La réforme de la LPP ne fait pas l’unanimité au sein de votre association. Que rejettent exactement les membres de l’ASIP?

La réduction du taux de conversion minimal avec adaptation du processus d’épargne n’est pas contestée dans la branche. Certains disent même que le taux devrait être encore plus bas, mais ce n’est pas réaliste sur le plan politique. Le renforcement de la partie obligatoire pour les personnes travaillant à temps partiel ou pour plusieurs employeurs, qui profite surtout aux femmes dont le parcours professionnel comprend plus souvent du travail à temps partiel, n’est pas non plus contesté. La solution pour les générations de transition est en revanche critiquée. En effet, les conditions ont été rédigées de manière très généreuse pour des raisons politiques afin de réunir une majorité. Les caisses de pension qui ont rempli leurs devoirs et abaissé les taux de conversion depuis longtemps se demandent pourquoi elles devraient cofinancer de tels subsides aux générations de transition.

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Vous vous prononcez néanmoins en faveur de l’acceptation de la réforme.

La question posée sur le bulletin de vote n’est pas de savoir si nous avons une meilleure solution. Nous sommes en présence d’un paquet ficelé politiquement et la question centrale est «oui ou non?». Dans ce contexte, la majorité de nos membres a décidé de soutenir la réforme. Mais cela ne signifie pas que nous passons sous silence les éléments critiques. Car si l’on veut sérieusement renforcer la prévoyance pour les personnes travaillant à temps partiel ou pour différents employeurs, cette réforme est absolument nécessaire.

Même si cela signifie aussi que le revenu des salariés sera plus fortement sollicité?

Rares sont ceux qui aiment payer davantage, en effet. Mais les assurés doivent être conscients que les cotisations qu’ils versent dans le deuxième pilier constituent leur propre capital d’épargne. Pour chaque franc versé, ils reçoivent au moins un franc supplémentaire de leur employeur et, la plupart du temps, un troisième franc grâce au rendement que la caisse de pension obtient en investissant cet argent sur le marché des capitaux. Payez un, recevez trois: cela me paraît être un rapport qualité/prix incroyablement bon.

Le stock de capital du deuxième pilier, qui s’élève à 1255 milliards de francs, peut également être considéré comme un frein à l’innovation, car il doit être investi de manière essentiellement conservatrice.

Contrairement à l’AVS, il ne s’agit pas d’un stock de capital unique, car chaque institution de prévoyance présente son propre profil et est responsable de la gestion de sa fortune. Une caisse de pension peut par exemple avoir une très forte proportion de bénéficiaires de rentes et donc, de fait, aucune tolérance au risque, de sorte qu’elle doit investir de manière conservatrice pour ne pas se retrouver à découvert en raison des fluctuations du marché des capitaux. En revanche, une institution de prévoyance comptant surtout des assurés actifs peut se permettre de prendre ce risque. C’est donc à juste titre que les prescriptions de placement n’imposent pas de forfait, mais se contentent de fixer des limites sur l’ensemble du secteur.

Ne serait-il pas souhaitable que ces investissements favorisent davantage l’innovation et la transformation?

L’argent épargné dans le deuxième pilier a déjà un objectif, à savoir le financement des promesses de prestations. Cela reste l’objectif premier, comme le stipule explicitement la loi. L’intention légale est la seule raison pour laquelle une institution de prévoyance investit sur le marché des capitaux. Elle veut obtenir un rendement pour financer ses promesses de prestations et cela d’une manière adaptée à son profil de risque. Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est une inversion du principe.

Qu’entendez-vous par là?

J’ai parfois l’impression que le stock de capital des caisses de pension suscite certaines convoitises, y compris au niveau politique. Nous ne devons pas chercher à utiliser l’argent de la prévoyance professionnelle à des fins multiples simultanément, car cela entraînerait inévitablement des conflits d’objectifs. Si l’on peut financer en même temps des promesses de prestations et encourager par exemple des start-up, alors volontiers. Mais tant la promotion de l’innovation que la durabilité ne peuvent rester que des effets d’aubaine, en aucun cas des objectifs primaires.

Combien de vos membres ont placé le thème de l’investissement durable en tête de leur agenda?

Ce thème revêt une très grande importance pour nos membres. Les discussions portent surtout sur la manière de mettre concrètement en œuvre une exigence de durabilité une fois qu’elle a été formulée. Nous savons que, dans notre secteur, nous devrons à l’avenir faire des déclarations plus précises à ce sujet. C’est pourquoi nous allons mener une enquête auprès de nos membres dans le courant de l’été et vérifier qui pratique déjà l’investissement durable, comment cela se manifeste et quelles sont les principales conclusions.

