Quatre écuries de formule 1 ont leur siège dans la région pittoresque située entre Birmingham et Londres. Mercedes-AMG Petronas s’est installée à Brackley, un village de 13 000 habitants. Un millier de personnes y construisent les bolides de George Russell et de Lewis Hamilton. Des dizaines de trophées sont exposés à la réception, tout comme la voiture avec laquelle le pilote de tous les records a perdu son titre lors du dernier Grand Prix de la saison dernière. Dans ce temple de la formule 1, Lewis Hamilton vient nous accueillir en baskets, tenue décontractée et de bonne humeur.
Sir Lewis, vous étiez en lice dans un consortium pour acquérir Chelsea, le club de foot (racheté début mai par deux hommes d’affaires américains et Hansjörg Wyss, un milliardaire suisse, ndlr). Pourquoi cet intérêt?
Lewis Hamilton: Je suis toujours à la recherche de nouvelles opportunités d’investissement. Le football est le plus grand sport du monde et Chelsea l’un des plus grands clubs. Il y a un énorme potentiel d’impact positif à long terme, tant pour le club que pour la société, et j’aurais pu y contribuer grâce à mon expérience dans le sport et sur les questions de diversité et d’inclusion.
Que signifie l’argent pour vous?
J’ai une très bonne qualité de vie, je peux prendre soin de ma famille, mes sœurs, mes parents qui ont rendu possible ma carrière en formule 1 alors qu’ils n’étaient pas fortunés. Ça me permet aussi d’investir (sa fortune est estimée à 300 millions de livres sterling, ndlr).
Suivez-vous l’état de votre fortune?
Bien sûr. Je suis très attentif à tout ce qui entre ou sort. J’ai une équipe chargée de mon patrimoine, mais je décide moi-même où j’investis. Je passe beaucoup de temps en visioconférence avec des gens de la Silicon Valley, du secteur de l’énergie, de la tech. Je veux savoir ce qui se passe dans le monde et chercher de bonnes opportunités d’investissement.
Vous avez investi, notamment, dans une chaîne de burgers végétaliens, un magazine de mode, un service de livraison de repas, des courses électriques. Quel est le rapport entre ces investissements?
Je suis très attentif aux questions de santé et de bien-être, et j’essaie d’aider les autres à devenir une meilleure version d’eux-mêmes. J’investis beaucoup dans les technologies d’avenir qui, je l’espère, profiteront à la planète et à ses habitants.
«Pour certaines entreprises, je veux simplement soutenir la croissance. Pour d'autres, je siège au conseil d'administration.»
Dans quelle mesure êtes-vous engagé dans vos investissements?
Cela varie d’une entreprise à l’autre. Pour certaines entreprises, je veux simplement soutenir la croissance, pour d’autres, je siège au conseil d’administration, mon influence est alors naturellement plus grande, comme pour le magazine de mode W. La mode et le design m’intéressent beaucoup. Pour la boisson énergétique Monster, par exemple, j’ai dessiné la canette et participé à tous les tastings.
Vous avez également créé une ligne de vêtements avec Tommy Hilfiger il y a quatre ans, lorsque la marque était dirigée par le Suisse Daniel Grieder. Quel était exactement votre rôle?
J’étais fan de cette marque depuis l’enfance, je l’ai toujours portée. Et j’ai toujours voulu créer ma propre ligne de vêtements. J’allais toujours aux défilés de mode, je posais des questions aux designers pour en apprendre toujours plus. Et je regardais leurs créations en me disant: «OK, si cela m’appartenait, que ferais-je différemment?» A un moment donné, j’ai mis Daniel Grieder en contact avec Toto Wolff, le directeur de Mercedes-AMG F1, et je les ai convaincus de s’associer.
Est-il vrai que vous approuvez personnellement ce qui figure au menu de votre chaîne de burgers?
Nous le faisons ensemble au conseil d’administration. Je n’assiste pas à toutes les réunions mais je goûte à chaque assiette et je suis au courant de tous les projets d’expansion, comme actuellement aux Etats-Unis. La chaîne connaît une belle croissance organique.
Pourquoi êtes-vous devenu végétalien?
Jusqu’à il y a six ans, je ne savais pas grand-chose sur le sujet. Puis j’ai rencontré une végétalienne. Elle m’a montré des vidéos sur l’élevage des animaux. J’étais horrifié, je ne pouvais pas croire ce que je voyais. J’aime les animaux et je pense qu’aucun d’entre nous n’a le droit de prendre la vie. De plus, l’industrie de la viande est un énorme émetteur de CO2. C’est pourquoi je voulais apporter ma contribution en renonçant à la viande.
Pour des raisons éthiques principalement?
Au début, oui. Et puis j’ai remarqué que, en tant que sportif, j’en profitais aussi physiquement. Depuis l’enfance, j’avais des allergies, des ballonnements, des variations du niveau d’énergie. Tout cela a disparu aujourd’hui. Depuis que j’ai changé mon alimentation il y a six ans, j’ai remporté cinq titres de champion du monde. J’ai développé ma masse musculaire, je suis plus en forme et plus fort que jamais. Et, de surcroît, j’ai bonne conscience.
Est-il vrai que vous nourrissez également votre chien exclusivement de manière végétalienne?
