Beaucoup des travailleurs de l'informel, l'économie non régulée qui fait vivre la grande majorité des Sénégalais au quotidien, ont repris leur besogne à Dakar, calculant leurs pertes et conscients que certains facteurs des troubles qui ont fait 16 morts la semaine passée restent dangereusement présents.
Magaye Gaye, 19 ans, vendeur de produits de toilette sur le marché Sandaga dans le centre de la capitale, a fermé son étal mercredi, veille du verdict contre l'opposant Ousmane Sonko qui a mis le feu aux poudres. "J'ai dépensé toutes mes économies depuis pour vivre". Dimanche, il a "vu que les choses s'étaient un peu calmées et (a) décidé de reprendre le travail" lundi mais n'est "toujours pas rassuré".
Le feu aux poudres
La condamnation de M. Sonko à deux ans de prison dans une affaire de moeurs a déclenché les heurts les plus violents qu'ait connus le pays depuis des années. Ce verdict rend en l'état actuel l'opposant, populaire chez les moins de vingt ans qui représentent la moitié de la population et dans les milieux modestes, inéligible à la présidentielle de 2024.
De jeunes hommes ont affronté les forces de sécurité, saccagé des équipements publics et incendié des commerces et des stations essence. Les troubles ont causé des dégâts non chiffrés mais considérables, et paralysé les activités jusqu'au week-end.
Le commissaire Ibrahima Diop, directeur de la sécurité publique, a assuré dimanche que "la situation est maîtrisée, la situation est revenue au calme".
Les rues de la capitale se sont à nouveau progressivement remplies. Mais nombre d'agences bancaires sont restées fermées. Une immense queue s'est étirée dès les premières heures devant le siège d'une grande banque pour pouvoir débiter des chèques ou retirer de l'argent.
C'est le début du mois, le moment où l'on vient encaisser son salaire. Une grande partie des paiements s'effectue en liquide. D'autres peuvent en temps normal se faire via des plateformes mobiles. Mais le gouvernement a suspendu dimanche l'internet mobile après avoir bloqué l'accès aux réseaux sociaux comme WhatsApp, Facebook ou Twitter.
"Rassurer"
"Les banques sont fermées depuis mercredi. On ne peut pas toucher son salaire ou sa retraite. Les journaliers ne sont pas payés. Les gens n'arrivent pas à se faire soigner", faute de liquide, s'indigne dans la file Ady Thiam, contrôleur de recettes de 45 ans.
"Avec le peu que les gens ont, c'est ça qui amène la révolte", dit-il en pressant le président Macky Sall de dialoguer.
Le directeur de la sécurité publique a fait état de 500 arrestations, "principalement des individus armés et dangereux". Après le ministre de l'Intérieur, il a décrit les troubles comme des actes de subversion commis par des éléments en partie étrangers et visant à "instaurer un climat de terreur".
Le parti de M. Sonko dénonce, lui, une "répression meurtrière" et parle de 19 morts. Des images à l'authenticité difficile à établir ont proliféré sur les réseaux sociaux montrant des abus des forces de police. Les défenseurs des droits ont aussi vivement critiqué le flot d'interpellations et les restrictions d'accès à internet.
Après sa condamnation, M. Sonko est toujours présumé se trouver chez lui à Dakar, bloqué par les forces de sécurité et exposé à une éventuelle arrestation, qui menace d'enflammer à nouveau les esprits.
Un autre vecteur de tension est le flou entretenu par le président Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat. Une telle hypothèse rencontre une forte opposition adossée aux termes de la Constitution.
Au marché Sandaga, Modou Gueye, 46 ans, vendeur de friperie, constate que "les clients ne viennent pas parce qu'ils ont peur". Or "on vit au jour le jour. Boulot manger, pas de boulot pas de manger. Là, on n'a rien dans les poches". L'inquiétude est d'autant plus vive que la Tabaski, l'appellation locale de la fête musulmane de l'Adha, approche et qu'il faut pouvoir acheter le mouton.
Mansour Sambé, économiste consultant, note que les dommages subis sont déjà considérables, avec "des milliards de francs CFA perdus en deux jours". "Le plus grand danger pour les investisseurs, ce sont les risques politiques. On a prévu une croissance de 9 à 10% (en 2023), on est à mi-chemin". Mais avec les incertitudes d'ici à la présidentielle de 2024, "c'est tout le second semestre qui risque d'être perdu".
Le président doit prendre la parole, "il doit rassurer", dit-il.