Elles s’appellent Zak, Yapeal, Revolut, CSX, Alpian, Neon, Yuh… En dépit de ces noms sonnant un peu étrangement, elles se veulent les équivalentes d’institutions solidement établies comme UBS, Credit Suisse, BCV, BCGE, Raiffeisen. A une notable différence près: elles n’entretiennent pas de guichets, pas de murs, ni de marbre. Leur unique présence se trouve dans les smartphones de leurs clients. Ce sont les néobanques, qui ne visent rien de moins que de révolutionner la relation que le public entretient avec les institutions financières.
«Je suis persuadé que, dans cinq à dix ans, la banque traditionnelle «de détail» aura fortement évolué. Pour les opérations simples, la paperasserie aura cédé la place à la digitalisation. Le conseiller à la clientèle aura largement disparu, mais l’intervention humaine demeurera indispensable pour certaines opérations spécifiques et complexes», avance Markus Schwab, directeur de Yuh, un établissement détenu à parité par Swissquote et PostFinance fondé le printemps dernier - et qui opère sous la licence bancaire de Swissquote Bank.
Une entrée timide en Suisse
La concurrence n’est pas en reste en matière de slogans ambitieux: «Le futur a commencé», lance Yapeal, une start-up lancée en 2020 avec le soutien de l’éditeur de logiciels d’entreprise Abacus. «Continuons à changer le secteur bancaire ensemble!» proclame Neon, qui collabore avec la Banque hypothécaire de Lenzbourg (AG). D’autres mettent l’accent sur l’innovation: «La première véritable banque suisse sur smartphone», affirme Zak, filiale de la banque Cler. Ou encore la simplicité d’utilisation: «Compte, carte et tout le reste. Le tout dans une seule app», dit CSX, fondée par Credit Suisse. Enfin, toutes font valoir leur argument massue: leur utilisation est, pour l’essentiel, gratuite, ce qui n’est pas un moindre avantage alors que les banques traditionnelles ne cessent d’augmenter leurs frais.
Les néobanques se lancent à l’assaut d’un marché encore largement à prendre, celui de «la génération qui est née et a grandi un smartphone à la main», comme le résume Markus Schwab. Quelque 600 000 personnes auraient déjà ouvert un compte auprès de ce genre d’établissement, selon une estimation d’Andreas Dietrich, directeur de l’Institut des services financiers de la Haute Ecole de Suisse centrale, à Zoug. «Le client type de ces banques est un homme jeune disposant d’une bonne formation et d’un revenu élevé», précise-t-il dans La vie économique.
Apparues il y a une dizaine d’années au Royaume-Uni puis en Allemagne, les néobanques ont d’abord fait une entrée timide en Suisse. Les investissements nécessaires à une implantation en Suisse ne valaient souvent pas la peine d’être consentis face à un marché généralement qualifié de «surbancarisé», aux trafics des paiements et aux procédures d’obtention d’une licence bancaire spécifiques.
Divers services
La plupart des néobanques ne distribuent pas d’intérêts à leurs clients. Cela n’est, pour le moment, pas un grand désavantage, vu que les banques ordinaires n’en distribuent que très peu, et que ces derniers ne correspondent parfois même pas au total des frais facturés aux petits clients. C’est donc sur le plan de la praticabilité qu’elles tentent de faire la différence.
Le principal atout des néobanques, comme le résume Philippe Aimé, directeur de l’agence de marketing digital Convertize à Lausanne et à Londres et animateur du site de comparaisons NeoBanques.app, «est que tout se fait dans l’application: pas de rendez-vous en agence pour ouvrir un compte, pas de papier à signer pour avoir une carte bancaire. De plus, la sécurité est simplifiée, tout en restant robuste: pas besoin d’un appareil externe ni de seconde application. Enfin, les transactions sont immédiatement visibles et l’utilisateur est averti par notification push.»