Il faut espérer que votre association mènera cette enquête de manière numérique et sans papier. Ce qui amène à la question de savoir dans quelle mesure les caisses de pension suisses sont positionnées sur le plan numérique.

Pour nous, dans le domaine de la numérisation, c’est surtout l’échange de données entre les institutions de prévoyance qui est au premier plan. Il y a là un très grand potentiel d’amélioration. Par exemple, les sources d’erreur pourraient être évitées et l’efficacité augmentée si, en cas de changement d’employeur, l’échange de données entre les caisses de pension impliquées se faisait par des canaux numériques et qu’il ne fallait plus envoyer de courrier. D’ailleurs, nous réalisons notre enquête ESG par voie numérique.

Une plus grande efficacité signifierait aussi une réduction des coûts. Cela pourrait-il contribuer à désamorcer le débat sur le montant des frais administratifs, qui s’élèvent en moyenne à 0,62%?

Nous devons ici faire la distinction entre les frais administratifs normaux et les frais de gestion de fortune. Il faut d’abord se rendre compte que les revenus des placements financiers sont une bénédiction pour les assurés. Ils présupposent que le capital épargné est géré de manière très professionnelle et qu’il est investi dans des véhicules de placement qui ne sont souvent pas disponibles pour les investisseurs privés. Les assurés bénéficient en outre d’une garantie de capital et d’un taux d’intérêt minimum sur leur argent, et ils peuvent également l’utiliser pour financer leur logement ou leur activité indépendante. Au total, c’est un ensemble de services imbattables. Et pour cela, on paie un prix dont il est prouvé qu’il est bas, si on le compare à des modèles similaires à l’étranger ou aux tarifs pratiqués dans la gestion de fortune privée suisse. En fait, beaucoup de ceux qui optent pour le retrait en capital au début de leur retraite et confient leur argent à un gestionnaire de fortune paient souvent deux ou trois fois plus de frais que pour la gestion de fortune dans le deuxième pilier.

Et pourtant, le nombre de personnes qui retirent leur capital et le volume du capital total retiré ont augmenté. Le deuxième pilier perd-il de son importance?

Je pense qu’interpréter cette évolution en bloc comme un vote de défiance à l’égard du deuxième pilier relève de l’alarmisme. Les taux de conversion adaptés peuvent bien sûr être une raison pour laquelle davantage d’assurés retirent leur capital au lieu de le convertir en rente. Mais il y a aussi toute une série d’autres raisons individuelles. Par exemple, des restrictions de santé ou l’achat d’un logement en Suisse ou à l’étranger. Tout cela est légitime, et c’est d’ailleurs pour cela que l’option de retrait du capital existe.

Mais peut-être que beaucoup considèrent que le modèle du deuxième pilier n’est plus adapté à notre époque, car la société et les parcours professionnels ont fondamentalement évolué. C’est pourquoi une étude de la HES de Lucerne se prononce en faveur de réformes structurelles du deuxième pilier, proposant par exemple le modèle d’une durée de vie active au lieu d’une limite d’âge fixe. Que pensez-vous de cette approche?

Il est vrai que ces défis existent dans le secteur du deuxième pilier. Mais nous avons déjà échoué deux fois dans les urnes à adapter purement et simplement la LPP à l’évolution des réalités démographiques et économiques, qui sont bien plus urgentes pour un système stable. Le 22 septembre, nous avons une troisième chance. Si nous y parvenons, nous pourrons volontiers aborder, dans une prochaine étape, des questions structurelles telles que celles qui sont régulièrement soulevées, dans le sens d’un programme libre.

Une autre proposition de réforme émanant du monde académique plaide pour le libre choix de la caisse de pension. Que répondez-vous à cela?

C’est une fausse piste qui ferait s’effondrer notre système éprouvé des trois piliers. Derrière le premier pilier se trouvent l’Etat et ses citoyens, tandis que le deuxième pilier est constitué d’une communauté de risque entre employeurs et employés. En cas de libre choix de la caisse de pension, cette communauté de risque est brisée. Si les salariés choisissent librement leur caisse de pension, l’employeur se retirera inévitablement de tout risque et n’apportera plus de contribution supplémentaire. Je suis d’accord pour dire que nous avons besoin de réformes dosées au sein des trois piliers. En revanche, il n’est pas nécessaire de perturber un système qui est déjà bien accepté et efficace en le renversant complètement.