Les technologies évoluent très vite, il faut constamment investir dans les nouveaux outils.» Joël Winteregg est cofondateur et directeur de NetGuardians. La fintech yverdonnoise présente dans près de 30 pays est connue pour ses logiciels de détection de fraude bancaire. En septembre 2024, son entreprise est rachetée par le fonds d’investissement suédois Summa Equity, qui a ensuite fondé un nouveau groupe réunissant NetGuardians et Intix, une PME belge spécialiste de l’analyse des transactions.

Les activités des deux entreprises sont complémentaires. «Les outils développés par Intix nous donnent accès à de nouveaux types de données, qui nous permettront d’améliorer nos algorithmes anti-fraude. En définitive, il s’agit presque d’un partenariat. Nous avons gardé nos locaux et nos personnels respectifs», se réjouit Joël Winteregg, qui a pris la tête du groupe belgo-suisse formé par les deux entités.

L’investissement réalisé par Summa Equity permettra à la fintech vaudoise, qui emploie 50 personnes à Yverdon et 90 dans le monde, de déployer ses algorithmes et modèles d’intelligence artificielle dans d’autres domaines. «Nous pourrons désormais développer nos solutions d’anti-blanchiment ou de «community scoring», un moyen de connecter les banques entre elles pour mieux lutter contre la criminalité financière.»

Après plusieurs tours de financement auprès d’investisseurs publics pour l’innovation et de fonds de capital-risque, la fintech ne parvenait plus à trouver les capitaux nécessaires pour financer sa croissance. «Impossible de trouver un fonds de capital-risque en Suisse auprès d’une banque d’affaires. Nous avons dû élargir nos recherches», explique Joël Winteregg.

Deux PME vaudoises rachetées par Orange

En 2022, les deux entreprises SCRT, axée sur la cybersécurité et forte de 70 employés, et Telsys, spécialisée dans le cloud et dotée d’une trentaine d’employés, ont fusionné en vue d’une reprise par le géant français Orange. Baptisée Orange Cyberdefense Suisse et installée à Morges, la nouvelle firme née de cette fusion est dirigée par l’ancien propriétaire de Telsys, Nicolas Lutz.

«Notre objectif était de trouver de nouveaux moyens afin de répondre aux besoins de clients importants comme les multinationales. Cette stratégie est essentielle pour notre compétitivité.» Le directeur accueille positivement le rachat de son entreprise par le groupe français. «En Suisse, il n’y avait tout simplement pas de repreneurs disponibles. Nous avons réussi à maintenir nos capacités opérationnelles et notre proximité avec les clients dans la région, tout en profitant du réseau et de la réputation d’un grand groupe international.» Les premiers résultats sont encourageants. La nouvelle firme table sur une croissance annuelle de 14% en 2024 et une probable nouvelle acquisition en Suisse alémanique en 2025. Le rattachement à Orange a permis de recruter du personnel. Aujourd’hui, malgré le départ de quelques employés, la filiale suisse emploie environ 130 personnes.

Orange Cyberdefense affiche volontiers son ambition de devenir leader européen en matière de cybersécurité. Le déploiement sur le marché helvétique est une étape cruciale vers le leadership européen convoité par le groupe français. «La Suisse est le cinquième marché de cybersécurité en Europe. Sa structure économique, composée de multinationales et d’un tissu très dense de PME, et la présence de personnel hautement qualifié en font un terrain idéal pour l’implantation d’Orange», note Laurent Celerier, vice-président exécutif pour l’Europe centrale et les affaires internationales chez Orange Cyberdefense.

La Suisse à la pointe

Le marché de la cybersécurité est en plein boom. Sa croissance annuelle s’élevait à 11,8% en 2023 au niveau mondial et s’accélère globalement depuis plusieurs années. En 2024, près de 85% des prestataires de cyberdéfense suisses s’attendaient à une augmentation de leurs revenus à court terme.

En novembre 2024, le magazine Forbes désignait la Suisse comme l’une des principales sources d’innovation technologique en Europe, grâce notamment à des connaissances de pointe dans des domaines très spécifiques, comme l’automatisation industrielle, la science des matériaux et la santé.

