L'anthropologue américain David Graeber, décédé en 2020, avait théorisé la chose avec son livre «Bullshit jobs» (2018), dans lequel il dénonçait les «jobs à la con» sans la moindre utilité sociale objective. Il soulignait que c'était plus fréquent dans certains secteurs économiques.
D'autres études en revanche estimaient que la profession en elle-même a peu d'importance et que ce sont bien plus les mauvaises conditions de travail et un sentiment d'aliénation qui seraient à l'origine de ce ressenti.
Sociologue à l'UZH, Simon Walo a voulu en avoir le coeur net. Il a analysé les données d'un sondage mené en 2015 portant sur 1811 personnes aux Etats-Unis actives dans 21 professions différentes.
Un sur cinq
Les questions portaient notamment sur leur sentiment de «fournir une contribution positive à la société» ou «d'exercer un travail utile». Résultat: 19% des travailleurs, tous métiers confondus, ont répondu «jamais» ou «rarement».
Le chercheur a ensuite comparé les données d'employés bénéficiant de conditions de travail similaires et constaté qu'il y a bel et bien des différences imputables à la branche professionnelle. En accord avec la théorie de Graeber, ce sont les travailleurs des secteurs de la finance et de la vente qui ont donné le plus de réponses négatives.
En moyenne, ces derniers répondaient deux fois plus souvent que les autres qu'ils considéraient leur job comme socialement inutile. C'était également le cas chez les managers et les employés de bureau (1,6 et 1,9 fois plus souvent).
Première preuve statistique
Selon Simon Walo, cité dans un communiqué de l'UZH, cette étude est la première à fournir une preuve statistique que le champ professionnel peut aussi être déterminant. «Les données originelles présentées par Graeber étaient principalement de nature qualitative, ce qui rendait difficile une évaluation de l'ampleur du problème», note le chercheur.
Cette nouvelle étude montre également que la part des employés jugeant leur job inutile est plus élevée dans le privé que dans le secteur public ou dans des organisations à but non lucratif. Elle confirme aussi que les conditions de travail, l'aliénation ou encore les interactions sociales peuvent avoir une influence. Ces travaux sont publiés dans la revue Work, Employment and Society.