Après avoir réagi tardivement à la recrudescence de l’inflation en 2021, les principales banques centrales ont dû remonter leur taux de manière brutale (entre le printemps 2022 et l’été 2023). Avec la rapide décélération de la croissance des prix, la situation a radicalement changé. Les banques centrales subissent aujourd’hui la pression dans l’autre sens, en direction d’un desserrement monétaire. Mais après une première erreur commise dans l’évaluation de la situation en 2021, elles ne peuvent plus décevoir. L’enjeu principal est donc à présent de trouver le meilleur équilibre entre le risque de baisser les taux trop tôt et de raviver l’inflation, ou trop tard, et donc de provoquer une récession.
Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale, dont le mandat est double, à savoir garantir la stabilité de la croissance des prix autour de 2% d’une part et, d’autre part, préserver le plein-emploi, ne semble pas dans l’urgence. En effet, la croissance résiste et le taux de chômage, bien qu’il ait récemment progressé de 3,7 à 3,9%, demeure très bas. Quant à l’inflation, la mesure privilégiée de la Fed est la «core-PC», à savoir l’évolution de l’indice des prix des dépenses de consommation personnelle, hors alimentation et énergie. Après avoir atteint un pic en février 2022 à +5,6%*, elle a ralenti à 2,8%*. L’objectif n’est pas encore atteint, mais il est désormais en ligne de mire. La Fed peut donc prendre son temps pour s’assurer que la bataille contre l’inflation est effectivement gagnée avant d’agir (cet été).
La Banque centrale européenne n’a, de son côté, qu’une seule mission à remplir: garantir la stabilité des prix, mesurée par l’indice général des prix à la consommation. Le ralentissement de l’inflation ainsi calculé est en fait plus rapide qu’outre-Atlantique: le pic a été touché à 10,6%* en octobre 2022, et se situe en février, selon les derniers chiffres disponibles, à 2,6%*. Comme aux Etats-Unis d’ailleurs, la tendance subit et subira encore quelques soubresauts mais la trajectoire rassure. L’inflation devrait revenir à 2% courant 2025 d’après les dernières projections publiées par le staff économique de la BCE. De plus, même si la préservation de l’activité n’est pas explicite dans son mandat, son anémie alimente la pression à ne pas agir trop tard. Espérons que le dogmatisme ne domine pas les débats et qu’une action pro-croissance soit prise rapidement. Quoi qu’il en soit, c’est probablement en zone euro que la situation se révèle, une fois de plus, la plus complexe.
Notre Banque nationale suisse (BNS)se retrouve dans la position la plus confortable. Elle a déjà rempli sa mission. En effet, le niveau d’inflation (+1,2%*) est de retour dans la cible (entre 0 et 2%), et l’activité, surtout dans les services, surprend agréablement avec une croissance du PIB supérieure aux attentes au T4 2023 (+0,4%**). Ce succès est le résultat d’une gestion de la politique monétaire très avisée: en alternant hausse de taux et réduction du bilan, visant à renforcer le franc suisse, elle a su limiter l’inflation importée (le pic d’inflation a été de seulement +3,4%, bien inférieur à celui enregistré ailleurs). Elle a pu arrêter son resserrement monétaire à 1,75%, un niveau bien plus bas que dans d’autres régions (5,5% pour la Fed et 4% pour la BCE) et, cerise sur le gâteau, elle a réduit la taille de son bilan! Elle est donc la première banque centrale à couper ses taux directeurs en mars de 1,75% à 1,5%. La pression baissière sur le franc, si elle devenait excessive, pourra être gérée par une nouvelle réduction de la taille de son bilan, et ne représente donc pas un véritable problème. Son futur ancien président Thomas Jordan pourra quitter l’institution en septembre avec la satisfaction du travail accompli.
Enfin, la Banque du Japon sera la seule à naviguer à contre-courant: elle s’apprête à abandonner sa politique de taux négatifs et le yen s’annonce comme le principal bénéficiaire. Pour conclure, la réduction quasi généralisée de la rémunération des liquidités devrait, au sein des devises, redonner des couleurs à l’or.
* variation annuelle
** variation trimestrielle