), grand comme huit terrains de football.
En 2020, Competec aura quand même connu trois années de croissance et ce rythme devrait se poursuivre. Vu la marée de paquets à livrer, le fondateur et président du conseil d’administration s’implique lui-même, de la logistique aux tapis roulants: «Je comprends ainsi beaucoup mieux où ça coince que si on me le raconte.» Son entreprise – dont font aussi partie, outre Brack.ch, les grossistes Alltron et Jamei –, qui compte un millier de collaborateurs et dont le chiffre d’affaires devrait dépasser le milliard cette année, l’absorbe entièrement.
Pourtant, l’Argovien a conservé une mentalité de bricoleur. Optimiser les processus est, pour lui, un dada. Il s’épanouit à faire en sorte que tout fonctionne dans les situations extrêmes. Il aime l’action même durant son temps libre, puisqu’il est pilote de rallye, même s’il n’a plus guère de temps. Et il n’y a pas que son entreprise qui le stimule. Grâce à son émission sur les start-up Die Höhle der Löwen, il s’est fait un nom à la TV. Et il assure son soutien à certaines des jeunes pousses dans lesquelles il investit.
Ses grands-parents exploitaient une ferme, son père était tourneur dans une entreprise industrielle. C’est de lui que Roland Brack a hérité sa passion pour la technique. Au cycle d’orientation déjà, il s’est mis à programmer tout en faisant de petits boulots dans un magasin d’informatique. Après un apprentissage d’électromécanicien, il a étudié l’électronique et fondé sa première entreprise en 1994. Trois ans plus tard, il lançait la première version de son commerce en ligne Brack.ch, figurant ainsi parmi les pionniers en la matière.
Vingt-trois ans après, il ne s’estime toujours pas arrivé: il veut lancer l’été prochain l’extension de son entrepôt logistique de Willisau. Le volume devrait doubler et il y a de l’espace pour deux entrepôts supplémentaires.
Vincent Ducrot, 58 ans
Président-directeur général CFF, Berne
Avec Vincent Ducrot, pas de changement de génération aux CFF. Le Fribourgeois de 58 ans doit plutôt remettre le train sur les bons rails. Car ces derniers temps, il y a eu des problèmes de ponctualité, le désastre des trains duplex, la pénurie de pilotes et un accident mortel dû à des portes défectueuses. En lieu et place de visions de haut vol, c’est le modeste train-train quotidien qui figure à la tête de l’ordre du jour. Or Vincent Ducrot a tout ce qu’il faut pour ça. A Fribourg, on se félicite en tout cas que l’ex-chef de l’entreprise ferroviaire régionale TPF ait fait un excellent travail avec son millier de collaborateurs. Il a modernisé l’entreprise et la fréquentation a augmenté entre 2011 et 2018 de près de 7 millions de passagers annuels, à 32,5 millions. Même s’il va de soi que les CFF et leurs plus de 33 000 employés sont d’un autre calibre.
Reste que, depuis son arrivée en avril, Vincent Ducrot s’est déjà attaqué à quelques problèmes. Il a notamment introduit deux nouvelles divisions d’entreprise censées améliorer la coordination entre les divers départements. Car quand le nouveau PDG a pris ses nouvelles fonctions, il n’a pas été enthousiasmé par tout ce qu’il a trouvé: chaque division ne travaillait que pour elle-même, bien des activités étaient réalisées indépendamment les unes des autres. Cette pensée en silo, Vincent Ducrot l’a baptisée «la maladie des CFF».
Ce veuf, père de six enfants, connaît les Chemins de fer fédéraux depuis belle lurette. A 18 ans, avant sa carrière aux TPF, il y avait travaillé et a escaladé la hiérarchie de collaborateur aux IT à chef du trafic longue distance. Raison pour laquelle il n’a pas eu besoin de galop d’essai à Berne. Cela dit, en raison de la pandémie, le nouveau patron s’est retrouvé presque tout seul au siège des CFF et a fait la connaissance de ses principaux collaborateurs virtuellement. La crise a d’ailleurs un effet majeur sur les chiffres: la ponctualité s’est certes améliorée tandis que l’horaire s’espaçait pendant l’été. Mais en dépit des 400 millions de francs que la Confédération injecte, il devra boucler sa première année sur un déficit comptable. Des entretiens entre la Confédération et les CFF décideront comment les choses se poursuivront côté finances. Mais Vincent Ducrot ne croit pas que le chemin de fer souffrira durablement. Il est convaincu que les voyageurs reviendront.
