Le quart de siècle du comparatif des finances publiques lancé par le professeur Nils Soguel de l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) bouleverse un peu la présentation de ces résultats. Comme le dernier numéro de PME illustrait le film de 25 exercices sous revue, l’actuelle livraison combine en simultané l’analyse des comptes 2023 pour les villes et pour les cantons.
Dans cette perspective, le choix a été fait de se concentrer sur les collectivités latines, en y adjoignant les deux plus grands cantons (Berne et Zurich) et leurs capitales, ainsi que la Confédération. Cet angle permet de constater que les villes sentent plus rapidement arriver le vent froid d’une conjoncture qui s’enrhume. Elles en souffrent plus vite car, au contraire des cantons, elles ne peuvent reporter tout ou partie de leurs charges sur une instance inférieure… Mais voyons en détail comment se comportent les Romands!
Le Valais en seigneur
Pour son avant-dernier exercice, le grand argentier Roberto Schmidt (Le Centre/Neo) s’offre une brillante victoire. Avec une moyenne de 5,81, il conclut une belle série qui l’avait déjà vu triompher en 2021 et finir au pied du podium en 2022, nonobstant une note globale en hausse! Pour la ville de Sion, le passé avait également été faste avec l’or en 2021 et le bronze en 2022. Mais, pour la cité du président Philipe Varone (PLR), la série s’arrête brutalement puisqu’elle chute au 11e rang avec une moyenne passable de 4,65. Comment s’explique cette évolution contrastée?
Sur le plan des équilibres budgétaires, le Valais reste souverain avec des investissements autofinancés à 144% (Ind. 2), tout en réduisant sa dette nette de quelque 3% de ses dépenses par rapport à l’exercice précédent (Ind. 3). A l’inverse, Sion s’essouffle déjà et dépasse tout juste le degré minimum conseillé (80%) pour payer ses investissements, devant recourir à l’emprunt pour le solde (Ind. 2). En outre, la ville voit ses engagements croître substantiellement, de 2,4% de ses dépenses (Ind. 3). Ce qu’un poids d’une dette (Ind. 4) source de revenus ne parvient pas à compenser. Mais surtout, Sion laisse filer ses dépenses courantes (+5,2%, Ind. 5). Là où, au contraire, le canton arrive même à les réduire (-0,3%). En outre, la ville investit deux fois plus que le canton (Ind. 6). Un effort proche de l’excès.
Le contraste fribourgeois
Doit-on être surpris: entre la ville des Zähringen et son canton, l’image est en noir et blanc. A l’avantage de la cité cette fois qui obtient une 6e place avec une moyenne générale de 5,36, tandis que le canton rentre dans le rang (11e, 5,07). Comme relevé par la précédente édition, s’il affiche le meilleur résultat sur vingt-cinq ans, le canton a connu récemment un petit coup de mou que l’exercice 2023 illustre bien. En effet, à un modeste tiers, l’autofinancement des investissements (Ind. 2) s’avère très nettement insuffisant alors que la ville caracole en pouvant payer presque deux fois ses investissements (191%) par ses propres moyens.
Même topo sur le plan des engagements supplémentaires (Ind. 3): le canton les accroît (+1,8%) quand la ville les réduit fortement (-7,7%). A l’instar de Sion, la cité de Fribourg investit tout aussi massivement (Ind. 6) et nettement plus que le canton, dans un rapport de 1 à 3! En revanche, la ville se méprend complètement dans ses prévisions fiscales. Cette sous-estimation de plus de 20% de ses rentrées assure certes de bonnes surprises au moment des comptes, mais n’est guère professionnelle.
Neuchâtel: le château domine les villes
Dans l’ancienne principauté, le canton se porte nettement mieux que ses cités: il figure en milieu de classement (13e) avec une note moyenne de 4,92, là où son chef-lieu a plongé de 5,33 à 3,83 (16e) tandis que La Chaux-de-Fonds se morfond dans les tréfonds au-dessous de la moyenne (3,43 – 19e). Sur les quatre indicateurs des équilibres budgétaires, le canton de Neuchâtel affiche une forme parfaite (6,00 partout) tandis que la ville et la métropole horlogère n’arrivent pas à couvrir leurs charges courantes, à moins de 98% (Ind. 1).
