Elle doit mener à bien la plus grande acquisition de banque de l'histoire suisse. Pourtant, malgré sa carrière d'une trentaine d'années chez UBS, Michelle Bereaux est quasiment inconnue. Les journalistes n'ont pas été les seuls à googliser le nom de cette Britannique de 59 ans lorsque, début mai, le patron d'UBS Sergio Ermotti l'a nommée Group Integration Officer au sein de la direction du groupe.
Mais qui est cette diplômée de Cambridge qui doit veiller à ce que le rapprochement du CS et d'UBS se déroule sans accroc? Et pourquoi Sergio Ermotti lui confie-t-il justement cette mission suicide? La principale concernée n'était pas disponible pour un entretien, mais la Handelszeitung a pu discuter avec une demi-douzaine de personnes qui la connaissent bien.
Trente ans d'expérience chez UBS
Ces dernières rapportent que Sergio Ermotti et Michelle Bereaux se connaissent depuis très longtemps. Pourtant, elle travaille au sein d'UBS depuis plus longtemps que lui. Elle a été engagée dès 1992 comme juriste à la Société de Banque Suisse, l'une des deux banques ayant donné naissance à UBS. Lorsque le Tessinois a été nommé nouveau CEO d'UBS en novembre 2011, cette double citoyenne, qui possède la nationalité britannique et celle de l'Etat antillais de Trinidad et Tobago, a pris la tête du département des ressources humaines de la banque d'investissement. Il s'agit précisément de la division à laquelle Sergio Ermotti a imposé les plus grandes réductions de personnel dans le cadre du changement de stratégie axé sur la gestion de fortune.
Elle a «mené avec succès plusieurs projets de gestion des coûts et de transformation à l'échelle du groupe», a expliqué Sergio Ermotti dans un mémo interne pour justifier sa nomination. Son expérience et son bagage juridique «la positionnent idéalement pour diriger nos efforts d'intégration», écrit encore le CEO.
En tant que nouvelle responsable de l'intégration, elle ne doit pas imposer elle-même de réductions. Mais elle doit veiller à ce que les équipes d'intégration dans les différentes divisions fournissent des prestations. Elle doit par exemple veiller à ce que le rapprochement des deux banques d'investissement se déroule sans que les risques ne dérapent. Elle doit aussi faire en sorte que l'intégration informatique fonctionne et que l'harmonisation de la comptabilité soit réussie, une tâche herculéenne: UBS établit ses rapports en dollars selon les IFRS, le CS en francs selon les US GAAP.
«Elle n’a peur de se faire des ennemis en interne»
En d'autres termes, elle doit, si nécessaire, mettre des bâtons dans les roues des chefs de division, comme Iqbal Khan, responsable de 60% des bénéfices, lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu dans son domaine. «Elle est très assertive et très concentrée sur les risques», dit un compagnon de route.
Le fait que Sergio Ermotti fasse entrer sa responsable de l'intégration dans la direction du groupe est considéré comme un signe visible qu'elle bénéficie de son soutien total. «Elle peut sans aucun doute s'imposer», déclare un deuxième initié d'UBS. Même ses critiques et ses détracteurs, dont certains sont jaloux de cette promotion, reconnaissent qu’elle «n'a pas peur de se faire des ennemis en interne».
Dans la structure de pouvoir interne, Sergio Ermotti a également procédé à des réajustements au sein de l'équipe d'intégration. Auparavant, Francesca McDonagh, Chief Operating Officer du CS, était chargée de diriger les équipes d'intégration en collaboration avec Mike Dargan, chef IT d'UBS. Dans l'ancien organigramme, tous deux devaient également rendre compte à Michelle Bereaux en tant que responsable du bureau d'intégration. Mais Sergio Ermotti a supprimé le niveau intermédiaire avec Francesca McDonagh et Mike Dargan, les équipes d'intégration rapportent désormais directement à Michelle Bereaux.
Les initiés de la banque saluent cette décision, car en tant que responsable informatique, Mike Dargan est quasiment partie prenante dans le processus d'intégration et peut difficilement se surveiller lui-même. De plus, il aurait été retiré de cette tâche parce que Sergio Ermotti ne s'entendait pas très bien avec lui, selon certaines sources. En tant que nouveau Group Chief Operations and Technology Officer avec siège au sein de la direction du groupe, Mike Dargan conserve toutefois sa place au soleil.
