Beaucoup de responsables d’entreprise gardent sans doute un mauvais souvenir de la période des taux négatifs: non seulement les soldes de trésorerie ne rapportaient rien, mais en plus ils étaient pénalisés à partir d’une certaine somme. Heureusement, depuis deux ans, nous sommes sortis de cette longue intervalle. Cependant, les questions de base concernant la gestion du cash demeurent: comment gérer les excédents? Quelles sont les meilleures options d’investissements? Comment trouver le bon équilibre? A quoi faut-il faire attention?

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«Une PME doit raisonner en termes de taux réel», souligne Charles-Henry Monchau, responsable des investissements pour la Banque Syz. En effet, même avec des taux positifs, une inflation trop forte peut faire perdre de l’argent, en rongeant l’épargne. A cet égard, l’économiste rappelle que la BNS est pour l’heure la seule banque centrale ayant réussi son mandat en ramenant l’inflation dans sa fourchette cible, ce qui lui a permis d’opérer, depuis quelques mois, une baisse du taux directeur.

Optimiser la gestion des liquidités en entreprise

Par conséquent, à l’heure actuelle, disposer d’un bon matelas financier n’est pas trop problématique. Néanmoins, une vision à long terme s’impose. Lorsqu’on possède un trésor de guerre suffisant, il est possible de prendre quelques risques. On parle de stratégie barbell ou des haltères. «Cela peut s’appliquer à différents paramètres dans la vie, relève Charles-Henry Monchau. Une personne qui fait un régime peut avoir une approche très stricte, mais se laisser aller un jour ou deux par semaine.»

En matière de trésorerie, on peut décider d’allouer 10, 20 ou 30% de l’argent à des investissements non liquides. Cela peut inclure des actifs plus risqués, mais que l’on maîtrise et sur lesquels on dispose d’une certaine visibilité. Il peut s’agir d’immobilier, de grandes capitalisations américaines, d’or, d’indices d’actions, voire de capital-risque. Une société pharmaceutique peut, par exemple, investir dans des start-up qu’elle connaît bien.

Cette approche, applicable également à ses finances personnelles, contraste fortement avec de nombreuses stratégies dites équilibrées ou conservatrices. Ces dernières, souvent adoptées par de nombreuses caisses de pension, préconisent une répartition mixte entre actions et obligations. «J’essaie de raisonner par rapport à la situation particulière de la Suisse, poursuit le financier. Les obligations rapportent très peu. De plus, beaucoup d’entreprises helvétiques sont exportatrices et subissent à long terme l’appréciation du franc.» Une stratégie barbell permet, selon lui, d’obtenir le meilleur des deux mondes: une liquidité à portée de main et de bonnes performances sur la durée.

«En Suisse, neuf faillites sur dix sont provoquées par des problèmes de gestion de trésorerie: c’est donc une question essentielle», souligne José-Carlos Torrecillas, spécialiste en solutions patrimoniales chez Piguet Galland.

Cela peut concerner des entreprises en difficulté, mais aussi des sociétés rentables qui ont mal géré leurs liquidités. C’est pourquoi il faut toujours penser à conserver suffisamment de cash pour faire face aux obligations à court et à moyen terme de l’entreprise (paiement des créanciers, salaires, dividendes, etc.). En effet, disposer d’un large patrimoine immobilier ne garantit pas de payer les factures urgentes.

L'approche barbell

L’approche barbell: une stratégie des haltères est formée lorsqu’une personne investit à la fois dans des actifs à faible risque et à fort potentiel, mais n’investit pas dans des actifs intermédiaires.

