Le Conseil des gouverneurs de l'institut monétaire a décidé de relever les taux directeurs de 75 points de base, une première en deux décennies d'existence - hormis un ajustement technique en 1999.
Servant de référence dans un contexte de liquidités abondantes, le taux sur les dépôts bancaires à la BCE, ramené de -0,5% à 0% en juillet, passe ainsi à 0,75%.
Les deux autres taux directeurs, celui appliqué aux banques sur les opérations de refinancement sur plusieurs semaines et celui visant la facilité de prêt marginal au jour le jour, passent eux respectivement à 1,25% et 1,50%.
Des hausses de taux doivent favoriser l'épargne et réduire la consommation, pour abaisser la pression sur les prix.
Inflation forte pour longtemps
En juillet, la BCE avait eu la main ferme en annonçant par surprise une hausse de 50 points de base, quand 25 points étaient attendus.
Cette première hausse en plus de dix ans est intervenue après une longue période d'argent pas cher qui a permis de stimuler l'économie.
La promesse était alors d'en faire autant en septembre à moins que les tensions inflationnistes refluent.
Or, les prix ont grimpé en août à un niveau record de 9,1% sur un an en zone euro, très au-dessus du taux de 2% visé par la BCE et la poussant jeudi à envoyer un signal fort.
Les nouvelles tensions des prix de l'énergie depuis l'arrêt complet de la livraison de gaz russe vers l'Europe présagent même d'une inflation à deux chiffres à l'automne.
Le reflux espéré de prix va donc se faire attendre, comme en témoignent les nouvelles prévisions d'inflation dévoilées jeudi, nettement relevés jusqu'en 2024.
L'agrégat, selon la BCE, devrait monter à 8,1% en 2022, avant de ralentir à 5,5% en 2023 et à 2,3% en 2024.
La croissance du PIB est elle encore attendue à 3,1% cette année, avant de plonger à 0,9% en 2023, bien moins que prévu dans la dernière série de projections publiées en juin.
Ligne dure
Plus d'inflation et moins de croissance : c'est dans ce contexte assombri que la ligne dure défendue notamment par l'allemande Isabel Schnabel, membre influente du directoire de la BCE, a pesé sur les décisions du jour.
Il faut faire preuve de "détermination" face à des prix débridés et ce "même au risque d'une croissance plus faible et d'un chômage plus élevé", a exhorté Mme Schnabel fin août.
Ce qui compte est que le public garde la "confiance dans notre capacité à préserver le pouvoir d'achat", a-t-elle insisté.
Jusqu'alors, le dilemme entre hausse des prix et craintes de récession a freiné l'action de la BCE alors que d'autres grandes banques centrales avaient démarré leur cycle de resserrement des taux.
Au sein du conseil des gouverneurs de la BCE, une fraction de décideurs a bien défendu une action "graduelle" en termes de hausses des taux, avec en tête le chef économiste Philip Lane.
Mais ce clan s'est avéré minoritaire quand bien même le lot de nouvelles alarmantes s'accumulait en zone euro.
La faiblesse de l'euro, qui s'est enfoncé lundi sous le seuil de 0,99 dollar, a pu constituer un autre argument plaidant pour un coup de massue monétaire.
Un euro faible renchérit la facture de produits importés, ce qui alimente l'inflation.
Fed en avance
Les taux de la Réserve fédérale américaine se situent déjà entre 2,25 et 2,50% et une hausse de 75 points de base se profile le 21 septembre prochain.
Concernant la BCE, ce tour de vis de septembre en appelle d'autres lors des deux réunions à suivre avant la fin de l'année, selon les observateurs.
Cependant, une séquence agressive de la BCE sur ses taux va renchérir les conditions d'emprunt des pays de la zone euro jugés vulnérables, comme l'Italie.
L'institut pourrait devoir dégainer tôt ou tard son nouvel outil, présenté cet été, destiné à tuer dans l'oeuf les attaques spéculatives sur la dette, selon Holger Schmieding, économiste chez Berenberg.