Les deux cités investissent à crédit (31,2% d’autofinancement pour Neuchâtel, 42,5% pour La Tchaux) et lâchent la bride des engagements supplémentaires (+6,8% et +8,8%). Ville (+3,2%) et canton (+2,7%) peinent à maîtriser leurs dépenses courantes. Un exercice que La Chaux-de-Fonds réussit en revanche plutôt bien (+1,4%). Les indicateurs de la dette (Ind. 9 et 10) passent du vert à l’orange dans le chef-lieu, virent de l’orange au rouge au canton et tournent à l’écarlate éclatant dans la cité du Haut où beaucoup plus de deux ans de revenus seraient nécessaires pour couvrir la dette, qu’elle soit brute ou nette!
Le bonnet d'âne à la Tour Baudet
Comme toujours, Genève ne fait rien comme les autres. Les finances de la ville s’en sortent mieux (5,15 – 9e rang) que celles du canton (4,88 – 14e). Sur un exercice 2023 exceptionnel grâce aux revenus pharaoniques des sociétés de trading qui a aussi induit des prévisions fiscales de 17% trop pessimistes (Ind. 7), les deux collectivités affichent une couverture des charges hors norme à quelque 115% (Ind. 1). De quoi autofinancer trois fois et demie les investissements réalisés. La Cité de Calvin a en revanche le défaut de dépenser à tout va (+4,3%) et de perdre la maîtrise de ses dépenses courantes (Ind. 5). Elle se montre à l’inverse plus raisonnable sur le plan de la dette tandis que le canton reste toujours plombé par un endettement historique, le plus lourd de Suisse (Ind. 9 et 10).
Le point trop n'en faut vaudois
Vaud et Lausanne déçoivent, même pas en bien mais dans une forme de médiocrité moyenne. Avec son 12e rang, on pourrait croire que la ville olympique fait mieux que son canton (18e). Illusion d’optique: avec une note globale de 4,52, celui-ci bat d’un souffle sa capitale (4,49). Cette dernière affiche de solides équilibres budgétaires. En revanche, le canton ne couvre que beaucoup trop faiblement ses investissements, à tout juste 40% (Ind. 2). Autre faiblesse: des engagements supplémentaires (+3,7%) qui prennent l’ascenseur (Ind. 3).
Les deux collectivités peinent à maîtriser leurs dépenses courantes (Ind. 5): +4,4% pour la ville, +3,0% pour le canton où – maladie un peu chronique – l’effort d’investissement demeure toujours un peu faible (Ind. 6). Ce dernier se montre en revanche exemplaire sur l’endettement. Au contraire de la capitale olympique qui signe des records négatifs: il lui faudrait une année et demie de ses revenus courants pour effacer sa dette brute. Pire encore: bien plus de trois années d’impôts seraient nécessaires pour éteindre sa dette nette.
Les sempiternelles maladies de jeunesse jurassiennes
Le Jura confirme la règle voulant que le canton soit en (légère) meilleure forme (4,01 de moyenne, 21e rang) que son chef-lieu (3,02 – dernière des villes). Les deux collectivités n’arrivent pas à équilibrer leurs charges (95,8% pour le canton vs 98,7% pour Delémont, Ind. 1) et doivent par trop recourir à l’emprunt pour financer leurs investissements (29,9% vs 39,8%, Ind. 2). Cela contribue à induire des engagements supplémentaires trop élevés (4,6% vs 6,0%, Ind. 3).
En outre, Delémont a vu exploser ses dépenses courantes (+11%! – Ind. 5). Plus grave encore, la ville a beaucoup surestimé ses rentrées fiscales (+4,2% – Ind. 7) et elle est plombée par un endettement tant net que brut proprement faramineux (Ind. 9 et 10). Du côté du canton, l’effort d’investissement laisse à désirer (Ind. 6), au contraire de la ville. Au final, les deux collectivités, qui ont certes toujours eu une santé financière claudicante, doivent sérieusement se reprendre en main!
Il importe d’abord de rappeler que cette analyse n’est pas un rating. Au contraire d’une agence de notation qui juge si une collectivité sera capable de rembourser ses dettes, le comparatif de l’Idheap
se fonde sur dix indicateurs. Les quatre premiers (1. Couverture des charges, 2. Degré d’autofinancement, 3. Engagements supplémentaires et 4. Poids des intérêts) permettent de calculer un indicateur d’Equilibres budgétaires.
Quatre autres indicateurs (5. Maîtrise des dépenses courantes, 6. Effort d’investissement, 7. Exactitude de la prévision fiscale et 8. Intérêt moyen de la dette) vont permettre d’évaluer la Qualité de la gestion financière. Enfin, deux indicateurs mesurent l’importance de l’endettement par rapport aux revenus fiscaux sur une base nette (9) ou aux revenus courants mesurés à la dette brute (10). L’ensemble des dix critères permet finalement de dégager une note globale (Indice synthétique).