«Je n’aurais pas été le premier à devoir rendre les armes pour avoir eu raison trop vite. J’ai fini par m’en sortir grâce à un gros coup de bol, comme on dit chez nous. La chance d’être au bon endroit, au bon moment. Mais avant cela, quelle galère! J’avoue m’être retrouvé plusieurs fois au bord du gouffre entre 2009 et 2016. Quand je dis «je», je parle bien sûr de mon entreprise, Green Motion, que j’ai créée au début de 2009.
A cette époque, il y avait 43 voitures électriques en Suisse, mais j’étais convaincu que ce marché allait exploser. Avec le prix du litre d’essence passé de 1,30 franc à près de 2 francs en moins de temps qu’il n’en faut pour faire un plein, j’étais sûr qu’on allait voir ce qu’on allait voir! Une certitude lestée par l’arrivée de la fameuse Venturi Fétish, première voiture de sport entièrement électrique, sorte de Tesla avant la Tesla. Dans mon esprit, la révolution était en marche et j’étais pile à l’heure avec mes bornes de recharge.
En réalité, mon horloge était en avance. Le développement marchait bien, mais le marché restait atone. Si bien qu’en 2012 notre puits de liquidités s’est tari. Par bonheur, un investisseur allemand est tombé du ciel et notre technologie a continué à progresser. Mais faute d’engagement des collectivités publiques, on a recommencé à tirer la langue en 2015. J’ai donc repris mon bâton de pèlerin et là, j’ai rencontré un investisseur valaisan, dont je tairai le nom, en qui je plaçais beaucoup d’espoir.
Attente aussitôt douchée puisqu’il m’a dit que je ne le faisais pas rêver, qu’en limant mon budget je manquais d’ambition et que je jouais petit bras. Un uppercut qui m’a laissé groggy mais qui a eu le mérite de nous contraindre à nous réinventer. De ce knock-out est en effet née l’idée qui nous a permis de conquérir l’espace public. Mais il fallait trouver 15 à 20 millions pour la concrétiser.
C’est à ce moment précis que le coup de bol est intervenu. Alors que je faisais du vélo dans la région d’Engelberg, mon téléphone sonne. A l’autre bout du fil, un consultant allemand me dit qu’une société chinoise s’intéresse à notre technologie et qu’elle souhaite acheter la licence pour son pays. Sur le coup, un peu échaudé par la «sinophobie» ambiante, je lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas. Il m’a relancé en me faisant remarquer que le groupe en question, Zhongding, était une sorte de référence dans son pays. Finalement, une délégation a débarqué chez nous et les pourparlers ont commencé.
Plus tard, la direction, en particulier le CEO et son fils, nous a reçus au somptueux château de Heidelberg, loué spécialement pour la circonstance. Nous sommes tombés d’accord sur la vente de la licence. Dans la foulée, le père a fait part de son souhait d’entrer dans le capital de Green Motion. Je me suis dit: «Pourquoi pas, l’important est que je reste majoritaire.» J’ai donc vendu 40% de mes parts. L’affaire a été réglée en cent jours et plusieurs dizaines de millions de francs sont entrés dans nos caisses. Les Chinois se sont comportés en partenaires exemplaires. Y compris lorsque nous avons décidé de vendre Green Motion au groupe américain Eaton, qui m’emploie aujourd’hui. Mais ça, c’est une autre histoire…»