Une progression de 12%: c’est la belle augmentation du nombre de nuitées dans les campings, observée en Suisse lors de la période janvier-septembre 2017, par rapport à la même période de 2016. Les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) illustrent un retournement du marché, après des années de diminution des nuitées. «On revient de loin», résume Jean-Nicolas Revaz, président de l’Association valaisanne des campings et exploitant du Camping Botza, situé à Vétroz (VS). Vincenzo Carelli, de l’OFS, reconnaît qu’au vu des chiffres, «la branche a vraiment bien travaillé en 2017».
Oliver Grützner, responsable du département tourisme et loisirs du Touring Club Suisse (TCS), premier exploitant de campings dans le pays avec 24 établissements, se réjouit lui aussi des bons résultats de l’an dernier, malgré quelques disparités régionales. «Notre bilan dans le Tessin est très positif, à l’inverse de celui des Grisons où le froid a découragé les campeurs.» L’activité a représenté 8% du chiffre d’affaires brut de l’association, soit 21 millions de francs.Parmi les professionnels du camping, le TCS fait figure d’exception: la majorité des 406 établissements dénombrés par l’OFS sont des exploitants indépendants inscrits au Registre des entreprises et des établissements. Il existe également des campings gérés par des municipalités, «en particulier dans le canton de Vaud», précise Vincenzo Carelli de l’OFS.
Du hippie au hipster
La profession tente de s’organiser pour, notamment, mutualiser ses efforts en matière de marketing et mieux défendre ses intérêts. C’est l’un des objectifs de l’Association suisse des campings. Mais elle ne regroupe à l’heure actuelle qu’un tiers des exploitants. «Aucun canton romand n’en fait partie, à l’exception du Jura, dit Jean-Nicolas Revaz, de l’Association valaisanne des campings. Nous n’en faisons plus partie depuis 2006.» Il estime que l’action au niveau cantonal est moins chère et plus efficace. Son association compte 40 membres sur les 60 campings existants en Valais. C’est d’ailleurs la région de Suisse où ils sont les plus nombreux.
Les campings touchent une clientèle particulièrement variée. «On trouve de tout: du hippie au hipster urbain, constate Oliver Grützner, de TCS Camping. Et en majorité des Suisses. Ces deux dernières années, ils représentent les deux tiers des nuitées. Pourquoi? Parce que «le pays préféré des Suisses, c’est la Suisse, résume Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme. La clientèle nationale apprécie les vacances en pleine nature et la diversité des activités à pratiquer en montagne selon les saisons. La motivation de voyage numéro un des hôtes voyageant en Suisse, d’où qu’ils viennent, est la découverte de la nature.»
Le contingent de Suisses, bien que solide, reste cependant relativement stable. Aussi l’évolution du chiffre d’affaires des campings dépend-elle fortement de la clientèle étrangère. En 2015, le nombre de nuitées qu’elle a générées a chuté en dessous du million et n’a pas repris. Une baisse de plus de 30% en cinq ans, qui n’est pas encore compensée. «On est passé de 5000 campeurs hollandais en Valais en 2010 à 500 en 2016, résume Jean-Nicolas Revaz. Et la Hollande est le pays le plus campeur d’Europe.»
Par goût de l’aventure
Première raison de cette désaffection: la hausse du cours du franc suisse, qui touche directement la clientèle étrangère, majoritairement européenne. En 2017, dans les campings TCS de Suisse, les nuitées des Allemands représentent 42% du total des étrangers, suivies par les Néerlandais (16%). «Ces deux clientèles sont très sensibles aux prix et recherchent des offres d’hébergement avantageuses», commente Véronique Kanel, de Suisse Tourisme.
De l’avis de TCS Camping, la popularité récente du camping-car en Suisse (au cours des trois premiers trimestres de l’année 2017, les immatriculations ont augmenté de 11% par rapport à l’année précédente, selon Auto Suisse) n’a pas réellement eu d’incidence sur la fréquentation des campings: «Les camping-caristes privilégient les aires qui leur sont réservées», précise Oliver Grützner. Les statistiques ci-dessus concernent les touristes de passage dans un camping. Certains campeurs, toutefois, y résident à l’année. «Cela est possible dans une quarantaine d’établissements en Suisse», précise Vincenzo Carelli, de l’OFS. Il n’existe pas d’analyse étayée de cette clientèle. Dans ces conditions, difficile de savoir si un tel choix de vie est motivé par des considérations financières ou par goût de l’aventure.
Le secteur du camping reste tributaire de facteurs externes sur lesquels il n’a aucun contrôle. En premier lieu, les conditions météorologiques. «La météo fantastique au premier semestre 2017 explique à elle seule la bonne performance de la profession», estime ainsi Jean-Nicolas Revaz de l’Association valaisanne des campings. C’est pourquoi des vacances de Pâques tardives, en avril plutôt qu’en mars – comme cette année – peuvent générer une soudaine hausse du chiffre d’affaires.
