Le marché boursier américain semble se trouver sur la bonne voie. Mais en même temps, il pourrait chavirer à tout moment. La raison? Les investisseurs répartissent très inégalement leur argent en bourse. Ils concentrent leurs investissements sur un nombre toujours plus restreint d’actions. Pour illustrer ce phénomène, prenons un peu de recul et analysons quelques indices boursiers. Outre l’indice des 500 plus grandes entreprises américaines, le S&P 500, on peut mentionner le Russell 3000, qui représente les 3000 plus grandes entreprises américaines cotées en bourse en termes de capitalisation, ou le Russell 2000, qui regroupe les 2000 plus petites entreprises du Russell 3000. Depuis peu, une seule entreprise vaut plus que toutes les entreprises du Russell 2000 réunies. Il s’agit d’Apple.
Il y a quatre ans encore, la capitalisation boursière du Russell 2000 était plus de deux fois supérieure à celle de la firme californienne. Cela montre qu’un écart s’est creusé sur les marchés boursiers, dans des proportions bien plus grandes que la plupart des investisseurs semblent n’en avoir conscience.
Alors que de nombreux capitaux sont investis dans une poignée d’entreprises, la majorité des actions s’affaiblissent. Certes, le S&P 500 a augmenté de près de 8% cette année, mais dix actions seulement sont responsables de 70% de cette envolée des cours. Cinq sociétés (Apple, Microsoft, Amazon, Nvidia et Google) représentent aujourd’hui 23% du S&P 500, et même 44% du Nasdaq 100!
Il n’est donc pas étonnant que ces quelques mastodontes déterminent en grande partie l’évolution d’indices importants. Ce ne sont pas tant les flux d’argent provenant de véhicules de placement passifs comme les ETF qui sont à l’origine des valorisations élevées de ces entreprises. Ce sont plutôt les grands investisseurs actifs qui font grimper les cours des grandes entreprises susmentionnées.
Par ailleurs, le PER (rapport cours-bénéfices) du S&P 500 est aujourd’hui de 24. Lorsque l’indice a atteint son plus haut historique en janvier 2022, son PER était de 36. Il a chuté d’un tiers depuis lors, et c’était prévisible. En effet, depuis ce record absolu, la banque centrale américaine a relevé rapidement et massivement les taux directeurs, et des taux d’intérêt élevés réduisent normalement les valorisations des actions.
Cependant, les champions technologiques résistent à la baisse des cours due à la hausse des taux d’intérêt, du moins pour le moment. Les chiffres indiquent que les marchés entrent dans une zone très incertaine. En effet, ce sont justement les sociétés à forte croissance dont les flux de revenus sont plus élevés que ceux des autres entreprises qui devraient être particulièrement sous pression en cas de hausse des taux d’intérêt.
Or les gestionnaires de fonds et les investisseurs actifs paient aujourd’hui autant, voire plus, pour chaque dollar de bénéfice réalisé par Apple et consorts qu’au moment où le S&P 500 a atteint son plus haut niveau historique. Ce n’est pas un comportement très raisonnable.
Au vu de cette constellation, il n’est même pas nécessaire qu’apparaisse un véritable catalyseur pour déclencher une spirale baissière. Un scénario possible serait que les investisseurs passifs misent de plus en plus sur les obligations à bon rendement et vendent certains de leurs produits indiciels, ce qui pourrait déclencher une cascade. C’est pourquoi les investisseurs prudents devraient envisager de retirer un peu de risque de leurs portefeuilles d’actions. Ou du moins réduire une partie de leur exposition aux actions tech, dont le PER est supérieur à 50.
Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung