«La Suisse s’en sort bien économiquement. Les perspectives de l’emploi sont bonnes, les entreprises ont repris leurs activités, on peut donc espérer une année de croissance.» Jean-Pierre Danthine, économiste et directeur du centre Enterprise for Society (E4S) – centre commun à l’EPFL, à l’IMD et à l’Unil créé en 2020 pour imaginer une économie plus résiliente, respectueuse de l’environnement et inclusive –, se montre confiant vis-à-vis des perspectives helvétiques.
La Banque nationale suisse prévoit une croissance du PIB d’environ 3% pour 2022, puis de 2% pour 2023, permettant à l’économie suisse «de connaître deux années supplémentaires de croissance supérieure à la moyenne», selon le Seco. Ces prévisions encourageantes n’occultent cependant pas les six défis macro-économiques identifiés par les économistes et auxquels la Suisse sera confrontée cette année.
1. Surveiller l’inflation
Menace constante de l’économie, l’inflation touche la majorité des pays occidentaux. Dans les pays de l’OCDE, elle a bondi à 5,2% en octobre 2021, contre 1,2% l’année précédente. La Suisse semble plutôt épargnée, avec une inflation chiffrée à 1,6% en janvier. La raison? «La Suisse est protégée par la force du franc, explique Jean-Pierre Danthine. Cette adaptation de la monnaie permet de limiter le prix des biens importés. Ainsi, la légère inflation actuelle devrait redescendre dans le courant de l’année 2022.»
L’économiste alerte néanmoins sur les risques de répercussions d’une trop forte inflation à l’étranger. «La situation américaine est notamment préoccupante: en janvier, la hausse des prix à la consommation a atteint 7% sur l’année 2021, la plus forte augmentation depuis 1982. Dans le cas où les Etats-Unis n’arriveraient pas à stopper l’inflation, la réponse de la Réserve fédérale américaine (Fed) sera déterminante: une politique fortement restrictive, avec une hausse des taux directeurs, affecterait forcément la conjoncture globale, et donc indirectement l’économie suisse.» En effet, en remontant ses taux, la Fed provoquerait un ralentissement de la demande, en augmentant les coûts d’emprunt.
2. L’importance du franc fort
Michel Girardin, macroéconomiste et chargé de cours au Geneva Finance Research Institute de l’Université de Genève, a conduit une étude sur la juste valeur du franc. «Le franc suisse n’est plus surévalué par rapport à l’euro. Lorsqu’on utilise les prix à la consommation pour estimer le cours qui équilibre les pouvoirs d’achat en Suisse et dans la zone euro, l’estimation la plus juste est autour de 1,15 franc pour 1 euro. En revanche, quand on considère les coûts de production, la juste valeur du franc est la parité. Cette force monétaire protège l’économie de l’inflation, même si elle se révèle délétère pour les exportations.»
Depuis 2020, la courbe de l’indice des prix à la consommation suisse n’a cessé d’augmenter mais, pour l’économiste, «il ne faut pas regarder l’inflation du côté des prix à la consommation mais plutôt du côté des prix à la production, étant donné que le phénomène inflationniste découle des coûts – dus à la pandémie et aux problèmes d’approvisionnement qu’elle a provoqués – et non pas de la demande».
3. Rétablir les chaînes d’approvisionnement
Les entreprises suisses, notamment dans l’industrie, ont subi en 2021 d’importantes pénuries. Matières premières, pièces industrielles, composantes électroniques, de nombreux éléments produits à l’étranger se sont retrouvés bloqués aux frontières. Ces goulets d’étranglement dans les livraisons ont entraîné un ralentissement des productions. Les chaînes d’approvisionnement représentent le plus gros défi auquel sont confrontées les PME suisses (pour 54% des sondés), selon le «Baromètre économique» publié par Swissmechanic, association professionnelle du secteur des machines et de l’électronique, au troisième trimestre 2021, devant les problématiques de main-d’œuvre (34%) ou le manque de commandes (24%).
«Ces problèmes devraient se résorber rapidement avec la reprise des échanges, rassure Jean-Pierre Danthine. Par rapport à ce qu’on imaginait sous l’effet du choc, il y aura probablement moins de relocalisations qu’annoncé, mais les entreprises ont réalisé qu’elles ne pouvaient pas dépendre d’un seul canal d’approvisionnement et vont diversifier leurs sources en dehors de l’Asie.» D’ici là, pour Michel Girardin, l’inquiétude persiste: «La Chine est tributaire de sa politique «zéro covid», ce qui fait qu’elle peut rapidement se reconfiner et donc entraîner de nouveaux blocages dans les livraisons et a fortiori des pénuries.»
4. La gestion des RH
Entre les quarantaines obligatoires et la tendance aux démissions, les ressources humaines constituent un challenge pour l’économie suisse. Selon le baromètre de l’emploi publié fin janvier 2022 par l’Union patronale suisse (UPS), la reprise est générale mais de nombreuses entreprises font toujours face à des pénuries de main-d’œuvre. «On voit dans certains secteurs une résistance à s’engager ou se réengager, à l’instar du secteur de l’hôtellerie-restauration, constate Jean-Pierre Danthine. Il se révèle donc nécessaire de repenser l’emploi, notamment en favorisant le soutien des jeunes parents pour qu’ils puissent reprendre leur activité économique.» L’UPS soutient également qu’«il faut mieux mettre en valeur le potentiel de main-d’œuvre nationale en intégrant plus efficacement les mères de famille et les travailleurs âgés dans le marché du travail».
5. Prioriser l’écologie
Les prix de l’énergie ont atteint des taux particulièrement hauts: la plus forte augmentation concerne le mazout (36,8%), ainsi que l’essence et le diesel, dont les prix ont crû de 25%. «L’augmentation du prix du pétrole entraîne la valorisation des énergies renouvelables, remarque Michel Girardin. Comparativement, elles deviennent plus attractives.»
L’écologie constitue ainsi un des objectifs majeurs de l’économie suisse pour cette année 2022. «Aujourd’hui, les prix sont incorrects puisqu’ils ne reflètent pas la vraie rareté, soutient Jean-Pierre Danthine. Il faut des programmes d’investissement de l’Etat, notamment dans la construction, l’immobilier et la mobilité. L’Etat doit montrer le chemin puisque l’écologie est un domaine où même une vision purement libérale de l’économie demande son intervention. La Suisse, qui est dans une position très favorable du point de vue de ses finances publiques, doit être beaucoup plus active pour s’engager en faveur de l’écologie. D’ici là, les PME peuvent déjà mettre en place leurs stratégies. Plus les entreprises anticipent, moins on aura besoin d’interventions étatiques, ce qui reste préférable.»
6. Entretenir les relations internationales
«La présidence française du Conseil de l’Union européenne n’est pas forcément favorable pour notre pays, aussi parce que l’attention se porte actuellement plutôt sur les enjeux géopolitiques, à l’instar de l’Ukraine, analyse Michel Girardin. En outre, la Suisse a dernièrement refusé tous les rapprochements avec l’Europe, elle n’est donc pas une priorité à Bruxelles.» Les pays européens constituent les principaux partenaires commerciaux de la Suisse. Ils concentrent 56% des échanges en 2020.
La rupture des négociations sur l’accord-cadre au printemps 2021 a drastiquement refroidi les relations entre la Suisse et ses voisins. Depuis, des négociations pour des accords bilatéraux sont menées. «La Suisse devra œuvrer à rester attractive pour garder ses entreprises sur le territoire.»