«Je suis né à Bogota, où j’ai fait mes études en gestion d’entreprise. Mon grand-père était Suisse, il a émigré en Colombie durant l’entre-deux-guerres pour chercher du travail. Quelques années plus tard, mon frère, ma sœur et moi-même, qui sommes binationaux, avons fait le chemin inverse et sommes venus nous installer en Suisse.
Nous sommes arrivés avec ma femme à Bienne, où vivait ma sœur, fin 1999, au plus fort de l’hiver. Au début, nous nous demandions si nous avions pris la bonne décision. Avec mes quelques notions de français, j’ai pu obtenir un emploi chez Denner, en tant que gestionnaire de magasin. Cela ne correspondait pas à ma formation universitaire, mais cela m’a permis de mettre un pied dans le marché du travail suisse et de m’intégrer à cette nouvelle culture.
Après cette première expérience, nous sommes retournés en Colombie avec un léger sentiment d’échec. Cependant, en raison de l’insécurité ambiante, nous avons décidé de tenter à nouveau notre chance. Cette fois-ci, j’ai trouvé du travail chez Hasbro, l’entreprise américaine de jouets, à Delémont. Ce furent des années magnifiques. J’ai pu créer un poste qui n’existait pas auparavant. J’avais à ma charge 14 pays. Nous avons notamment ouvert le marché brésilien, où nous avons vendu pour 100 millions de dollars en jeux et jouets.
Par la suite, nous avons essayé de faire la même chose dans d’autres pays sud-américains, mais cela n’a pas fonctionné. Pour diverses raisons, ma fonction a été supprimée et je me suis retrouvé au chômage. Je pensais qu’avec mon expérience ce serait facile de rebondir, mais cela n’a pas été le cas. A la fin du délai-cadre, j’ai dû abandonner mon appartement et retourner vivre chez ma sœur, avec ma femme. J’avais 46 ans. Après deux ans, dans le cadre de mes recherches d’emploi, j’ai vu une annonce de vente d’une entreprise de mécanique de précision à Tannay. Je ne connaissais rien à ce secteur, mais je me suis rappelé que, enfant, je passais des heures à bricoler du bois et du métal sur la machine que mon grand-père gardait dans son garage. J’ai décidé d’aller de l’avant.
Tout le monde me disait que je n’y arriverais pas, que ce n’était pas mon métier. Malgré tout, j’ai pu rencontrer le propriétaire, Jean-François Baud, avec qui la connexion a été excellente. Cette entreprise était son bébé et ses enfants ne souhaitaient pas la reprendre. N’ayant pas les fonds propres suffisants, j’ai demandé un prêt de 750 000 francs à une banque, qui a accepté de me l’octroyer. Nous avons signé le rachat et démarré les activités en 2017.
Mais durant les négociations, on m’a diagnostiqué un cancer du rein. Heureusement, la tumeur était encore à un stade précoce. On a pu m’opérer et je suis aujourd’hui en rémission. J’ai la chance d’avoir ma femme et une excellente équipe qui m’accompagne, sans eux je n’aurais pas fait grand-chose. Les affaires varient beaucoup selon les années. La période du covid a été très compliquée. Récemment, nous avons frôlé la faillite, mais, grâce au travail humain fait auprès de nos clients au fil des ans, les commandes reprennent. C’est un grand soulagement! De toute façon, lorsque l’on survit à un cancer, le reste est secondaire…»