C’est une ambiance italienne qui régnait lors de la soirée de réseautage de la Crypto Finance Conference (CfC), le grand raout dédié aux cryptomonnaies, peu avant 22 heures. Plus de 200 experts et investisseurs étaient occupés à déguster un filet de bœuf au Badrutt’s Palace de Saint-Moritz (GR) lorsque la nouvelle de l’autorisation du premier ETF bitcoin a fait le tour du Net. Aucun applaudissement n’a interrompu les musiciens, seul l’un ou l’autre des participants vérifiait le cours du bitcoin sur son téléphone portable. La communauté crypto a eu besoin d’un peu de temps pour digérer la nouvelle historique. Ce n’est que plus tard dans la soirée que les bouteilles de champagne ont été débouchées pour porter un toast au chef de la SEC, Gary Gensler.
Longtemps espérée et obtenue de haute lutte, l’autorisation de 11 ETF bitcoin dits «spot» par la SEC, l’autorité de surveillance des marchés boursiers américains, est une étape importante pour la diffusion de la plus ancienne cryptomonnaie. Dès à présent, les grands investisseurs peuvent investir dans le bitcoin sur le plus grand marché de capitaux du monde via ces véhicules financiers. Les investisseurs privés américains peuvent également placer du bitcoin dans leurs dépôts sans avoir à se préoccuper de portefeuilles et de clés privées.
Là pour durer
Bien que l’autorisation n’ait été accordée qu’à la suite d’une décision de justice et que la SEC mette encore aujourd’hui vivement en garde contre les risques des crypto-investissements, les ETF bitcoin ont tout de même reçu sa bénédiction. «Les ETF américains changent la donne, explique Guido Bühler, cofondateur de SEBA Bank. Avec ces produits, la crypto devient une classe d’actifs officielle.» Désormais, chaque banque, chaque gestionnaire de fortune, chaque hedge fund utilisera la crypto comme élément dans l’allocation d’actifs. Wall Street et la crypto se rapprochent désormais d’un grand pas. La menace de la fin du bitcoin et des crypto-investissements a fait l’objet de spéculations répétées. Le site américain 99bitcoins.com, qui multipliait les articles à ce sujet, peut cesser ses activités. Car une chose est désormais claire: la crypto est là pour durer.
Certains de ces 11 ETF proviennent de maisons renommées comme Invesco, Franklin, VanEck, BlackRock ou Fidelity. «Ces choses ne s’achètent pas, elles se vendent. Beaucoup de gens sont aux aguets», affirme Anthony Scaramucci. Connu pour son intermède de onze jours à la Maison Blanche en tant que porte-parole de Donald Trump, il mise sur les crypto-investissements avec son hedge fund de 3 milliards. Désormais, 1 ou 2% de crypto seraient mélangés à l’allocation tactique d’actifs des grands gestionnaires de fortune. Dans cet ordre de grandeur, 1 ou 2% représentent beaucoup. BlackRock à elle seule gère environ 3000 milliards de dollars dans des stratégies multi-actifs.
Si la demande reste importante, un mouvement de prix ne serait pas surprenant. «Si nous n’atteignons pas un sommet historique d’ici au milieu de l’année et si nous ne dépassons pas 100 000 dollars d’ici à la fin de l’année, je serais surpris», ajoute Anthony Scaramucci. Les ETF sur l’or sont considérés comme un modèle. Après leur introduction, le prix de l’or a fortement augmenté pendant des années.
Dans le cas du bitcoin, la demande croissante se heurte à la faiblesse de l’offre. «1,8 million de bitcoins sont réellement échangés, le reste est perdu, bloqué ou entre les mains de personnes qui ne vendent jamais», explique Vance Spencer, crypto-investisseur et cofondateur de Framework Ventures. Selon lui, le simple fait d’acheter des ETF bitcoin pour 100 millions de dollars fait déjà bouger les cours. «Il n’est pas insensé de penser que le cours du bitcoin atteindra 1 million de dollars à un moment donné», ajoute-t-il. Une position extrême qui a provoqué des rires à la CfC. Mais l’époque où les prévisions concernant le bitcoin à 100 000 dollars étaient considérées comme de pures fantaisies est sans doute révolue. Bitcoin Suisse prévoit des prix de 180 000 à 200 000 dollars. Ce pic est annoncé pour 2025.
Les États-Unis hostiles
Alors que le cours du bitcoin, qui a augmenté de 160% en 2023, n’a pratiquement pas bougé le jour de l’autorisation des ETF spot, le cours de l’ether a connu une hausse à deux chiffres. Comme pour le bitcoin, les paris portent désormais sur l’autorisation d’ETF spot. Sept demandes ont été déposées. Mais ceux qui pensent que le chef de la SEC, Gary Gensler, s’est transformé en «cryptophile» et qu’il donnera rapidement son feu vert se trompent. L’avertissement qu’il a fourni en autorisant les ETF spot bitcoin en dit long: «Nous n’avons ni approuvé ni soutenu le bitcoin. Cette cryptomonnaie est avant tout un actif spéculatif et volatil qui est également utilisé pour des activités illégales telles que le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.»
Anthony Scaramucci est pessimiste en ce qui concerne la réglementation américaine. «Peut-être que les ETF spot ethereum passeront, peut-être pas. Ils chercheront une raison de retarder l’autorisation, comme ils l’ont fait pour le bitcoin au cours des deux dernières années», explique le New-Yorkais. Pour lui, le problème vient moins de Gary Gensler que de la sénatrice américaine Elizabeth Warren: «Elle déteste ce secteur comme on ne peut pas l’imaginer, et ses favoris font tout ce qu’ils peuvent pour bloquer les choses.» La démocrate compte parmi les femmes les plus puissantes de Washington. «Parce qu’elle a soutenu Joe Biden durant la campagne électorale, l’occupation des postes financiers a été placée entre ses mains. Gary Gensler est un de ses proches alliés. Elle est très étroitement liée aux différentes autorités de surveillance financière», explique Ryan Selkis, CEO de Messari, une plateforme de données et d’études de marché sur la cryptographie.
Selon l’expert, les républicains doivent remporter le Sénat lors des prochaines élections. Sinon, cela deviendra difficile pour l’industrie. En effet, Elizabeth Warren pourrait utiliser son influence de manière durable grâce à sa participation aux commissions, indépendamment de l’identité du prochain gouvernement. Donald Trump a certes fait distribuer une série de cartes à collectionner, dans laquelle il se met en scène en super-héros, sous forme de Non-Fungible Token (NFT), mais il n’est pas considéré comme un fan de crypto.
Le secteur a l’habitude de faire face à des adversaires nombreux et puissants. Lors de la CfC de Saint-Moritz, la croyance en un avenir décentralisé glorieux était plus grande que jamais. Le prochain objectif est l’adoption de masse. Le nombre d’utilisateurs actifs, actuellement estimé à 430 millions via des portefeuilles, devrait bientôt atteindre 1 milliard. Un peu plus de 12% des habitants de la planète utiliseraient alors les blockchains et les cryptoactifs correspondants. A titre de comparaison, trente-cinq ans après son introduction, environ 75% de la population mondiale surfe aujourd’hui sur internet.