Le 15 avril 2021, le bitcoin s’échangeait à près de 64 000 dollars, un montant inégalé. Peu avant, Elon Musk annonçait que Tesla allait investir 1,5 milliard de dollars en bitcoins et qu’il serait bientôt possible d’acheter ses voitures avec la plus connue des cryptomonnaies. Un mois plus tard, le milliardaire abandonnait le projet, dénonçant sur Twitter sa «folle» consommation d’énergie. Dans la foulée, la monnaie chutait de 10%. A la mi-juillet, le patron de Tesla faisait de nouveau volte-face, précisant que le bitcoin restait l’un de ses plus gros investissements personnels.
Reste qu’une transaction en bitcoins est extrêmement énergivore: elle nécessite plus de 1800 kWh, soit l’équivalent de la consommation électrique d’un ménage américain pendant soixante et un jours, explique le site spécialisé Digiconomist. Sur un an, le réseau bitcoin nécessite donc environ 141 térawattheures, soit autant qu’un pays comme l’Ukraine. La raison? Pour être sécurisées, les transactions en bitcoins doivent être validées sur la blockchain. Ce processus résulte du minage du bitcoin, c’est-à-dire que des volontaires (aussi appelés mineurs) mettent la puissance computationnelle de leur ordinateur et leur électricité à disposition.
Un algorithme développé à l'EPFL
«Après avoir été élus par le protocole, les mineurs résolvent des problèmes mathématiques complexes à l’issue desquels une rémunération en bitcoins est octroyée aléatoirement à l’un d’entre eux», explique Olivier Depierre, auteur dans le domaine de la blockchain et responsable juridique chez Crédit Agricole next bank à Genève. «Que l’électricité utilisée pour le minage du bitcoin soit verte ou fossile, il ne faut pas oublier que cette énergie est gaspillée; elle ne sert qu’à montrer qu’on a réussi à résoudre un sudoku», illustre Rachid Guerraoui, professeur au Laboratoire de calcul distribué à l’EPFL.
La consommation énergétique du bitcoin a un impact sur sa valeur. Et malgré le fait qu’Elon Musk ne soit pas connu comme le plus grand des écologistes, ses hésitations ont déstabilisé la cryptomonnaie. «On a plutôt l’impression qu’Elon Musk n’avait pas envie d’analyser les adresses bitcoin utilisées pour acheter ses Tesla (c’est-à-dire de vérifier l’équivalent de l’IBAN pour les cryptomonnaies, ndlr). Sans cette analyse, le risque est important que l’argent ayant servi à acheter les bitcoins puisse être défiscalisé ou que les adresses concernées aient été impliquées dans des activités criminelles», analyse Olivier Depierre. Une alternative au protocole informatique bitcoin a récemment été développée par des chercheurs de l’EPFL.
«On a démontré qu’il était possible de développer une cryptomonnaie tout aussi sûre que le bitcoin et dont la transaction ne nécessite pas plus d’énergie que celle d’un SMS», explique Rachid Guerraoui, initiateur du projet. Disponible en open source sur le site de l’EPFL, cet algorithme sécurise la cryptomonnaie en passant par des utilisateurs sélectionnés au hasard, comme témoins d’une transaction. Pour ce spécialiste en algorithmique, «il y a des milliers d’alternatives plus durables au bitcoin, il y en a bien une qui va finir par percer».
La Chine a interdit le minage en juin
La Chine a elle aussi utilisé l’argument de l’impact écologique pour interdire les activités de minage du bitcoin. Et cela, alors que sa part de marché représentait plus de 75% de l’activité de minage en septembre 2019 et encore 46% en avril 2021, selon une étude de l’Université de Cambridge publiée à la mi-juillet. «A la fin de juin, le gouvernement de Xi Jinping a décrété une interdiction totale du minage, car cette activité énergivore a causé la réouverture de différentes mines à charbon», soutient Alex de Vries, économiste chez PwC. «Les limites de ce que le gouvernement chinois trouve acceptable ont été atteintes. Et lorsque l’on observe les conséquences écologiques de cette activité à New York, en Iran ou en Abkhazie, on peut envisager que les mesures restrictives vont se répandre.»
Il est cependant nécessaire de nuancer la justification des autorités chinoises. «La Chine tente de reprendre le contrôle sur cette forme de libéralisation de l’émission monétaire et d’un système de paiement qui lui échappe. Il ne faut donc pas oublier que cette interdiction arrange le gouvernement mais n’impacte finalement que très peu la communauté des «croyants» en cryptomonnaies», note Olivier Depierre. Par ailleurs, Pékin a lancé sa propre monnaie numérique, le crypto-yuan, via la Banque populaire de Chine, visant à «monitorer, dans une certaine mesure, les habitudes de consommation de ses concitoyens dans un but de contrôle», ajoute-t-il.
En outre, le spécialiste estime que «malgré les envolées successives du cours du bitcoin, il existe encore une marge de progression». Le spécialiste genevois apporte différents arguments. Premièrement, la rémunération des mineurs, qui est divisée par deux environ tous les deux ans. Ce mécanisme crée une pression à la hausse sur le cours ainsi qu’une course à l’équipement en termes de puissance de calcul. «Plus vous avez un ordinateur puissant, plus vous avez de la chance de gagner à la loterie des cryptos», relève-t-il. En deuxième lieu, les mineurs recherchent constamment les juridictions au coût d’électricité le plus faible. Troisièmement, seul un infime pourcentage de la population mondiale connaît le bitcoin: il existe donc un réservoir d’investisseurs. «Quand les gens achètent leur première cryptomonnaie, c’est pratiquement toujours du bitcoin», ajoute Olivier Depierre. Enfin, de plus en plus de biens et services sont payables en bitcoins, ce qui rend cette cryptomonnaie de plus en plus attractive.
Coup dur pour Genève
Egalement dans le secteur des monnaies numériques, le projet Diem (ex-Libra) lancé par Facebook a revu ses ambitions à la baisse et quitté Genève à la fin de mai. Celui-ci aurait dû fournir différentes solutions de paiements adossées à des monnaies légales, à savoir une forme de stablecoin privé. Il devait permettre de simplifier les transferts d’argent d’un pays à l’autre et d’en réduire le coût. A l’annonce du projet, les régulateurs, les politiques ainsi que les banques centrales du monde entier l’avaient dénoncé. Sous la pression, d’importants membres du projet tels que PayPal, MasterCard et Visa avaient abandonné l’idée. Le départ de Genève et le recentrage du projet en un stablecoin arrimé au dollar émis par Silvergate, une banque californienne, «ne sont pas détachés des pressions des autorités américaines», avance le professeur Rachid Guerraoui.
La décision est un coup dur pour Genève, qui aurait pu devenir une référence dans le domaine avec l’implantation et le développement de l’association Diem. Mais d’autres acteurs profitent de l’essor du secteur. «En Suisse, les banques qui ont proposé en premier des transactions en bitcoins à leurs clients ont gagné beaucoup d’argent», dit Rachid Guerraoui. Ainsi, même si le facteur environnemental risque de coûter cher au bitcoin, celui-ci pourrait encore rebondir. Un exemple? Face à l’interdiction, les mineurs basés en Chine ont rapidement réagi et transféré leur activité au Kazakhstan.