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Stratégies d’investissement adaptées aux excédents

Une fois déterminée la quantité de liquidités nécessaires à l’activité de l’entreprise, on peut songer à investir le reste pour l’optimiser. En raison de la baisse actuelle des taux d’intérêt, José-Carlos Torrecillas recommande différents types d’investissements. Une entreprise peut placer de l’argent sur des comptes à terme, c’est-à-dire des placements dans le marché monétaire de 48 heures à 12 mois, avec des taux progressifs. A plus long terme, il y a évidemment les actions, les obligations et l’immobilier. «Nous mettons en place des plans spécifiques en fonction des besoins en liquidités des entreprises», résume l’expert.

Notons que la différence entre les placements privés et ceux des entreprises se situe essentiellement au niveau de la fiscalité. En Suisse, le gain en capital – j’achète une action UBS 100 francs et je la revends 200 – n’est pas imposé pour la clientèle privée, contrairement aux entreprises. C’est l’opposé pour les pertes, qui sont déductibles pour les sociétés, mais pas pour les particuliers.

Une autre possibilité consiste à investir ses surplus de liquidités dans des solutions liées à la prévoyance. «C’est une option très peu connue des entreprises», précise José-Carlos Torrecillas. En résumé, lorsqu’une société connaît une période de forts bénéfices, elle peut constituer des réserves de cotisations. Ces provisions permettent de diminuer la charge fiscale. En outre, elles peuvent être utilisées pour payer les cotisations les années où les gains sont moindres.

On peut également investir au sein même de l’entreprise. Rester assis sur ses liquidités n’est pas le meilleur des choix à long terme. Par ailleurs, on connaît l’adage: le plus grand risque est de ne pas prendre de risques. «Pour les sociétés suisses, en raison de la longue tendance à l’appréciation du franc, il convient de monter en valeur ajoutée, relève Charles-Henry Monchau. Il faut aussi toujours gagner en productivité. Dans ce domaine, l’intelligence artificielle est une thématique incontournable.»

Alors que la pression sur les salaires se renforce et que les coûts progressent, il peut se révéler judicieux d’utiliser son cash pour améliorer ses outils d’aide à la décision et renforcer ses gains d’efficience. Cela s’applique à toutes les industries et à tous les pays, en particulier à la Suisse. Autre possibilité: investir dans des équipements de production à l’étranger, afin d’aligner les coûts aux revenus.

Investir dans l’innovation et les collaborateurs pour l'avenir

Il peut aussi être intéressant d’investir dans ses propres collaborateurs. Une firme comme Google applique par exemple la règle 80/20: les employés consacrent 80% de leur temps à des projets existants et 20% à concevoir des idées novatrices, favorisant le développement de nouveaux produits ou services. Il est également envisageable d’accorder un prêt à un actionnaire ayant besoin de financement, ce qui lui permettrait d’éviter de contracter un emprunt sur le marché à des taux plus élevés.

Enfin, une stratégie de fusion-acquisition est également concevable. Une entreprise disposant de beaucoup de cash peut acquérir d’autres sociétés qui possèdent des projets prometteurs, mais qui manquent de liquidités pour les réaliser. Il est important de souligner que la création d’une holding est souvent fiscalement avantageuse lors de l’achat d’une société.

A l’inverse, une entreprise manquant de liquidités peut ouvrir son capital, la prise de participation pouvant être minoritaire ou majoritaire, selon les cas. Et sinon, elle peut profiter des taux actuellement bas pour emprunter de l’argent à bas coût. Dernier point, en cas de vente d’une entreprise, il est préférable de ne pas avoir trop d’excédents de liquidités, car l’administration fiscale pourrait considérer cette somme comme un revenu, entraînant ainsi des impositions importantes.

Atteindre le bon ratio

Certains ratios peuvent être utilisés pour s’assurer qu’une entreprise est en bonne santé. On parle par exemple de «current ratio» ou de «quick ratio». Le premier mesure la capacité d’une entreprise à couvrir ses obligations immédiates avec ses actifs à court terme. Le second est une évaluation plus stricte de la liquidité. Il estime la capacité d’une entreprise à payer ses engagements imminents, sans avoir à vendre ses stocks.