En raison du retard pris par les réformes, la Suisse est de plus en plus à la traîne dans les comparaisons internationales en matière de prévoyance vieillesse. La réforme AVS 21 et les propositions de refonte de la prévoyance professionnelle élaborées par les partenaires sociaux annoncent-elles une amélioration?
Heinz Zimmermann: Il est tout à fait possible que nous perdions quelques positions dans de tels classements. Toutefois, de telles comparaisons sont parfois discutables, car elles mélangent différents éléments de la prévoyance et les sortent de leur contexte. Les propositions de réforme actuelles vont dans la bonne direction. L’abaissement du taux de conversion dans le régime obligatoire du deuxième pilier de 6,8 à 6% est une nécessité urgente. Le taux de conversion actuel exige un rendement moyen du capital de 5%, ce qui ne peut être atteint qu’avec des placements à haut risque.
Même avec un taux de conversion plus bas, il faut toujours un rendement compris entre 3,5 et 4%, ce qui est nettement supérieur au taux d’intérêt sans risque. La déduction de coordination fixée à un niveau plus bas est également judicieuse. Malgré cela, le seuil d’entrée dans le deuxième pilier reste élevé. L’approche avec des pourcentages de salaire qui augmentent moins fortement pour les employés plus âgés devrait également motiver les employeurs en faveur de cette catégorie d’âge. Le véritable problème réside toutefois dans les suppléments de risque. Il devient de plus en plus difficile pour les entreprises ayant une mauvaise structure d’âge de trouver encore des assureurs complets ou des fondations collectives qui les acceptent.
Comment évaluez-vous l’état de santé du système de prévoyance suisse?
Pour faire une comparaison clinique, il faudrait enlever ou transplanter certains organes au patient. Il est important de regarder en arrière: dans les années 1970 et 1980, de nombreuses entreprises avaient déjà des institutions de prévoyance. En 1985, la LPP est devenue obligatoire. Ceux qui sont entrés dans la vie active à l’époque sont maintenant à la retraite. Nous sommes donc encore dans la phase de lancement de la prévoyance professionnelle. Cette période de démarrage a eu lieu à une époque où les taux d’intérêt nominaux sans risque étaient suffisamment élevés et où les marchés financiers étaient prospères. Il y avait déjà des redistributions à l’époque, mais elles étaient masquées par le bon rendement des capitaux et par le manque de transparence du système. Pour préserver un système durable de deuxième pilier par capitalisation, d’autres règles du jeu sont toutefois nécessaires.
Où faut-il apporter des corrections?
L’ensemble du système devrait être simplifié. Il y a trop d’exigences réglementaires. S’y ajoutent des obligations étrangères au marché des capitaux. Elles sont certes lentement réduites, mais n’ont pas encore disparu. En outre, il faut plus de flexibilité dans la conception de la politique de placement. Dans une phase initiale, un système rigide fait sens. A l’avenir, une caisse de pension devrait agir comme un prestataire financier moderne doté d’une grande compétence en matière de conseil. Cela nécessite de sortir le deuxième pilier du système administratif des assurances sociales.
Dans le deuxième pilier, le marché des capitaux contribue de moins en moins à la fourniture des prestations. Ne faudrait-il donc pas, dans un contexte de taux d’intérêt durablement bas, renforcer l’AVS, construite selon le principe de la répartition?
Une chose est claire: dans un contexte de taux d’intérêt nuls ou négatifs, les placements sur le marché des capitaux ne permettent pas de garantir les rentes futures. Aujourd’hui, le marché des capitaux concerné n’est plus constitué d’obligations, mais de placements à risque. Le «troisième cotisant» nous finance en conséquence via des primes de risque. Avec des taux d’intérêt nuls, il n’est pas possible de garantir un revenu sur plusieurs décennies en cas de croissance positive des salaires. Si l’on veut garantir des prestations, le moyen le plus efficace d’un point de vue économique est d’opter pour un système de répartition et de les limiter au minimum vital pertinent en termes de politique sociale. Si l’AVS actuelle ne devait pas suffire, il faudrait augmenter ce système de prévoyance par le biais d’une TVA plus élevée et de pourcentages salariaux supplémentaires. Ce serait une base pour supprimer toutes les restrictions dans le deuxième pilier.
Que pensez-vous des réflexions visant à fusionner l’AVS avec la partie obligatoire de la LPP?
Je ne prendrais pas la totalité du régime obligatoire, mais seulement la partie nécessaire au maintien du minimum vital. Le défaut de construction du système actuel réside dans le mélange d’un système d’assurance sociale avec un modèle de formation de capital.
Les redistributions sociopolitiques ne passent-elles pas avant tout par un système de prévoyance basé sur la répartition comme l’AVS?
