Signe de l'avancée des agriculteurs vers la capitale, des blindés de la gendarmerie ont été déployés mardi soir sur l'A6 à quelques kilomètres de Rungis, à hauteur de Chilly-Mazarin (Essonne), où sont positionnés des tracteurs de la FDSEA de Seine-et-Marne, sans incident, selon les forces de l'ordre. Même si sur certains barrages, la situation s'est quelque peu tendue en Ile-de-France.
Un convoi de 200 à 300 tracteurs parti du Sud Ouest vers Rungis a fait étape entre Vierzon et Orléans, dans le Loir-et-Cher, pour passer la nuit de mardi à mercredi. Plus tôt, dans les villages traversés, beaucoup d'habitants étaient sortis pour les saluer et applaudir leur passage, en brandissant parfois des drapeaux français, a constaté un journaliste de l'AFP.
Surveillés de près
Le président de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, a rejoint ce convoi qui prévoit d'investir le marché de Rungis, poumon alimentaire de l'Ile-de-France. «Je suis très fier de vous! Vous allez mener ce combat parce que si on ne mène pas ce combat, on est morts», a-t-il lancé aux manifestants. «Demain, il va falloir être sérieux et disciplinés», a-t-il insisté en haranguant ses troupes.
Après avoir été bloqué à plusieurs reprises par les forces de l'ordre, le convoi reste surveillé de près par les gendarmes.
Les agriculteurs continuent également leur progression vers Lyon, avec pour objectif de faire le blocus de la deuxième ville de France. Des tracteurs ont ainsi bloqué en fin de journée l'A89, qui relie Lyon à Clermont-Ferrand.
Le Premier ministre Gabriel Attal a assuré mardi qu'il devait y «avoir une exception agricole française» et promis que le gouvernement serait «au rendez-vous, sans aucune ambiguïté» pour répondre à la crise agricole actuelle, dans son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale.
Malgré ces déclarations, assorties de quelques nouvelles mesures, la mobilisation ne faiblit pas: mardi, les services du renseignement territorial ont recensé près de 120 points de blocage, avec 12'000 agriculteurs mobilisés, plus de 6000 tracteurs, au niveau national, même si Bruxelles a esquissé des concessions, notamment sur la question des jachères.
«Aucune perspective de long terme»
Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau est attendu mercredi après-midi à Bruxelles «pour une série d'entretiens visant à accélérer le traitement des urgences européennes», a indiqué son cabinet mardi.
Rappelant que la crise agricole ne serait pas réglée «en quelques jours», M. Attal s'est dit prêt à «aller plus loin», promettant par exemple que les aides européennes de la Politique agricole commune (PAC) seraient versées «d'ici le 15 mars» et des aides fiscales supplémentaires pour les éleveurs.
Des déclarations qui ont laissé sceptiques les manifestants, comme Johanna Trau, céréalière et éleveuse à Ebersheim (Bas-Rhin), à propos du versement en mars des aides PAC.
«Déjà que certaines mesures mettent trois ou quatre ans à être appliquées... Là je demande à voir!», a-t-elle déclaré mardi dans un convoi de centaines de tracteurs bloquant l'A35, l'autoroute qui longe Strasbourg.
«On veut pas forcément être bercé aux aides, on veut surtout des prix rémunérateurs», a ajouté l'agricultrice, comme en écho à la Confédération paysanne.
Le 3e syndicat agricole, classé à gauche, a appelé «à bloquer les centrales d'achats» de la grande distribution.
Il a aussi réitéré sa demande d'interdiction d'achat des produits agricoles en-dessous de leur prix de revient, à la veille d'un entretien avec le Premier ministre. La «Conf'» a critiqué sa déclaration de politique générale, estimant qu'elle n'a apporté «aucune perspective de long terme» au monde paysan.
Tache d'huile
Reçus mardi soir à Matignon pendant près de trois heures, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs ne se sont pas prononcés publiquement sur les dernières paroles de l'exécutif.
Le président Emmanuel Macron, lors d'une visite d'Etat en Suède, s'est de son côté engagé à défendre plusieurs revendications des agriculteurs français à Bruxelles, sur l'Ukraine, les jachères et l'accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur.
Le mouvement de colère s'étend en tout cas sur le continent: après des manifestations en Allemagne, en Pologne, en Roumanie, en Belgique ou en Italie ces dernières semaines, les grands syndicats agricoles espagnols ont annoncé des «mobilisations» au cours des «prochaines semaines».
Les associations environnementales se sont également montrées critiques, Greenpeace estimant notamment que l'exécutif «privilégie l'agro-industrie au détriment des agriculteurs et des écosystèmes dont ils dépendent».