Fabrice Zumbrunnen, 51 ans
Directeur général groupe Migros, Zurich
Il était de notoriété publique qu’il y avait de quoi faire chez Migros. En six ans, son bénéfice a dégringolé de plus de 800 millions de francs à 335 millions. Même dans une coopérative qui n’est pas axée sur les bénéfices, l’alarme devait être déclenchée. Mais l’arrivée de Fabrice Zumbrunnen reste un événement remarquable. Au fil des ans, le géant orange a enflé et s’est dispersé dans diverses activités peu rentables.
Quand le nouveau directeur général a débarqué en janvier 2018, il a commencé par couper dans les coûts. Le Romand a surpris, ce faisant, pas mal de monde puisque, à la différence de son prédécesseur, il passait pour réservé, presque timide. Pas mal de coopératives ont d’ailleurs bloqué son intention de tailler aussi dans la logistique.
Fabrice Zumbrunnen, qui passe ses week-ends en famille à La Chaux-de-Fonds et avoue un faible pour la culture et la musique classique, garda cependant la tête froide et a mis en œuvre une restructuration radicale – du moins pour la culture Migros. Le but: réduire les coûts, accroître l’efficacité et, avec les fonds ainsi économisés, stimuler les canaux numériques.
Ce n’était pas une tâche aisée, surtout dans cet univers compliqué qu’est Migros, avec ses dix coopératives, auxquelles la Fédération des coopératives Migros (FCM), qui dicte la stratégie, est soumise. Sur ce point-là, sa concurrente Coop a eu la vie plus facile: il y a vingt ans, ses 14 coopératives ont fusionné en une seule.
En 2021, le travail de Fabrice Zumbrunnen devrait toutefois s’avérer payant. Le management de la FCM est largement remanié et les secteurs peu rentables ne pèsent plus sur les comptes. Juste avant le confinement, il a pu se débarrasser de ses objets d’inquiétude, Interio, Depot et Globus. «J’aurais nettement plus de soucis si nous avions conservé le portefeuille de l’an dernier», avoue-t-il.
Avec le tsunami du Covid-19, les supermarchés et l’offre en ligne ont vécu une ruée et, en 2020, Migros s’attend à un exercice record. On saura avec les chiffres publiés au printemps à quel point les transformations de Fabrice Zumbrunnen auront été efficaces.
Jessica Anderen, 50 ans
Cheffe Ikea Suisse, Spreitenbach AG
Quand Jessica Anderen est passée à l’automne 2019 de la centrale d’Ikea en Suède à la Suisse pour en occuper le poste de cheffe nationale, elle aurait sans doute préféré un démarrage plus facile. A peine s’était-elle un peu acclimatée qu’est arrivé le confinement. Pour la première fois en trente ans de carrière de cadre, elle a dû fermer les magasins, même si ce ne fut que temporairement. Mais Ikea a aisément géré cette catastrophe et accru son chiffre d’affaires 2019-2021, qui s’achève le 31 août, de 0,7% à 1,15 milliard de francs. Ikea le doit aux ventes en ligne et aux quelque 60 000 commandes en drive-in pendant le confinement.
Ainsi, malgré une phase turbulente, Jessica Anderen a quand même maîtrisé avec succès sa première année. Mère de deux enfants et habitant Zurich, elle est un authentique «produit» Ikea, où elle est entrée tout juste après l’école obligatoire. Elle a travaillé à divers postes de cadre à Hongkong, à Singapour, en Inde et en Australie. Parallèlement, elle a suivi plusieurs formations continues en économie, business development et leadership. Depuis un an, elle est aussi membre du comité de la Chambre de commerce Suisse-Suède.
