Depuis la dernière décision de politique monétaire, le 24 mars, le garant suisse de la stabilité monétaire fait face à une situation difficile. La guerre en Ukraine, qui dure maintenant depuis plus de cent jour, ne montre aucun signe d'apaisement et l'inflation ne cesse de grimper, portée par l'envolée des prix des matières premières et les goulets d'étranglement dans la logistique internationale.
Dans ce contexte anxiogène, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a taillé mercredi dans ses prévisions de croissance, tout en relevant ses attentes en matière de renchérissement. Elle a ramené son anticipation de croissance mondiale pour cette année à 3%, contre 4,5% en décembre dernier. L'inflation pourrait quant à elle grimper à 8,5%.
La Suisse n'est pas épargnée par ces soubresauts. L'OCDE table sur une progression de 2,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2022, contre +3,0% dans les précédentes estimations. L'inflation est attendue à 2,5% pour l'exercice en cours - au-dessus de l'objectif de stabilité plafonné à 2% par la BNS - et à 1,8% en 2023.
La direction qui sera adoptée jeudi prochain par l'institut d'émission helvétique n'est pas pour autant évidente, de l'avis des spécialistes. Pour le chef économiste de Vontobel, Reto Cueni, "le début du cycle de resserrement monétaire en Europe devrait enfin aussi réveiller la Banque nationale suisse".
Jeudi, la Banque centrale européenne (BCE) a en effet confirmé l'arrêt des rachats nets de dette sur le marché à partir du 1er juillet. Le taux directeur est pour l'heure maintenu à son plus bas historique, malgré une inflation en mai à 8,1% sur un an, un niveau record. La BCE prévoit cependant de relever ses taux de 25 points de base lors de sa prochaine réunion le 21 juillet et table sur une nouvelle hausse en septembre.
Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale américaine (Fed) a assuré qu'elle ferait tout pour ramener l'inflation dans les clous. Elle a commencé à relever avec vigueur ses taux directeurs en mai - d'un demi-point dans une fourchette de 0,75% et 1% - et devrait continuer.
La BNS devrait encore temporiser, estime M. Cueni dans un commentaire. L'institut d'émission dirigé par Thomas Jordan devrait effectuer un premier relèvement du taux directeur - à -0,75% depuis janvier 2015 - en septembre, suivi par deux autres en décembre et mars 2023, ce qui ferait sortir la BNS des taux négatifs.
En resserrant leur politique monétaire, les banques centrales renchérissent le coût du crédit, espérant ainsi freiner la consommation et l'inflation. Mais une hausse trop abrupte des taux pourrait aussi nuire à la reprise économique, qui dépend en partie de l'accès aux emprunts, après deux années de pandémie.
Pression sur le franc
Selon les spécialistes de Commerzbank, la BNS a préparé le marché à une sortie de sa politique monétaire ultra-expansive, mais elle a également signalé "qu'elle n'est pas autant pressée que ses homologues". Plus de 60 banques centrales dans le monde ont effet déjà relevé leurs taux d'intérêt en 2022, a rappelé John Plassard de Mirabaud Banque sur Twitter.
La pression n'est en effet pas encore trop importante pour la banque centrale suisse et cette dernière veut éviter des tensions à la hausse sur le franc, dommageables pour les exportateurs helvétiques. La BNS devrait donc laisser la priorité à la BCE en juillet avant de suivre en septembre.
Daniel Kalt, économiste en chef d'UBS, partage cet avis. Il n'attend pas de mouvement de la part de la BNS avant septembre. "Une annonce la semaine prochaine (...) serait une surprise et pourrait renforcer la pression haussière sur le franc au vu de la situation macroéconomique et géopolitique instable", indique-t-il à AWP.
La BNS pourrait tout de même revoir son vocabulaire sur la valorisation du franc, afin de préparer les marchés à ses prochaines décisions, selon M. Kalt.
Les spécialistes de J. Safra Sarrasin sont, eux, plus prudents. "Il est faux de supposer que la BNS ne relèvera ses taux qu'après la BCE", ont-ils nuancé. L'économie se porte bien, le taux de change réel n'est pas surévalué, l'inflation dépasse la cible définie et les tensions sur le marché du travail pourraient pousser les salaires vers le haut.
Pour la banque, il n'y a donc "aucune raison que la BNS attende encore plus longtemps". Elle pourrait ainsi relever ses taux de 25 points de base lors de ses prochaines réunions trimestrielles, et cela dès la semaine prochaine.