«Faire sa crise de la quarantaine avec dix ans d’avance a du bon. Je résume. Après avoir travaillé cinq ans chez WPP, à New York, la plus grande entreprise de communication et de publicité du monde, j’ai échappé de justesse à la grande purge décrétée par George Bush Jr. visant les travailleurs étrangers, suite au séisme financier de 2008. A vrai dire, j’ai quitté les Etats-Unis grâce à une promotion interne qui m’emmena à Singapour. J’avais parmi mes clients le groupe automobile Audi, que j’ai fini par rejoindre en tant que directrice marketing. Une marque à vocation sportive à laquelle je m’identifiais totalement, moi qui ai toujours été grisée par la vitesse, à moto ou sur des skis, en compétition.
Le début de la gloire. J’exagère à peine. Avec mon équipe, nous avons en effet décroché plusieurs Awards, récompenses que la société n’avait jamais décrochées là-bas. On cartonnait. Des résultats qui faisaient grimper nos salaires et nos bonus. Il faut savoir qu’à cette folle époque l’automobile payait autant que le secteur financier. Dans la foulée, le groupe m’a proposé de développer le marché chinois. Et hop! Départ pour Changchun, capitale de l’ex-Mandchourie. Une ville de 7 millions d’habitants au milieu de nulle part, où le thermomètre descend jusqu’à -40°C en hiver. Pas drôle. Mais motivant. Et très lucratif. Autre région, autres mœurs, mais même succès. Conséquence, entre 2016 et 2018, mes responsabilités ont continué de s’envoler et ma cagnotte d’enfler. C’est là que je reviens à ma crise existentielle. A 35 ans, j’avais amassé quelques centaines de milliers de francs, empilé des réussites professionnelles, mais je ne me sentais pas très épanouie. Après quinze ans à l’étranger, j’avais le sentiment de passer à côté de l’essentiel. La famille, les amis, ma ville. Surtout, je ressentais fortement le besoin de créer quelque chose moi-même.
Et autant dire qu’en matière d’inspiration la Chine n’a pratiquement pas d’équivalent. Ce qui frappe d’abord dans une ville chinoise, c’est la circulation. De gigantesques bouchons en permanence. A tel point que je me déplaçais systématiquement à vélo, alors que je disposais d’une limousine avec chauffeur. Avec le temps, l’idée de se déplacer autrement qu’en voiture a fini par s’imposer. Un concept qui me tenait de plus en plus à cœur. Je l’évoquais souvent avec Daniel van den Berg, un pote fou de mobilité et de vélo que j’ai rencontré en Chine. Nous ne le savions pas encore, mais, en 2018 déjà, la start-up Miloo venait d’être lancée, avant que nous la créions officiellement en 2020, à Genève. A partir d’un postulat simple: comme plus de 70% des voyages quotidiens que nous effectuons ne dépassent pas 20 kilomètres, nous avons pris le pari que la tendance voiture vs mobilité douce finira par s’inverser. Et ça marche. Les ventes de trottinettes et de vélos électriques de notre conception ont tout de suite décollé. Un million de chiffre d’affaires en 2021, 5 millions espérés cette année grâce à l’ouverture d’un magasin à Lausanne et d’un autre à Zurich, pourquoi pas 100 millions à l’horizon 2030!
Le potentiel est énorme et notre terrain de jeu est l’ensemble du monde occidental. Grâce à une récente levée de fonds de 2,5 millions, le développement s’accélère. De trois personnes en 2020, nous sommes 15 aujourd’hui. Ce n’est pas encore le jackpot, mais ça pourrait le devenir. En fait, à ce stade, le vrai jackpot, c’est celui qu’on a thésaurisé en Asie, qui nous a permis de créer l’entreprise. Comme quoi, un jackpot peut en cacher un autre…»