Manuela Beer, 51 ans
CEO PKZ, Zurich
Garder confiance même dans les temps difficiles: Manuela Beer, la patronne de PKZ, a intégré cette aptitude. En dépit de la pandémie et d’une concurrence en ligne accrue, elle voit des opportunités pour de nouvelles filiales: «En ce moment, nous cherchons de nouveaux sites dans diverses villes pour y ouvrir un PKZ Men», disait-elle récemment. Elle pense ouvrir dans les deux ans à venir jusqu’à cinq magasins dans des villes de taille moyenne. En parallèle, PKZ ne cesse d’étoffer sa boutique en ligne et la chaîne sert d’exemple à bien des commerçants pour ce qui est de l’interaction avec les points de vente physiques.
Ces plans de croissance du stationnaire ne tombent pas du ciel: dans les segments de mode premium et business, PKZ a amélioré son chiffre d’affaires d’année en année sur un marché global qui se ratatine. Ce ne sera cependant pas possible en cette année de pandémie. Vu que Globus s’est récemment déplacé du segment premium à celui du luxe, une niche s’est ouverte. Manuela Beer entend en outre prendre les devants avec une stratégie de durabilité. Après tout, les clients doivent pouvoir faire leurs emplettes chez PKZ en toute bonne conscience.
Roberto Cirillo, 49 ans
CEO La Poste, Berne
En Suisse, quand il a été nommé CEO de La Poste à fin 2018, Roberto Cirillo était pratiquement un inconnu malgré son expérience internationale. Cela tient sûrement au fait que le Tessinois – qui parle cinq langues – ne se presse pas sous les projecteurs.
En ce moment, le géant jaune a besoin de quelqu’un qui résout les multiples problèmes en coulisses. Car, depuis quelques années, les revenus reculent, les offices de poste ne sont plus rentables et même PostFinance est confrontée à des recettes à la baisse. Et s’y ajoute inopinément le tsunami de paquets à peine maîtrisable dû à l’irruption de la pandémie. C’est pourquoi La Poste a récemment ouvert un quatrième centre régional de tri des colis.
Roberto Cirillo entend aussi réussir dans d’autres secteurs d’activité, notamment la logistique, qui sera un des piliers de sa future stratégie de croissance. Les filiales de La Poste devront aussi s’offrir un lifting: s’ouvrir à d’autres entreprises et assumer pour elles des prestations de services. A cette fin, le CEO est en discussion avec des banques, des assurances et des entreprises du secteur de la santé. Et dans ce contexte, le manager formé chez McKinsey veut redéployer d’ici à 2021 les emplacements des 800 filiales survivantes.
Gianni Onorato, 60 ans
CEO MSC Cruises, Genève
Gianni Onorato a plus de trente ans d’expérience dans le marché des croisières. Cet Italien d’origine a obtenu un diplôme en langues et littérature et entamé sa carrière sur les bateaux en 1986, en tant que responsable food & beverages. Mais il a vite grimpé dans la hiérarchie, devenant en 2013 le CEO de MSC Cruises, dont le siège est à Genève. La compagnie n’a, à ce jour, pas eu à affronter de grosses tempêtes. Jusqu’en 2020, les affaires tournaient rond, la demande augmentait d’année en année.
Mais quand est survenue la pandémie, l’armateur a dû ramener à bon port 70 000 passagers et 30 000 membres d’équipage. Depuis lors, les navires de MSC sont à l’arrêt un peu partout sur la planète, prêts à repartir dès que la mer sera plane. Mais les passagers reviendront-ils? Ou seront-ils effrayés par les images montrant, au printemps, des milliers de croisiéristes en quarantaine? L’an 2021 devrait être décisif, non seulement pour MSC mais pour l’ensemble de la branche.
Walter Oberhänsli, 62 ans
Fondateur et CEO Zur Rose, Frauenfeld TG
Fondateur de Zur Rose, Walter Oberhänsli pourrait aborder la nouvelle année avec des sentiments mitigés. D’un côté, les perspectives de l’entreprise sont prometteuses, car, à partir de 2022, les médecins en Allemagne ne pourront plus émettre que des ordonnances électroniques. Actuellement, seulement 1% des médicaments passent par la vente par correspondance. «Si, en Allemagne, le marché des ordonnances passait à moyen terme à 5% en ligne, nous pourrions atteindre un chiffre d’affaires de 3 milliards», affirmait-il récemment.