Le «glamping», contraction de glamour et de camping
Autre élément qui compte: le coût de la vie en Suisse, d’autant plus que l’emploi et les frais d’entretien sont les postes de dépense les plus élevés dans les comptes d’exploitation. De fait, la Suisse est le pays d’Europe où il revient le plus cher de camper. Il faut en effet compter en moyenne 48 euros pour une nuit dans un établissement moyen de gamme pour deux adultes et un enfant, selon les données établies par l’ADAC Camping, filière de la Fédération des automobile-clubs d’Allemagne. A l’inverse, c’est chez notre voisin germanique que camper revient le moins cher: 28,50 euros par nuit.
Le prix du terrain en Suisse est également à prendre en considération. Les gestionnaires de camping propriétaires fonciers s’en sortent mieux (dont les municipalités). Ce n’est pas le cas du TCS: seuls 3 de ses 24 établissements lui appartiennent. «Nous consacrons une grande somme d’argent au versement de loyers, c’est un coût incompressible», explique Oliver Grützner.
Les campings ne ressemblent plus à des villages de toile. Peu à peu, les emplacements nus (accueillant tentes ou caravanes) ont laissé place à des espaces équipés de structures fixes (bungalows, roulottes, cabanes, etc.). Au départ, l’hébergement locatif visait à minimiser le risque météo. Mais l’offre s’est, depuis, diversifiée tout en montant en gamme. La tendance est désormais aux abris tout confort, luxueux et originaux, ce que l’on a baptisé le «glamping», contraction des mots glamour et camping. Le TCS a aménagé 15 établissements de pods (capsules), tipis et autres tentes safari. «La rentabilité n’en est que meilleure», constate Oliver Grützner. En effet, au camping de Flaach (ZH) au bord du Rhin, la location d’un emplacement nu, d’une surface de 80 à 100 m environ, est facturée 68 francs par nuit pour deux adultes en haute saison. Le pod pour deux personnes, d’une surface moindre, coûte 91 francs. «Nos hébergements locatifs permettent aux débutants, sans équipement de camping, de le pratiquer», dit Oliver Grützner. Il explique ainsi les bons résultats du TCS Camping ces deux dernières années par l’acquisition de ce nouveau segment de clientèle.
Au-delà de leur fonction d’hébergement, les campings ont multiplié leurs offres de service à tel point que leurs prestations se rapprochent de celles des villages-vacances. La plupart des sites sont équipés d’aires de jeux, de restaurants et de supérettes. Par ailleurs, les familles peuvent plus aisément acheter ces formules «tout compris» grâce à la généralisation de la réservation en ligne. TCS Camping considère qu’il s’agit là d’un de leurs points forts: «Nous pouvons désormais répondre à la demande de la clientèle qui, de plus en plus, s’exprime à la dernière minute.»
L'offre des campings se rapproche de celui des villages-vacances.
«Le camping, ce n’est pas une question de revenus, explique Jean-Nicolas Revaz, le propriétaire du Camping Botza à Vétroz (VS). Je connais plusieurs clients dont l’équipement vaut plus de 100 000 francs. Ils viennent au camping parce que c’est simple, convivial et que, lassés par les contacts virtuels, ils veulent renouer avec des rapports humains.»
De plus, la Suisse compte de nombreux atouts pour la pratique du camping. La nature, en premier lieu: l’immense majorité des campings se situent à proximité d’un lac ou d’une rivière. La Suisse possède également la réputation de pays sûr dans un contexte d’incertitudes géopolitiques. Ces dernières années, de nombreux vacanciers se sont détournés de la France, de la Turquie ou de l’Egypte à cause des menaces terroristes. C’est grâce à ces points forts, à l’amélioration de l’offre et à l’attrait retrouvé pour la simplicité de cet art de vivre que le camping en Suisse s’offre une belle renaissance.
Des cabanes contemporaines dans la forêt jurassienne
«Ce qui fait le succès du camping de Saignelégier depuis quarante ans, c’est la liberté que nous accordons à nos clients sur un terrain d’aventure.» Jonas Kilcher gère l’établissement jurassien depuis 2004. «Chez nous, pas d’emplacements délimités. Chacun se met là où il veut. Le matin, on peut faire un feu au pied de sa tente. C’est sympathique et ça occupe, car nous ne proposons pas d’électricité. Pas de wifi non plus.» La clientèle compte de nombreux habitués. Cette année 2018, les amateurs d’insolite devraient s’y ajouter avec l’inauguration de la première de six cabanes contemporaines, fondues dans la forêt. En 2015, l’architecte jurassien Sylvain Dubail convainc en effet neuf agences, nouvellement primées par le magazine de référence Wallpaper, de l’accompagner dans ce projet d’habitat singulier.
En sa qualité de propriétaire du camping, la commune de Saignelégier doit encore mobiliser les ressources nécessaires, une fois toutes les autorisations de construction obtenues. Une première aide du canton, de l’ordre de 50 000 francs, a permis le financement du séjour de travail au camping, pendant une semaine, de treize architectes venus du monde entier. Le coût d’une cabane est estimé à 100 000 francs. Jonas Kilcher prévoit de lancer un financement participatif pour renforcer la viabilité du projet. «L’engouement est déjà là», se réjouit-il.