Toutes les néobanques n’offrent pas les mêmes services. Des établissements comme Zak, Yuh et CSX visent une clientèle généraliste avec des activités classiques de dépôt, de placements dans des fonds, de négoce de titres et de placements dans des institutions de prévoyance. D’autres se spécialisent: ainsi, Alpian, liée au groupe Reyl, vise la clientèle fortunée qui recourt à la gestion de fortune et FlowBank, fondée par le Genevois Charles Henri Sabet, se concentre sur le trading.
Les banques étrangères domicilient les comptes hors de Suisse: en Lituanie, pour le cas de Revolut, par exemple. Toutes n’offrent pas spécifiquement de services pour les entreprises: «Yuh se concentre sur la clientèle privée, pas celle des entreprises. Un élargissement de l’offre pourrait être envisagé», explique Markus Schwab, qui précise que «cela ne représente pas une priorité».
Mais Philippe Aimé pointe une lourdeur du système: «Les néobanques suisses utilisent les méthodes de transfert des autres banques, qui sont assez rapides mais pas instantanées», ce qui n’est pas un atout, alors que l’application Twint permet déjà les micropaiements instantanés par téléphone portable. De plus, le système suisse des paiements s’est modernisé ces dernières années avec l’instauration «des factures électroniques (e-bills) et les codes QR notamment (qui remplaceront les bulletins de versement dès le 30 septembre 2022, ndlr), inconnus à l’étranger», comme le reconnaît Markus Schwab.
Une douzaine d'acteurs en Suisse
D’autres inconvénients apparaissent aussi à l’usage des néobanques, à commencer par celui, majeur, de perdre son téléphone: «Il est difficile d’y déposer de l’argent liquide, étant donné l’absence de guichets», souligne Philippe Aimé. De plus, note-t-il, pour les opérations complexes comme le trading ou la mise en œuvre de solutions de prévoyance, «elles n’ont pas de conseiller clientèle attitré». Toutes les questions doivent être adressées à la banque par courrier électronique, voire par un coup de téléphone au service clientèle. Ce qui peut, comme ailleurs, prendre un certain temps.
Enfin, elles sont soumises, comme leurs concurrentes traditionnelles, aux dispositions de lutte contre le blanchiment d’argent. Elles doivent par conséquent s’assurer de l’identité du client, de ses intentions, etc. Cette procédure se passe en ligne: le demandeur de compte doit fournir des photos recto verso de sa carte d’identité ainsi qu’un selfie pris lors de l’ouverture du compte. Un logiciel va s’assurer de la ressemblance. Contrat et conditions générales sont similaires à ceux d’un établissement traditionnel. Aucun allègement des procédures à attendre de ce côté-là!
La douzaine d’établissements sur smartphones désormais installés, ou en voie de l’être, devront assurer leur place dans un marché chaudement disputé. «La Suisse n’a pas besoin de dix néobanques. Peut-être que trois suffisent. Nous aspirons naturellement à en être», explique Markus Schwab, dont la banque, Yuh, qui compte 55 000 clients, en vise 100 000 d’ici à la fin de l’année. Fin février, Yapeal a dû admettre qu’elle devait réduire son budget d’acquisition de clients, faute de moyens financiers. Son problème: elle ne dispose pas, contrairement à d’autres, des bassins de clients qu’offrirait une collaboration avec une banque existante.
Un lent démarrage
Les néobanques étrangères Revolut et Neon ont fait œuvre de pionnières. Puis les premières institutions indigènes se sont lancées dès 2017. L’entrée en vigueur le 1er janvier 2019 de la «licence fintech», prévue par une révision de l’ordonnance sur les banques, a donné une nouvelle impulsion avec par exemple le lancement de Yapeal. Cette nouvelle licence permet à la Finma d’attribuer des licences allégées aux institutions jugées innovantes, pour autant qu’elles acceptent moins de 100 millions de francs de dépôt de la clientèle et ne rémunèrent pas celle-ci.