Une nappe blanche, quatre verres et des notes de dégustation, la mise en place correspond à une dégustation de vin classique. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est la qualité des vins à déguster, tout simplement extraordinaire: le millésime 2022 de l’Ornellaia toscan, qui n’est pas encore commercialisé à ce moment-là. L’Ornellaia fait partie des super toscans. Dans les années 1970, certains viticulteurs ont rompu avec les traditions italiennes et ont remplacé le cépage sangiovese, typique de la région, par des assemblages bordelais de cabernet sauvignon et de merlot. Aujourd’hui, les produits d’Ornellaia, de Sassicaia ou de Tignanello font partie des raretés recherchées dans le monde entier.

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C’est l’entreprise familiale Bindella, fondée en 1909, spécialisée dans le négoce de vins italiens et la restauration, qui importe ce vin prestigieux en Suisse, un pays au fort pouvoir d’achat qui revêt une importance stratégique pour l’Ornellaia. Cela se reflète également dans le prix. Depuis début mars, Bindella propose le millésime 2022 au prix de 210 francs. A première vue, c’est un prix élevé. Mais celui qui achète une telle bouteille peut s’attendre non seulement à une qualité qui ira en s’améliorant, mais aussi à un bon rendement. En effet, le prix du millésime 2015 est aujourd’hui de 330 francs suisses.

Pour un flacon d’Ornellaia de 20 ans d’âge, les collectionneurs paient 380 francs et une bouteille de 2001 peut facilement coûter 490 francs. Au cours des vingt-quatre dernières années, un rendement annuel de 5,1% a ainsi pu être atteint. Cet exemple le montre, le vin n’est plus seulement un produit de consommation, c’est aussi un objet de spéculation. Mais ce qui a été considéré pendant des années comme un investissement à toute épreuve est en chute libre depuis deux ans. En septembre 2022, les «vins fins», les vins d’investissement, ont atteint leur apogée avant que cette bulle spéculative sur le vin n’éclate.

Les prix baissent depuis deux ans

C’est ce que montre également l’indice du London International Vintners Exchange, le Liv-ex. Le plus connu de ses indices est le Liv-ex 100, qui représente les «blue chips» du monde du vin. Il s’agit d’une centaine de vins haut de gamme, dont la plupart proviennent de maisons anciennes et réputées, dont 77% de vins français, principalement de Bordeaux, suivis de la Bourgogne et de la Champagne. On y trouve également les super toscans évoqués précédemment ainsi que de grandes bouteilles de Napa, en Californie, et d’Espagne.

Le Liv-ex 100 a augmenté de 140% depuis 2015, avec un pic historique en 2022, à 180%. Depuis, la valeur a fortement diminué. Les régions de Bourgogne et de Champagne sont les principales responsables de cette baisse. La Bourgogne est le fief du pinot noir. Les parcelles sont petites, tout comme les quantités produites. Les viticulteurs parlent ici en bouteilles et non en caisses. Cette exclusivité a alimenté le battage médiatique, l’indice Burgundy-150 ayant triplé en valeur jusqu’à l’automne 2022. Depuis lors, il a de nouveau chuté de 30%.

La bulle spéculative a également éclaté pour les champagnes: de 2015 à 2022, les prix ont augmenté de 280% et, aujourd’hui, ils sont loin de ce pic, même si le marché se porte toujours mieux qu’en 2015. Tom Burchfield, responsable de marché chez Liv-ex, explique cette dégringolade: «En 2021 et 2022, il y a eu une énorme augmentation de la spéculation sur le marché des vins fins, alimentée par des prêts bon marché.» La hausse des prix est devenue incontrôlable et s’est ensuite avérée intenable. «Lorsque les coûts du crédit ont augmenté, la demande et les prix ont chuté.»

Le vin se trouve dans un bear market

«Le marché est très agité», confirme Chandra Kurt, experte en vin et Master of Wine. Outre les surévaluations, la Chine et l’Asie, qui ont jusqu’à présent fait monter les prix, ont généralement montré moins d’intérêt pour des investissements dans le vin. En outre, les menaces de droits de douane de la part des Etats-Unis, la situation économique générale et la faiblesse des récoltes incitent à la prudence.

Le boom a également été alimenté par les producteurs de bordeaux, qui sont entrés dans une véritable ruée vers l’or; ils ont produit de plus en plus de vins, ce qui a entraîné une offre excédentaire. De plus, les évaluations de millésimes entiers de bordeaux se sont avérées trop positives, ce qui a fait baisser la demande. Une enquête menée par la plateforme Wine Lister auprès des dirigeants du vin montre, sans surprise, que l’intérêt pour le bordeaux ne peut que croître si les viticulteurs adaptent leurs prix à la qualité effective ou réduisent leur quantité.

Selon Tom Burchfield, cela s’explique aussi par le fait que de nombreux collectionneurs possèdent désormais des réserves de vins importantes alors que la nouvelle génération n’a pas suivi. C’est la situation typique d’un marché en plein déséquilibre où les collectionneurs ne sont pas prêts à payer le prix actuel alors que les vendeurs ne veulent pas encore baisser leurs prix.

Pendant ce temps, les stocks augmentent et font pression sur les vendeurs. Selon l’enquête de Wine Lister, seulement la moitié des experts s’attendent à une baisse des prix du vin à partir de 2026. Tom Burchfield est quant à lui plus optimiste: «Il y a des signes indiquant que les prix ont suffisamment baissé pour relancer la demande.»

La conservation

Si vous souhaitez construire une cave à vin, il est préférable de la placer sous terre. Les températures y sont généralement plus fraîches, entre 9 et 13°C. L’humidité de l’air est également un facteur décisif, car les étiquettes peuvent se décoller dans des conditions trop sèches. Les personnes qui investissent dans le vin le conservent dans les caisses d’origine. D’une part, celles-ci sont plus faciles à transporter lors de la revente, d’autre part, de nombreux acheteurs, en particulier ceux d’Asie, attachent de l’importance à ce que le produit soit complet.

Les avantages du vin comme investissement

Le moment idéal pour investir dans le vin? Costantino Lanni, responsable du cursus Banque et Finance à la Haute Ecole de gestion de Zurich, met en garde contre une trop grande euphorie. «Le prix ne devrait jamais être l’argument décisif pour l’achat de vin, ce devrait être la passion.» Le vin n’est qu’une possibilité, certes intéressante, de diversifier son patrimoine. «C’est un objet de collection, comme l’art, les métaux précieux ou les voitures.» Quoi qu’il en soit, «par rapport au marché boursier, les prix du vin dépendent moins des conditions économiques». En moyenne, les vins fins ont jusqu’à présent généré un rendement annuel constant de 7%. «La performance est plus stable que sur les marchés boursiers.»

Mais attention à ne pas sous-estimer les coûts. «Les vins ont besoin d’un stockage optimal. Ceux qui ne sont pas attachés à la valeur émotionnelle ou qui ne souhaitent pas investir dans leur propre cave stockent leur vin ailleurs.» Costantino Lanni fait ici référence aux ports francs, comme à Genève, où les conditions de garde sont optimales pour le vin. Des plateformes telles que Splint Invest vont encore plus loin. Les personnes intéressées peuvent acquérir une part d’une caisse de vin et reçoivent en échange un certificat. Le fournisseur se charge de l’achat, du stockage et de la vente. Pour la plupart de ces fournisseurs, l’horizon de placement se situe entre six et onze ans, les décisions d’achat étant prises en coulisses par des experts en vin.

Rechercher des sources fiables

Le conseil le plus important lors de l’achat de vin est de s’adresser à un spécialiste fiable. «Il y a de nombreuses contrefaçons sur le marché», prévient l’experte Chandra Kurt. Seule une source sûre, comme un négociant en vins, une maison de vente aux enchères ou un achat direct à la propriété viticole, garantit que la bouteille contient bien le bon vin et qu’il a été stocké correctement. En matière de diversification, la règle de base consiste à avoir du bordeaux dans son portefeuille: «Les collectionneurs d’art ont un Picasso, les collectionneurs de vins stockent du bordeaux», déclare Charles Foley, spécialiste du vin et commissaire-priseur chez Christie’s.

En effet, 70% des grands vins proviennent de cette région. Ne pas oublier non plus d’y ajouter au moins un super toscan, comme l’Ornellaia. Et si le marché du vin continue de se refroidir entre-temps, une telle collection présente l’avantage non négligeable de pouvoir être consommée pour se consoler.

Tina Fischer
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