Les rachats étaient particulièrement recommandés dans l’environnement de taux d’intérêt zéro, voire négatifs, que l’on vient de quitter, puisque les assurés bénéficiaient non seulement, dans le cadre de la LPP obligatoire, d’un taux d’intérêt minimal de 1%, mais aussi de substantiels gains fiscaux. Mais avec la remontée des taux d’intérêt et en particulier le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans, qui avoisine 1,5%, l’approche ne change-t-elle pas? «Pas du tout, s’exclame Albert Gallegos, responsable de la planification financière auprès de la Banque cantonale de Genève. En effet, les rachats permettent d’obtenir des rendements beaucoup plus élevés, et en principe sans risque.»
A l’appui de son affirmation, notre interlocuteur prend un exemple basé sur des rachats étalés sur plusieurs années, ce qui permet d’optimiser les économies fiscales, et qui respecte le délai de trois ans avant le dernier rachat. Ce qui donne la possibilité de procéder à un éventuel retrait du capital au départ à la retraite, sans avoir à rembourser l’économie fiscale réalisée sur le ou les derniers rachats.
Albert Gallegos prend donc le cas d’un couple de contribuables établi à Genève qui dégage un revenu annuel d’environ 150 000 francs de revenus imposables. Ce couple décide de procéder à un rachat de 100 000 francs dans la caisse de pension d’un des conjoints onze ans avant l’âge de la retraite, dans la partie obligatoire rémunérée à 1%, à raison de 20 000 francs par an, au cours des cinq prochaines années. Avec un taux marginal d’imposition d’environ 39%, l’économie fiscale sur chaque rachat s’élève à 7811 francs (= CHF 20 000 x 39,06%). En d’autres termes, chaque rachat de 20 000 francs ne coûtera en fait que 12 189 francs (= CHF 20 000 – CHF 7811).
Au bout de cinq ans, les économies fiscales se monteront à 39 055 francs (= CHF 7811 x 5 ans). Pour déterminer l’économie fiscale nette, il faut déduire l’impôt sur le retrait du capital pour ce montant. D’une manière très théorique, notre spécialiste prend en considération l’impôt comme si seul le montant racheté était retiré, donnant un montant à payer de 3773 francs. Dans ces conditions, l’économie fiscale nette serait de 35 282 francs (= CHF 39 055 – CHF 3773). Ce qui procure un rendement net annuel après impôt de 6,26% à l’âge de la retraite, selon ses calculs. «Pour parvenir à un tel résultat, il faudrait un taux d’intérêt brut pour un placement de même nature, mais qui serait évidemment soumis à un impôt, de 10,27%, affirme notre interlocuteur. Dans une caisse surobligatoire dont le taux d’intérêt crédité serait de zéro, le rendement net annuel serait encore de 5,25%, correspondant à un taux d’intérêt brut de 8,62%.»
Avant de se réjouir de ces rendements mirobolants, «il convient toutefois de préciser que les résultats auraient grandement varié selon les barèmes cantonaux de l’impôt sur le revenu et ceux de l’impôt sur le retrait de tout ou partie du 2e pilier, même si le rachat s’avère généralement intéressant», rappelle Trang Fernandez-Leenknecht, de la société Holistik, spécialiste en planification patrimoniale et fiscale à Genève, Zurich et Zoug.
Par ailleurs, cet exemple met en évidence le poids des déductions fiscales pour dégager un rendement aussi élevé, qui surcompense la faiblesse du rendement de la caisse de pension. On comprend ainsi que plus les rachats sont effectués longtemps avant le départ à la retraite, plus les économies fiscales se diluent dans le temps. «En d’autres termes, explique notre experte, si vous avez encore vingt ans devant vous avant d’arriver à l’âge de la retraite, le rendement espéré sur les marchés financiers s’avère nettement plus élevé que par le biais de rachats. D’autant plus que les gains en capital échappent à tout impôt.» «Dans ce cas, il peut être judicieux de plutôt investir sur les marchés financiers, et attendre de faire les rachats quelques années avant le délai fatidique de trois ans.»