Selon Lennig Pedron, directrice de la Trust Valley, il en va de même pour la sécurité informatique. «Les EPF forment des ingénieurs en cybersécurité parmi les meilleurs du monde. Ces compétences sont reconnues à l’international, l’intérêt des investisseurs étrangers pour les entreprises et start-up suisses est très clair.»

Responsable des investissements de private equity thématiques à la banque Pictet, Pierre Stadler confirme ce succès, qu’il estime positif pour le secteur et l’économie en général. «L’intérêt solide des fonds d’investissement et groupes internationaux montre que les entreprises suisses disposent de compétences et d’un potentiel d’innovation important. Ces rachats sont une bonne nouvelle pour le secteur suisse de la cybersécurité dans la mesure où ils ne conduisent pas à des délocalisations ou à des fuites de compétences hors des frontières.»

Pourtant, certains constatent que cet afflux de capitaux étrangers vient combler le manque d’intérêt des acteurs locaux. «Les start-up suisses bénéficient d’un accompagnement de qualité et de nombreuses ressources pour démarrer. Mais lorsqu’il faut trouver 10 millions de francs pour la phase de scaling, la tâche devient plus compliquée», résume Lennig Pedron.

Dans ce domaine réputé risqué, l’étape du scaling peut déboucher sur une forme de maturité qui rendra l’entreprise plus attrayante aux yeux des investisseurs. «La cybersécurité présente toujours des atouts indéniables, dont la résilience et la récurrence», commente Pierre Stadler. En effet, le coût d’implémentation des systèmes de sécurité informatique fait que les clients changent rarement de prestataire. «Les acteurs bien établis sur le marché, qui disposent déjà d’un portefeuille de clients important, constituent en général des investissements rémunérateurs.»

Croissance organique

Au-delà de la constellation de start-up qui ont émergé ces dernières années, les entreprises présentes de plus longue date ont su miser sur le local. Installée à Pully (VD), ELCA Security, forte de plus de 70 employés, est devenue l’un des leaders suisses de la sécurité informatique. «Nous avons développé une stratégie à long terme qui nous a permis de gagner la confiance des clients et de consolider notre présence sur le marché», résume le directeur, Christophe Gerber.

Le groupe ELCA a consenti à d’importants investissements en rachetant différentes «pépites» helvétiques. Dernier exemple en date, le rachat de la zurichoise EveryWare fin 2022. «Nous sommes toujours intéressés par des opportunités d’acquisitions qui nous permettent d’ajuster notre offre à l’évolution des besoins du marché, mais toutes ne sont malheureusement pas adaptées à nos besoins ou à nos moyens.»

Pour cette entreprise, la Confédération pourrait améliorer les conditions-cadres afin d’ancrer les start-up les plus prometteuses en Suisse. «Certains Etats accordent des avantages fiscaux aux entreprises qui investissent dans les start-up locales, en vue de pérenniser leur souveraineté numérique. Ce n’est pas le cas en Suisse aujourd’hui», observe Christophe Gerber. Un constat partagé par Lennig Pedron. «Dans les pays où le financement des entreprises de cybersécurité relève de la stratégie de défense, les gouvernements consentent à d’importants investissements dans les start-up et sont souvent de bons premiers clients. Cela permet de «scaler» plus facilement.»

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Le nombre de pays dans lesquels NetGuardians est présente. La société souhaite développer des solutions de «community scoring», un moyen de connecter les banques entre elles pour mieux lutter contre la criminalité financière.

14%
Orange Cyberdefense mise sur une croissance de 14% en 2024 et table sur une probable nouvelle acquisition en Suisse alémanique en 2025.

85%
En 2024, près de 85% des prestataires de cyberdéfense suisses s’attendaient à une augmentation de leurs revenus à court terme.

70
Le nombre d’employés de la société ELCA Security, installée à Pully (VD). Elle est devenue l’un des leaders suisses de la sécurité informatique.