Oui, c’est non seulement efficace d’un point de vue économique, mais aussi approprié d’un point de vue réglementaire.
Dans le deuxième pilier, on assiste à une redistribution croissante des actifs vers les retraités. Comment peut-on y mettre fin?
Tout d’abord, la redistribution fait partie de tout système de prévoyance. Mais en Suisse, cette redistribution est particulièrement marquée et surtout difficile à cerner en raison des prescriptions éloignées du marché des capitaux. De nombreuses institutions de prévoyance utilisent toujours un taux d’intérêt technique plus élevé pour les retraités que pour les actifs, dont la limite supérieure se situe actuellement à environ 1,7%. Comme ce taux est toujours nettement supérieur au taux d’intérêt sans risque, les actifs d’aujourd’hui vivent déjà sur le dos de la génération qui n’est peut-être même pas encore entrée dans le processus de travail!
A cela s’ajoutent les effets de redistribution entre les sexes. Une étude spécifique (La vie économique, numéro 04/2021) montre que cette redistribution est moins marquée chez les femmes que chez les hommes, car elles sont moins souvent assurées dans la partie surobligatoire de la prévoyance professionnelle. L’élimination du système des prescriptions de rémunération étrangères au marché des capitaux permet de réduire ces redistributions.
Il existe des effets de redistribution substantiels des personnes mieux rémunérées vers les personnes moins bien rémunérées entre la partie surobligatoire et la partie obligatoire du deuxième pilier. Bien que le taux de conversion dans le régime obligatoire reste à 6,8%, les caisses de pension enveloppantes travaillent déjà avec un taux de conversion d’environ 5%. Cela permet de calculer à quel point le taux de conversion est bas dans le régime surobligatoire. De tels calculs mixtes manquent toutefois largement de transparence pour les personnes extérieures, ce qui explique en partie pourquoi le système de prévoyance suisse dégringole dans les notations internationales.
En Europe continentale, il n’y a que très peu de pays qui, à l’instar de la Suisse, disposent d’une part aussi importante du deuxième pilier dans la prévoyance vieillesse globale.
C’est un point important. De nombreux classements ne regardent que les promesses de prestations des systèmes. L’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne sont loin devant. Mais lorsqu’il s’agit du financement, c’est l’Etat qui entretient ces œuvres sociales avec l’argent des contribuables. Seuls les Pays-Bas, les Etats-Unis et la Suisse disposent d’une prévoyance vieillesse reposant sur une base plus large. C’est pourquoi de telles comparaisons internationales ne sont guère pertinentes si elles ne prennent pas en compte l’aspect du financement.
De quelle manière faudrait-il libéraliser la prévoyance professionnelle en Suisse?
Il faut créer davantage de possibilités de choix pour les assurés. Je ne suis pas opposé à un système patronal, car l’employeur participe ainsi à la prévoyance et contribue à l’attractivité sur le marché du travail grâce à des plans de prévoyance personnalisés. Cela nécessite un conseil moderne pour les assurés, qui tienne compte de la situation familiale et de la disposition personnelle à prendre des risques. Cette offre est encore rare aujourd’hui.
Le taux d’intérêt minimal est fixé chaque année par le Conseil fédéral. Quelle serait la formule à appliquer si l’on se basait sur le marché?
Le taux d’intérêt déterminant serait celui d’une obligation de la Confédération à long terme, par exemple de dix ans, en francs suisses.
Quelle stratégie permet à une caisse de pension de maintenir une capacité de rendement adéquate dans un environnement de taux bas?
Une capacité de rendement suffisante nécessite des placements à risque en actions, en obligations d’entreprises, en métaux précieux et en placements immobiliers directs ou indirects. L’essentiel est que la capacité de rendement du portefeuille détermine les performances ultérieures et que des objectifs de performance irréalistes ne dictent pas la stratégie de placement. En fin de compte, c’est la capacité de risque d’une caisse qui décide de l’organisation concrète de la stratégie.
Lors de l’introduction de la LPP, l’objectif était de garantir, avec l’AVS, environ 60% du dernier salaire après la retraite. Cela sera-t-il encore possible à l’avenir?
Non. Mais peut-être que cette réalisation est aussi une question de temps et de changement de génération. Avec un système de répartition issu du processus budgétaire, on peut au moins créer les conditions pour qu’une personne ne tombe pas sous le minimum vital.
Bio express
Heinz Zimmermann
(63 ans) est professeur de théorie des marchés financiers à l’Université de Bâle. Auparavant, il a été professeur d’économie et de finance à l’Université de Saint-Gall et a dirigé l’Institut suisse des banques et des finances. Il est cofondateur de plusieurs entreprises (dont PPCmetrics) et membre de plusieurs conseils d’administration.