Par ailleurs, poursuit notre interlocutrice, il est important que cette démarche s’inscrive dans ses projets de vie dans les trois ans qui suivent le dernier rachat, qui nécessiteraient la mobilisation des montants rachetés. «Parmi ces projets de vie, il y a le déménagement à l’étranger, l’acquisition d’un bien immobilier ou encore les conséquences d’un divorce.»
Le rachat est par ailleurs déconseillé si la caisse présente un taux de couverture inférieur à 100%. «En cas de risque de mesures d’assainissement qui pourraient porter préjudice au montant racheté, il serait préférable d’attendre, en privilégiant la contribution au 3e pilier lié, dont la cotisation est également déductible fiscalement, recommande Pasquale Zarra, CEO de Lemania Pension Hub. En effet, contrairement au 2e pilier, on ne peut pas rattraper les années de cotisations manquantes dans le 3e pilier lié à l’heure actuelle. Cette solution serait aussi particulièrement pertinente si la caisse de pension était menacée de liquidation partielle, impliquant le risque de faire une perte non seulement sur le montant des rachats, mais aussi sur l’ensemble de son avoir de prévoyance.»
Lorsque les époux sont tous deux assurés auprès d’une caisse de pension différente, il est logique de faire d’éventuels rachats dans celle qui offre les meilleures prestations, tant en termes de rémunération des avoirs que de taux de conversion – si le rachat est destiné à être converti en rentes –, tout en tenant compte de sa solidité. «Il y a également un autre critère, détaille encore Pasquale Zarra, c’est l’âge du conjoint, pour autant que les rachats soient possibles dans chacune des deux institutions de prévoyance. Pour respecter la règle des trois ans avant la (pré) retraite, il est donc judicieux de commencer les rachats dans la caisse de pension de l’assuré le plus âgé. De cette manière, le couple se laisse de la marge pour pouvoir éventuellement procéder à de nouveaux rachats dans la caisse de pension du conjoint le plus jeune.» Mais n’est-ce pas dangereux en cas de divorce? «Comme les avoirs de prévoyance des deux ex-conjoints seront partagés de manière égale, cela n’aura pas d’impact, peu importe le régime matrimonial.»
Un autre élément peut entrer en ligne de compte pour le choix de la caisse de pension entre conjoints, c’est la couverture en cas de décès. «En effet, explique encore le CEO de Lemania Pension Hub, les prestations de décès dépendent souvent du salaire assuré et non pas de l’avoir de prévoyance. Il en résulte que les rachats n’ont généralement aucune influence sur ces prestations. En revanche, certaines caisses de pension remboursent le montant des rachats aux ayants droit, en sus de rentes de survivants.» On comprend donc que si l’une des institutions de prévoyance prévoit une telle clause, elle est à privilégier pour profiter de ces remboursements.
- Caisse surobligatoire: Institution de prévoyance plus généreuse que la LPP minimale, avec une protection étendue qui peut concerner les prestations pour survivants et le cercle de leurs bénéficiaires, les rentes d’invalidité et les prestations de vieillesse.
- Taux marginal d’imposition: Taux de la dernière tranche de revenu imposable de chaque contribuable. L’impôt étant progressif, c’est donc toujours la plus élevée.
- Liquidation partielle: Une caisse de pension en liquidation partielle, à la suite par exemple de licenciements massifs, pourrait pénaliser les partants si elle est en sous-couverture.
- Taux de conversion: Taux calculé sur l’avoir de vieillesse accumulé par l’assuré, déterminant ainsi sa rente annuelle. En 2023, ce taux pour l’avoir de vieillesse obligatoire est de 6,8%, c’est-à-dire que 100 000 francs donnent droit à 6800 francs de rente annuelle.
- Etaler les rachats sur plusieurs années
- Bien lire son certificat de prévoyance avant de faire des rachats
- Ne pas faire de rachat trop jeune
- Faire des rachats trois ans au plus tard avant le départ à la retraite
- Rachat à éviter si la caisse est en sous-couverture
- Rachat dans la caisse du conjoint le plus jeune
- Rachat dans la caisse du conjoint qui est remboursé en cas de décès