«D’après mes calculs, ma retraite sera inférieure à 2000 francs par mois. Je prévois donc de continuer à travailler au-delà de l’âge légal.» Arrivée de Belgique à Martigny (VS) à l’âge de 35 ans, Elena a été mère au foyer pendant quinze ans. «Aujourd’hui, à 59 ans, je vends des formations à des entreprises, et cumule un 60% depuis environ dix ans.» Avec plus d’un tiers (37,9%) de la population active travaillant à taux réduit, la Suisse se classe dans le top 3 des pays européens ayant la proportion la plus élevée d’employés à temps partiel. Le temps partiel offre des avantages en matière de qualité de vie, mais ne permet toutefois pas de cotiser autant qu’un emploi à 100%, ce qui peut engendrer une réduction conséquente des rentes perçues au moment de la retraite.

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En ce qui concerne le 2e pilier, un employeur est tenu d’affilier un employé à une caisse de pension à partir d’un salaire annuel brut de 22 050 francs (plafond 2024), selon la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP). Les salariés qui perçoivent un revenu inférieur à ce seuil d’entrée ne seront pas assurés. Pour toucher la rente maximale de 2450 francs par mois du 1er pilier (AVS), un employé doit gagner un revenu annuel moyen de 88 200 francs tout au long de sa carrière.

Impact futur

Maribel Rodriguez, déléguée au Bureau vaudois de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), met en garde les employés qui cumulent plusieurs emplois à de petits taux d’occupation. «Bien qu’on puisse atteindre le seuil minimum de 22 050 francs annuels en additionnant les revenus versés par les divers employeurs, on court le risque de n’être affilié par aucun de ceux-ci au 2e pilier.» C’est ce qui est arrivé à Elena: «Je me suis récemment aperçue que le nombre d’heures que les entreprises me donnaient était calculé afin de ne jamais dépasser le seuil exigé pour cotiser au 2e pilier. Je vais donc devoir compenser moi-même.»

«Beaucoup de femmes n’ont pas conscience de l’impact de leur trajectoire professionnelle sur leur future retraite», poursuit Maribel Rodriguez. L’écart de rente entre les hommes et les femmes s’est monté à 32,8% en 2021 en Suisse, selon l’OFS. Près de la moitié d’entre elles (42%) bénéficient uniquement de la rente AVS à leur retraite. «Le temps partiel mais aussi les inégalités de salaires pour un même travail creusent l’écart. Les secteurs d’activité fortement féminisés comme les soins ou les professions sociales sont généralement faiblement rémunérés, et les carrières féminines sont souvent interrompues, notamment pour s’occuper des enfants.»

Les nouvelles générations, qui attachent davantage d’importance à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée que leurs prédécesseurs, optent de plus en plus pour les temps partiels. «Les jeunes ne se soucient pas de leur retraite au moment de chercher un emploi, mais plutôt du salaire ou de l’aménagement des horaires. Il faut aussi noter que le plan de prévoyance est souvent défini par les conventions collectives de travail (CCT), ce qui laisse peu de marge de manœuvre. Les personnes qui peuvent comparer ce que leur offrent deux employeurs en termes de prévoyance travaillent en principe dans le tertiaire. Aussi, le secteur public propose souvent de bonnes conditions», détaille Anne-Sylvie Dupont, professeure ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Genève.

Les femmes sont néanmoins toujours trois fois plus nombreuses que les hommes à privilégier cette possibilité. Au-delà des modifications législatives qu’elle estime nécessaires, Maribel Rodriguez évoque l’importance d’une meilleure connaissance du système de prévoyance suisse. «Dans cette optique d’information, le BEFH organise des soirées autour de ce thème exclusivement réservées aux femmes.»