Mais le Thurgovien est en ce moment empêtré dans une procédure judiciaire qui remonte à un très vieux litige avec PharmaSuisse. Une amende le menace. Cela dit, la sentence n’aurait aucune influence sur les affaires de Zur Rose. Pour mémoire, Walter Oberhänsli est accusé de pratiques auxquelles les pharmacies en ligne ont mis un terme en 2015. L’homme est un habitué des conflits juridiques: l’ex-avocat se bat sur tous les fronts pour briser les vieilles structures dans le domaine de la santé. Jusqu’ici avec succès: avec un chiffre d’affaires de 1,6 milliard, Zur Rose est valorisé à 2,7 milliards en bourse.
Dieter Vranckx, 47 ans
CEO Swiss, Zurich
Il était à peu près couru d’avance que le directeur des finances, Markus Binkert, deviendrait le CEO de Swiss. Or, le conseil d’administration en a décidé autrement, optant pour un candidat que presque personne ne connaît ici. Dans la branche du transport aérien, en revanche, le Belgo-Suisse Dieter Vranckx n’est pas un inconnu. Entre 2001 et 2016, il a dirigé divers départements du groupe Lufthansa, de 2013 à mi-2015, il a été vice-président chez Swiss, chargé des marchés germanophones de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche, puis il a travaillé pour Lufthansa à Singapour.
Et début 2020, finalement, il est devenu CEO de la filiale de Lufthansa Brussels Airlines. A 47 ans, il aura fait toute sa carrière sous la bannière de Lufthansa. Il devra éventuellement rapprocher encore Swiss du géant allemand. Jusqu’ici, Swiss était considérée comme la vache à lait du groupe et jouissait à ce titre de quelques libertés. Mais la situation est devenue inconfortable. Mille postes de travail sont menacés. Il faudra donc un gestionnaire de crise éprouvé pour aider Swiss à redécoller.
Philipp Wyss, 54 ans
CEO désigné Coop, Bâle
L’arrivée prochaine de Philipp Wyss à la tête de Coop est certes un choix logique, bien que surprenant: il avait déjà passé une précédente fois pour le successeur désigné. Or quand, en 2011, Hansueli Loosli est passé au conseil d’administration, ce n’est pas lui qui a été choisi pour prendre sa succession mais le Grison Joos Sutter, qui dirigeait alors les grands magasins Coop City et les enseignes spécialisées. Et Philipp Wyss a dû se contenter d’être le numéro deux, chef de l’importante division retail où il dirige depuis lors les départements marketing et achats.
Mais le jeu des chaises musicales reprend chez Coop, car Hansueli Loosli devra lâcher la présidence en raison de son âge. En mai, Joos Sutter deviendra une fois encore son successeur, cette fois comme président. Pour Philipp Wyss, qui passe pour un travailleur acharné, la patience a donc payé.
Avec sa formation de boucher et d’employé de commerce, il a déjà une belle carrière derrière lui: en 1997, il est passé de Migros au bâlois Coop, où il est devenu Category Manager des départements viande, poisson et convenience. Onze ans plus tard, il était nommé chef des ventes de la région Suisse centrale-Zurich, avant d’arriver à la direction générale en 2009.
Watchlist
Stephan Widrig, 48 ans
CEO Zurich Airport
Au bout de cinq ans de travaux, le centre de services The Circle a été inauguré en novembre. Mais il n’y a pas eu de grande fête. De façon générale, tout demeure assez tranquille à Kloten. Mais le CEO Stephan Widrig espère bien que, l’an prochain, l’aéroport sera de nouveau plus animé.
Jérôme Gilg, 44 ans
CEO Manor
Le CEO de Manor, Jérôme Gilg, a dû renoncer au fleuron de la chaîne de grands magasins, à la Bahnhofstrasse de Zurich. Il n’a pas encore déniché de solution de rechange. C’est à lui de communiquer si, en 2021, Manor aura une nouvelle adresse zurichoise.
Michael Mueller, 48 ans
CEO Valora
Après que Valora a remporté l’appel d’offres des CFF pour des surfaces commerciales dans les gares, la pandémie a occasionné des pertes sèches. Qui sait si l’année qui vient permettra au groupe de kiosques de retrouver toute sa force de frappe?
>> Lire aussi: