Les cryptomonnaies vivent depuis le début de l’année l’une des pires périodes de leur jeune histoire, avec des cours qui s’effondrent, par exemple de 55% pour le bitcoin au premier semestre. Cela n’empêche pas un engouement progressif de la part des entreprises pour une qualité que les spéculateurs oublient, celle de leurs capacités transactionnelles. En 2019, le grand hôtel Dolder, à Zurich, faisait encore figure de pionnier en acceptant les paiements en bitcoins. L’an dernier, World-line, le numéro un européen des paiements électroniques, et la plateforme Bitcoin Suisse, à Zoug, annonçaient permettre à leurs 85 000 utilisateurs en Suisse d’accepter les paiements en bitcoins et en ethers, les deux cryptomonnaies les plus utilisées dans le monde.

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Mais attention, des règles de comportement très rigoureuses sont à appliquer pour éviter les mauvaises surprises. Les cryptomonnaies ne sont pas que cet univers encore jugé hostile par nombre d’entrepreneurs qu’inquiète la volatilité parfois extrême des cours et dont les alarmes sont alimentées par les avertissements répétés des autorités monétaires internationales et des gendarmes de la finance. Leur utilité transactionnelle est exposée par les expériences personnelles de deux de leurs plus fervents partisans, Emilie Raffo, cofondatrice et directrice de ChainSecurity, une société d’audit de smart contracts à Zurich, et Alexis Roussel, cofondateur et patron de Bity à Neuchâtel, pionnier des cryptomonnaies en Suisse romande.

Le constat «Il y a des frais, mais ils sont moins élevés que ceux des banques», note d’emblée la fondatrice de ChainSecurity.

«La rapidité des transactions est bien plus élevée», ajoute Alexis Roussel. Leurs modes opératoires sont similaires et sont basés sur de solides règles de prudence: lorsqu’ils honorent un paiement, ils transfèrent le montant en francs vers une plateforme de négoce de cryptomonnaies, qui convertit au cours du moment avant d’envoyer la somme au destinataire. La durée d’une transaction s’échelonne entre quelques minutes et une heure. Les paiements qu’ils reçoivent en cryptomonnaies leur parviennent également via une plateforme de négoce. Ils sont immédiatement convertis en francs au cours du jour. «Le risque, c’est les paiements qui arrivent le week-end», met toutefois en garde Emilie Raffo. La valeur peut vite évoluer, en effet.

Pour que ces transactions apportent un avantage certain, elles doivent concerner des contreparties hors de Suisse et d’Europe. Pourquoi? Parce que les systèmes de paiement à l’intérieur du continent sont devenus très efficaces pour des prix modiques. «Pour les paiements en Suisse, Twint fonctionne très bien», relève Emilie Raffo, qui ne les envisage sérieusement que «hors zone SEPA» (Single Euro Payments Area, le système de paiements transfrontaliers en euros).

Ensuite, certaines régions du monde paraissent mieux disposées que d’autres à l’emploi de cryptopaiements. «Plus on va vers l’Asie, plus ils sont utilisés», constate Alexis Roussel. Question d’ouverture à la technologie blockchain, comme c’est le cas de la Corée ou de Singapour, ou de contrôle des mouvements de capitaux, comme en Chine. Les principaux utilisateurs sont «les pays dont la monnaie est de mauvaise qualité», poursuit-il pudiquement. Des contrées habituées aux mouvements de change brutaux, difficiles à anticiper, provoqués principalement par des décisions gouvernementales dont la rationalité économique ne saute pas aux yeux. Principaux candidats: maints pays latino-américains, Argentine en tête.

Faire preuve de prudence

On l’a compris, l’utilisation des cryptomonnaies permet d’esquiver l’obstacle posé par l’instabilité de certaines monnaies. Mais en matière de stabilité, le monde crypto est loin de donner l’exemple. L’ether, qui représente 20,7% de la masse des cryptomonnaies, a chuté de 53,9% depuis le début de l’année, davantage encore que le bitcoin (41,1% de la masse en circulation). Les cryptodevises qui progressent le plus sont de confidentielles créations, à l’instar de l’unus sed leo (+34%), un jeton lancé en 2019 par la plateforme de trading Bitfinex.

«On peut utiliser le bitcoin et l’ether pour des transactions commerciales», estime néanmoins Alexis Roussel, qui y voit l’avantage, avant tout, de leur grande liquidité. Mais leur importante volatilité doit inciter les détenteurs à faire preuve de prudence pour éviter les déconvenues.

Le conseil Leur usage doit être réservé aux personnes jouissant déjà d’une expérience confirmée des transactions à large échelle dans le domaine des cryptomonnaies.

Sinon, plus sûrs et presque aussi rapides sont les stablecoins. Ces monnaies numériques circulant sur la blockchain tout comme le bitcoin, l’ether et les autres offrent un avantage supplémentaire: leur cours est fixe (en principe) par rapport à celui d’une valeur de référence. Plus d’une centaine de stablecoins sont listés sur le site de référence CoinMarketCap, du neutrino au reserve token, en passant par le rupiah token, ce dernier étant un jeton répliquant la valeur de la roupie indonésienne.

Il n’en existe pas encore en euros, quoiqu’un projet soit en préparation. Mais l’on y trouve quand même un cryptofranc (XCHF), aligné sur le franc suisse, émis par Bitcoin Suisse. Mais la valeur totale des jetons en circulation ne dépasse pas 2 minuscules millions de francs.

Tornade dans les cryptomonnaies

«Les stablecoins qui ne sont pas en dollars n’ont pas de véritable valeur économique», résume Alexis Roussel. Et encore, pour nos spécialistes, seuls deux d’entre eux réunissent les conditions pour être employés à des transactions commerciales: le tether (USDT) et l’USD coin (USDC). Tous deux, comme leur nom l’indique, sont alignés sur le billet vert. «Le second est mieux régulé que le premier, mais le premier est plus liquide que le second», explique Emilie Raffo.

Le tether est garanti par une société, Tether, basée à Hongkong et à Los Angeles, disant détenir quelque 65 milliards de dollars de réserves sous forme, majoritairement, de bons du Trésor américain, l’exacte contre-valeur des jetons en circulation, selon CoinMarketCap. L’USD coin est émis par un consortium formé de la plateforme de négoce Binance et de l’entreprise de paiements The Circle, toutes deux aux Etats-Unis. Sa masse monétaire se monte à 55 milliards de dollars. Aucun des deux n’a vu sa valeur varier de manière significative par rapport au billet vert depuis le début de l’année, contrairement à d’autres, dont les modèles n’ont pas résisté à la tornade qui sévit dans les cryptomonnaies, à l’instar du terra, qui s’est effondré de 95% en quelques heures à la mi-mai. Il était certes basé sur le dollar lui aussi, mais au moyen d’algorithmes…

Il n’en va au fond pas très différemment des transactions en cryptomonnaies des autres. «Ce sont de simples opérations de caisse», résume Alexis Roussel. Mais qui, si l’entreprise est familière de cet univers et qu’elle y trouve son avantage, peut représenter, comme chez ChainSecurity, une part substantielle des transactions totales de l’entreprise.