Lutte contre la pensée en silo
Plusieurs compagnons de route décrivent Michelle Bereaux comme «collégiale, ouverte et serviable». Un employé d'UBS se souvient avoir rencontré la Britannique un jour lors d'une réunion interne de cadres et lui avoir parlé de son problème de devoir simplifier le reporting interne dans la gestion des actifs. «Elle m'a alors aidé à trouver une solution», explique cette personne de référence.
L'une de ses forces est de savoir renforcer la collaboration entre les services afin de lutter contre la pensée en silo. Lorsqu'elle était COO de la gestion d'actifs, elle a contribué à ce que des domaines comme l'immobilier ou l’investissement collaborent davantage et mieux avec le reste de la division.
Avant de passer à la gestion d'actifs en 2020, elle a été responsable de la gestion des coûts à l'échelle du groupe pendant deux ans. Une expérience qu'elle pourra utiliser à bon escient dans sa nouvelle fonction. Toutefois, certaines sources au sein de la banque affirment que ses performances dans ce domaine ne sont pas au-dessus de tout soupçon. C'est difficile à vérifier, mais Sergio Ermotti a confiance en elle, et c'est la seule chose qui compte pour le moment.
Engagement pour la diversité
En tant que femme avec un passeport de Trinidad et Tobago, Michelle Bereaux devrait être habituée à se heurter à des réserves dans le monde très masculin de la finance. C'est pourquoi elle s'engage pour la diversité, comme le montrent également ses contributions sur Linkedin. «Attirer, soutenir et promouvoir les talents d'origines ethniques différentes au sein d'UBS est une priorité importante et déterminante pour notre succès à long terme», a-t-elle écrit en octobre à l'issue de la conférence «UBS Together». Le fait qu'elle soit elle-même parvenue à la direction du groupe est également considéré comme un signal montrant que les hommes blancs ne sont pas les seuls à avoir des chances d'obtenir un poste de haut niveau au sein de la nouvelle UBS de Sergio Ermotti.
Michelle Bereaux n'est cependant pas une femme de quotas. Grâce à sa carrière bancaire longue d'une trentaine d'années, elle devrait connaître UBS comme peu d'autres. Une étape de son CV laisse toutefois perplexe: de 2015 à 2018, lorsqu'elle a quitté la direction du département des ressources humaines de la banque d'investissement après la phase de démantèlement, elle n'avait aucune tâche opérationnelle. Elle était seulement membre du conseil d'administration de la filiale britannique d'UBS et dirigeait à ce titre le comité de rémunération. En 2018, elle a retrouvé un poste opérationnel avec la direction de la gestion des coûts à l'échelle du groupe.
La direction de l'intégration de Credit Suisse devrait être la dernière étape de la carrière de cette femme de 59 ans. En fin de compte, elle devra se rendre elle-même superflue, car l'incorporation devrait être terminée d’ici trois ou quatre ans.
Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung
Formation Après des études d'économie et de droit à l'Université de Buckingham, elle a obtenu son diplôme de droit avec mention à l'Université de Cambridge en 1989.
Parcours En 1990, cette juriste a commencé à travailler comme avocate et deux ans plus tard, elle était déjà engagée par la Société de Banque Suisse au sein du département juridique. Après la fusion avec UBS, elle est partie aux Etats-Unis en 2001 et a dirigé le département actions de l'équipe Corporate Finance de la banque d'investissement. Après avoir travaillé à Londres, elle est devenue Chief Operating Officer de la banque d'investissement en 2005. Après deux ans en tant que Chief of Staff, elle a pris en 2011 la direction du département des ressources humaines de la banque d'investissement d'UBS et a dû, dans cette fonction, organiser la réduction du personnel dans le cadre du changement de stratégie.
De 2015 à 2018, elle s'est retirée des activités opérationnelles et a servi UBS en tant qu'administratrice de sa société nationale britannique. En 2018, elle est revenue pour prendre la direction de la gestion des coûts à l'échelle du groupe. De 2020 à 2023, elle a servi en tant que Chief Operation Officer dans la gestion des actifs. Après l'annonce de l'acquisition du CS, elle a été nommée responsable du bureau d'intégration. En tant que Group Integration Officer, Sergio Ermotti l'a nommée début mai à la direction du groupe.