Oui. J’ai eu deux bouledogues, une femelle et un mâle, pour lesquels je me sens comme un père qui veut le meilleur pour ses enfants. Ils avaient des problèmes respiratoires depuis leur plus jeune âge et la femelle est décédée très tôt. Je voulais donc que le mâle reste le plus longtemps possible avec moi et c’est pourquoi j’ai changé son alimentation. Roscoe a maintenant 9 ans. Il court partout comme un chiot, il n’a plus de problèmes respiratoires, il fait même son jogging avec moi!
Vous soutenez aussi l’Unicef, Black Lives Matter, les LGBTQ, les droits de l’homme, les anciens combattants, les jeunes socialement défavorisés, vous vous engagez contre le changement climatique, le racisme, les déchets plastiques…
(Rires.) Oui, je m’engage dans de nombreux domaines, je considère cela comme une responsabilité.
Il serait probablement plus efficace de se concentrer sur une ou deux causes.
Vous avez raison, cela rend certainement les choses difficiles. Je me concentre principalement sur la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances. C’est pourquoi j’ai créé ma fondation Mission 44. Mais je ne veux pas me contenter d’un seul combat, je veux faire bouger les choses. Si un sujet me préoccupe, je publierai quelque chose à ce propos, car il y a des gens dehors qui ne savent peut-être même pas ce qui se passe. En réalité, je ne sais pas de combien de temps je dispose, je pratique un métier dangereux. J’ai vu des gens dans les derniers moments de leur vie me dire: «Je ne peux pas croire que je n’ai plus de temps.» J’espère vivre longtemps et pouvoir influencer des millions de personnes. Et même si ce n’est qu’un, deux ou dix jeunes, ce serait déjà super.
«Comment pouvons-nous, en tant que circuit de formule 1, travailler de manière plus responsable?»
Vous vous engagez pour la protection du climat et en même temps, en tant que pilote de course, vous rejetez des tonnes de CO2 dans l’air. Comment est-ce que vous conciliez les deux?
C’est en effet un exercice d’équilibre difficile. Mais si je quitte la formule 1 demain, quelqu’un d’autre prendra ma place et le business continuera comme avant. C’est pourquoi je réfléchis ainsi: qu’est-ce que je peux changer de l’intérieur? Comment pouvons-nous, en tant que circuit de formule 1, travailler de manière plus organique, plus responsable? Nous utilisons maintenant 10% de biocarburant, jusqu’où pouvons-nous aller? Comment pouvons-nous introduire en formule 1 des technologies qui permettent des progrès en matière de durabilité?
Vous vous engagez pour les droits de l’homme. Pourtant, vous participez à des courses dans des pays où la situation des droits de l’homme est catastrophique, comme l’Arabie saoudite ou Bahreïn.
C’est très difficile et compliqué. Beaucoup de gens me questionnent là-dessus. Mais ce n’est pas si simple. J’ai un engagement, un contrat avec Mercedes-AMG, une énorme organisation. Si je ne me présente pas, cela peut impacter des milliers de personnes. Si je refuse de participer à certaines courses, le grand cirque de la formule 1 continuera à s’y rendre. Je n’ai donc pas d’autre choix que d’avaler cette couleuvre. Mais je profite de toutes les possibilités de m’exprimer. J’essaie de parler avec ceux qui prennent les décisions en coulisses. Mais, là aussi, ce n’est pas facile. Ces personnes ont également des engagements qui remontent parfois à des décennies.
Quand est-ce que vous vous dites «là, c’est inacceptable»?
Nous avons déjà atteint le point où ce n’est plus acceptable! Et nous avons réagi. Cette année, nous aurions dû faire une course en Russie. Nous ne le faisons pas parce que le pays est en guerre. En Arabie saoudite, des missiles sont même tombés non loin du circuit avant la course de Djeddah. Là aussi, il faudra y réfléchir à l’avenir. Le sport peut faire bouger les choses à condition de ne pas simplement venir pour un événement et repartir ensuite sans que rien change.
Avec combien d’argent soutenez-vous vos différents engagements?
Au fil des ans, j’ai fait beaucoup de dons. Dernièrement, j’ai créé la fondation de recherche Hamilton Commission, que j’ai financée à hauteur de 20 millions de livres. Mon objectif à long terme est de soutenir d’autres projets d’une ampleur similaire.
Vous avez vécu quatre ans en Suisse. Comment êtes-vous arrivé là?
En 2007, lorsque j’ai eu la possibilité d’entrer en formule 1, mon père m’a proposé de partir dans un autre pays. J’ai donc déménagé à Vésenaz, près de Genève. La Suisse est très pratique géographiquement pour un pilote de formule 1. Et c’est l’un des plus beaux pays qui soient, avec des paysages magnifiques, des lacs et des montagnes. J’y ai vécu quatre ans. J’ai déménagé ensuite à Wollerau, car, depuis Zurich, il y a des vols directs vers de nombreuses destinations et le temps est précieux pour moi. Et c’était magnifique, j’avais un petit bateau sur le lac et je savais que quelque part en face vivait Tina Turner (rires).
1985 Naissance à Stevenage, en Angleterre. Son grand-père paternel est originaire de la Grenade, la famille de sa mère de Birmingham.
2008 A 23 ans, Lewis Hamilton devient le plus jeune champion du monde de formule 1, record battu en 2010 par Sebastian Vettel.
2021 Le pilote est nommé chevalier de l’Empire britannique par la reine Elisabeth II.