La recherche de solutions s'avère ardue et les ruptures d'approvisionnement se multiplient. ZüriPharma, qui gère la pharmacie de l'Hôpital universitaire de Zurich, recensait moins de 200 pénuries en 2021, plus de 370 en 2022 et 459 en 2023.
«Le phénomène touche hélas toutes les catégories de médicaments. Moins souvent il est vrai les traitements les plus récents, mais parfois aussi quand même,» explique à l'agence AWP Pierre Voirol, pharmacien chef adjoint au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
La question de la rentabilité n'est pas étrangère à cette différenciations entre nouveaux traitements et produits ayant perdu leur exclusivité. «Entre 700 et 5000 francs le traitement, les préparations innovantes demeurent intéressantes pour l'industrie», explique Christoph Metzler, responsable marché du logisticien spécialisé dans la santé Galexis.
«Un coût de manufacture de 70 centimes par paquet, couvrant l'emballage, la notice et bien sûr le médicament, n'est concevable que si la production se fait en Inde ou en Chine», poursuit le représentant de la filiale du distributeur de médicaments Galenica.
Problème connu
Dans un système extrêmement tendu, le moindre grain de sable dans les rouages à n'importe quelle étape de la production, du conditionnement ou de l'acheminement est susceptible provoquer une rupture d'approvisionnement.
«L'éclatement de la guerre en Ukraine, grand pourvoyeur de feuilles d'emballage pour les comprimés, a fortement perturbé cette industrie et bousculé des chaînes entières d'approvisionnement, quand bien même l'intégralité des composants de médicaments eux-mêmes étaient disponibles,» illustre Christian Henseler, responsable des achats stratégiques de Zur Rose, apothicaire en ligne de la Migros.
«Nous avons au CHUV une pharmacienne qui passe l'entier de son temps à s'occuper des pénuries, en plus de l'impact que ce phénomène a sur d'autres collaborateurs au sein de notre service,» se désole Pierre Voirol.
Il existe certes des alternatives aux canaux d'approvisionnement habituels, mais ces expédients demeurent largement imparfaits. «Les hôpitaux universitaires disposent d'unités de production qui s'apparentent à de petites industries pharmaceutiques. Mais la production propre n'est pas l'option privilégiée», souligne encore le pharmacien hospitalier.
La solution la plus simple reste de commander un produit équivalent à celui qui manque chez un autre fournisseur. Encore faut-il que ce dernier puisse mettre à disposition les quantités requises.
«Nous avons aussi l'autorisation d'importer des médicaments. Lorsque les notices sont en anglais ou en allemand il n'y a aucun souci, mais si un étiquetage nous paraît trop problématique, en coréen ou en japonais par exemple, nos unités de production doivent en reproduire un qui soit lisible pour nos soignants,» poursuit M. Voirol.
Le délai de mise en oeuvre de ces expédients plaide pour la constitution de stocks de médicaments. La Confédération a ainsi mandaté les offices fédéraux de la santé publique (OFSP) et pour l'approvisionnement économique du pays (OFAE) pour superviser la situation et gérer des réserves obligatoires, pour les seuls médicaments d'«importance vitale» toutefois.
Un emplâtre sur une jambe de bois
«La solution trouvée en 2015 n'est que partielle et ne suffit pas,» dénonce Enea Martinelli, pharmacien responsable des hôpitaux Frutigen, Meiringen et Interlaken (FMI) et pionnier du recensement des perturbations dans l'approvisionnement en médicaments. Echappent en effet au radar du Bureau de notification des produits thérapeutiques d'important domaines médicaux.
«La maladie de Parkinson n'y figure pas, l'épilepsie n'y figure pas, la psychiatrie non plus... et les maladies cardiaques ne sont pas prises en compte!» s'emporte M. Martinelli.
Lui et ses confrères saluent tout de même une prise de conscience du problème, tardive certes, par les autorités. «De manière un peu cynique, quand les pénuries concernaient des médicaments pour personnes âgées, les politiciens ne s'en souciaient pas trop. Mais quand ça a commencé à toucher leurs conjoints, leurs enfants - comme avec le manque il a un an et demi d'une formulation pédiatrique de l'ibuprofène - alors c'est soudain devenu un vrai problème,» tacle M. Voirol.
Conscients des difficultés pour un petit pays comme la Suisse à influer sur une problématique d'envergure mondiale, les acteurs locaux appellent à ne pas baisser les bras. Des ébauches de solutions existent, à l'image d'un projet de relocalisation de la production de paracétamol en France.