La prospérité économique a plusieurs acceptions. La définition classique la considère comme une finalité heureuse de la croissance et du travail des entreprises et des individus. La conception marxiste ne la refuse pas en tant que telle, mais déplore sa confiscation par une classe de la société. La vision «décroissance» soit la trouve toxique et malvenue, soit entend la soumettre à des objectifs éthiques ou idéologiques. Il n’est pas lieu de raviver un débat figé entre ces trois courants de pensée inconciliables. Les réflexions qui suivent visent plutôt à observer que la prospérité, quel que soit son usage, ne s’acquiert que laborieusement. Elle exige du génie, du courage et de la chance. Une fois conquise, insaisissable, elle peut se dérober et se reformer rapidement sous d’autres cieux.

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Prospérité en mouvement perpétuel: comme l’enseignait Fernand Braudel, au centre d’une économie qui monte en puissance se trouve une ville; parfois deux pendant quelque temps (Rome – Alexandrie, Venise – Gênes, Londres – Amsterdam, etc.). «Un pôle, un centre, représenté par une ville dominante» facilite les échanges, rassemble la main-d’œuvre et catalyse le capital.

Prospérité ou déclin, pas de voie médiane. Il n’y a pas, ou il y a exceptionnellement, une pluralité de pôles économiques simultanés. Lorsque l’Angleterre prend le pas sur la Hollande à la suite de quelques années de rivalité, le coup est dur pour Amro. Cela indique que si un pays ou une ville d’importance laisse échapper ou pénalise un écosystème de croissance et son cercle vertueux, elle se trouve rapidement confrontée à la spirale de la décroissance, avec le spectre du chômage, des jeunes en particulier, de la diminution massive des rentrées fiscales et de l’exode des talents.

Un facteur historique déterminant est l’évolution des technologies. La révolution industrielle a donné un avantage significatif à l’Angleterre, face aux pays du continent, la France en particulier. Le revenu par habitant et les standards de vie accusaient alors un fort différentiel. Les avances techniques ont souvent servi d’avantages compétitifs décisifs à certains pays. La diffusion des savoirs par internet transforme ce paramètre et relativise désormais la spécialisation géographique.

Si une région ou un pays entend constituer ou affermir un pôle de prospérité, il faut remplir de nombreuses conditions, parmi lesquelles:

● rassembler dans l’espace géographique concerné des entrepreneurs et des commerçants exceptionnels;

● accueillir des talents de toutes provenances et de divers horizons;

● créer un ou plusieurs centres de compétences technologiques de niveau mondial;

● disposer d’un cadre politico-juridique favorisant le libre-échange;

● disposer d’un réseau bancaire;

● faire effet de levier sur une (grande) ville en intégrant le pôle économique en son sein;

● poser un cadre législatif ferme et souple et alléger la charge administrative et fiscale;

● surveiller les pôles économiques concurrents et constamment adapter les avantages compétitifs pour ne pas se faire distancer;

● développer une stratégie digitale permettant de maintenir l’enracinement territorial malgré la «virtualisation» de l’espace physique.

La révolution digitale va-t-elle mettre fin à l’histoire des centres géographiques de prospérité et de leur migration aux quatre coins de la planète? La prospérité sera-t-elle encore plus concentrée ou mieux répartie?

La dématérialisation de nombreux faits économiques (commerce en ligne, monnaies informatisées, prestations sur internet), dans des volumes gigantesques, délocalise la création de valeur. Il y a peu, délocaliser signifiait transférer une activité dans un autre espace économique. Désormais, délocaliser signifie supprimer tout court la localisation d’une activité. Cet évanouissement dans la nature des activités économiques tangibles et visibles, cette prospérité devenue insaisissable fut d’abord une préoccupation des autorités fiscales et judiciaires. Elle est maintenant devenue celle des institutions et des entreprises qui œuvrent au développement économique.