Après l'annonce de cette estimation sur la télévision nationale, dans ce pays où l'abstention est habituellement très forte, entre 200 et 300 partisans du président ont afflué sur l'avenue Bourguiba au coeur de la capitale. "Kaïs, on se sacrifie pour toi", criaient certains en chantant l'hymne national.
Comme l'essentiel de l'opposition, dont le parti d'inspiration islamiste Ennahdha boycottait le scrutin, l'enjeu était surtout la participation. Cette dernière s'est établie à 27,54% des 9,3 millions d'inscrits, selon l'autorité électorale ISIE.
"Les électeurs étaient au rendez-vous avec l'histoire et se sont dirigés en nombre très respectable vers les bureaux de vote", a commenté le président de l'ISIE, Farouk Bouasker.
Profonde crise
Les votants étaient surtout "les classes moyennes les plus lésées, les adultes qui se sentent floués économiquement, politiquement et socialement", a analysé le directeur de Sigma Conseil.
La Tunisie est confrontée à une crise économique, aggravée par le Covid-19 et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé. Le pays est très polarisé depuis que le président, élu démocratiquement en 2019, s'est emparé de tous les pouvoirs il y a un an.
Deux gros blocs ont voté "oui", a dit le directeur de l'institut de sondage: "la partie moderniste du pays", parfois nostalgique de l'ancien dictateur Ben Ali et le "fan club" des soutiens inconditionnels de M. Saïed, surtout des jeunes de 18 à 25 ans.
Après avoir voté le matin, le président tunisien a appelé à approuver sa constitution pour "établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale". Ennahdha a dénoncé des déclarations pouvant orienter le vote, représentant "une fraude au référendum".
Texte controversé
Cette nouvelle loi fondamentale controversée, imposée par le président Saïed, accorde de vastes pouvoirs au chef de l'Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014.
Le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise. Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont "la priorité". Une deuxième chambre représentera les régions, en contrepoids à l'actuelle assemblée des représentants.
L'opposition et de nombreuses ONG ont dénoncé une constitution "taillée sur mesure" pour M. Saïed et le risque de dérive autoritaire d'un président n'ayant de comptes à rendre à personne. Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saïed d'élaborer la nouvelle constitution, a désavoué le texte final, estimant qu'il pourrait "ouvrir la voie à un régime dictatorial".
L'opposition avait appelé au boycott du scrutin, invoquant un "processus illégal" et sans concertation.
"Pas de garde-fous"
Personnage complexe, le président Saïed, 64 ans, exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an. Il considère sa refonte de la constitution comme le prolongement de la "correction de cap" engagée le 25 juillet 2021, quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du printemps arabe.
Le nouveau texte "donne presque tous les pouvoirs au président et démantèle tous les systèmes et institutions pouvant le contrôler", a dit à l'AFP Saïd Benarbia, directeur régional de la commission internationale des juristes CIJ.
"Aucun des garde-fous qui pourraient protéger les Tunisiens de violations similaires au [régime, ndlr] Ben Ali n'existe", selon M. Benarbia convaincu que la nouvelle constitution "codifie l'autocratie".
Pour la majeure partie de la population, la priorité est ailleurs: une croissance poussive (autour de 3%), un chômage élevé (près de 40% des jeunes), une inflation galopante et l'augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.