Lacunes à combler en tant qu'indépendant

Les travailleurs indépendants cotisent automatiquement à l’AVS, mais doivent en revanche s’occuper eux-mêmes de leur prévoyance. Violoncelliste professionnelle, Isabel Gehweiler cumule trois activités à environ 30%, ce qui équivaut à un temps plein selon la définition de l’OFS. Enseignante fixe dans une école de musique et de manière temporaire dans deux conservatoires à Zurich, la jeune femme de 36 ans est régulièrement engagée pour des concerts, et développe ses projets en tant qu’indépendante. «Les revenus générés par mes missions temporaires n’étant pas assurés automatiquement, mon statut d’indépendante est essentiel afin de me permettre de cotiser au 2e pilier et de combler ces lacunes de prévoyance.»

Les cotisations du 2e pilier des salariés ne sont pas calculées directement à partir du salaire annuel brut. Une déduction de coordination de 25 725 francs (état 2023) sera soustraite à ce revenu avant de calculer le montant des cotisations à verser. Le «salaire LPP assuré» (également appelé «salaire coordonné») d’une personne qui gagne 60 000 francs par an se montera donc à 34 275 francs. «Dans notre système de prévoyance, nous partons du principe que ces 25 725 premiers francs sont assurés par le 1er pilier. Plus le taux d’occupation et le salaire seront bas, moins les cotisations dans le 2e pilier seront élevées», indique Clara Biro, experte en prévoyance au sein de la société indépendante de conseil patrimonial VermögensZentrum (VZ) basée à Zurich.

Afin d’améliorer la couverture des personnes travaillant à taux réduit, le parlement a adopté en mars 2023 la réforme de la prévoyance professionnelle. Cette révision consiste notamment à réduire le seuil d’entrée au 2e pilier à 19 845 francs. Un référendum a néanmoins été lancé contre la réforme, sur laquelle la population suisse votera cette année. Anne-Sylvie Dupont estime la révision insuffisante concernant le renforcement du processus d’épargne. «L’abaissement du seuil d’entrée permettra à environ 100 000 personnes de plus de cotiser, ce qui n’est pas beaucoup. Une mesure véritablement effective aurait été de supprimer ce seuil ainsi que la déduction de coordination.»

Le 3 mars dernier, le peuple suisse a par ailleurs accepté l’initiative en faveur d’une 13e rente AVS. «Tout l’enjeu sera de savoir comment financer cette rente», analyse la professeure. Selon les estimations de l’OFS, environ 4,1 milliards de francs supplémentaires seront nécessaires pour financer cette rente la première année. «Comme l’objectif de cette initiative relève davantage de l’aide que de l’assurance sociale, cette prestation devrait à mon avis être financée par l’impôt, et non par les cotisations salariales ou une hausse de la TVA, par exemple, qui réduirait le pouvoir d’achat de la population active et en particulier celui des bas revenus.»

Racheter ses piliers

Versements
Dans les cas où il n’a pas été possible de cotiser dès l’âge légal autorisé (21 ans pour l’AVS et 25 ans pour le 2e pilier) ou qu’il y a eu une interruption de carrière ou bien un temps partiel durant une certaine période, il existe la possibilité d’effectuer des rachats dans la caisse de pension. «Ces versements volontaires permettent de compenser rétroactivement des lacunes de cotisation afin de les réduire, voire de les combler. Il est aussi possible de s’annoncer volontairement afin d’être tout de même affilié à l’AVS lorsque l’on ne travaille pas», précise Clara Biro, experte en prévoyance de VermögensZentrum (VZ).

Impôts
A noter que plus les rachats du 2e pilier seront effectués tard, plus ceux-ci seront chers. «Il s’agit toutefois de très bons investissements que l’on peut déduire des impôts, et pour lesquels il n’existe pas de plafond», souligne Maribel Rodriguez du Bureau vaudois de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH).

3e pilier
Souscrire à un 3e pilier permet aussi de renforcer sa prévoyance de manière volontaire, tout en faisant des économies d’impôts. Une épargne personnelle telle qu’un investissement dans des fonds ou des actions peut se révéler une solution complémentaire très intéressante afin de combler d’éventuelles lacunes.

Carré blanc
Carole Berset