«Je suis libéré! Jamais je ne reviendrai en arrière», s’enthousiasme Stéphane Décotterd. Tout le monde l’a lu ou entendu: le talentueux chef qui a repris il y a huit ans l’illustre Pont de Brent, dans les hauts de Montreux, a opté pour un changement de cap. Décidé à renoncer presque complètement aux produits de la mer et aux aliments qui ont parcouru des milliers de kilomètres, il a complètement redéfini les priorités de sa cuisine. Désormais, il privilégie les denrées de proximité, et ceci toute l’année, pour le plus grand plaisir de ses clients. «Je voulais me distancier du carcan de ces menus qui égrainent obligatoirement des mets de luxe souvent marins ou lointains. A présent, sans être devenu un locavore absolu, je m’adapte à ce que m’offre notre région.»

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Si Stéphane Décotterd cartonne avec son nouveau concept, c’est qu’il est clairement dans l’air du temps. En ville fleurissent les épiceries bios et les échoppes de produits du terroir que les grandes surfaces tentent d’ailleurs de concurrencer avec une offre de plus en plus ciblée. Ainsi, l’on sait de quel village provient le steak qui grésille dans la poêle, dans quelle ferme ont poussé les carottes tricolores qui cuisent dans notre four à vapeur, et il ne se passe pas un jour sans qu’apparaisse sur les étals une nouvelle spécialité garantie traçable.

Les délicieux escargots de Palézieux

«Ma cuisine est aujourd’hui plus personnelle. Et j’ai découvert ou redécouvert toute une série de produits», se réjouit Stéphane Décotterd. Lesquels? Les herbes qu’une cueilleuse lui apporte. Les escargots de Palézieux, délicieux. Le miel d’abeilles noires. Le canard appenzellois qui sert désormais à la préparation d’un plat emblématique de la maison: le canard au vinaigre à la façon de Gérard Rabaey, le chef qui avait donné ses lettres de noblesse au Pont de Brent. Stéphane Décotterd a même déniché du bœuf wagyu dans le Jura bernois! «Les réglementations suisses ne permettent pas de l’élever comme au Japon. Mais il est nourri uniquement en bio. J’en ai goûté: le résultat est absolument bluffant.»

Il n’est de loin pas le seul à faire le choix du terroir pour donner un caractère unique à ses préparations. Gérard Manifacier qui a passé d’une cuisine de palace international à sa propre entreprise, le Restaurant du Quai à Hermance (GE), fait de même. «Pour moi le terroir, c’est avant tout le lac, alors je travaille avec les produits qu’il recèle», explique le chef à l’accent chantant. Il a donc établi des liens privilégiés avec plusieurs pêcheurs qui lui apportent des perches, bien sûr, mais aussi de la féra, du brochet et des écrevisses. «Nos clients apprécient, par exemple, le poulet aux écrevisses en émulsion au champagne», un plat vraiment gourmand, que le chef ne peut presque plus ôter de sa carte.

Une carte qui est de plus en plus courte pour laisser la place à des offres du jour: «Tout d’un coup, le pêcheur m’appelle et me propose une truite de 2 ou 3 kilos, une pièce unique que je ne peux donc pas mettre à la carte, mais qui remporte un grand succès.» En cuisine, cela implique cependant de la flexibilité. «Ce n’est plus moi qui exige des produits pour pouvoir assurer une carte, ce sont les produits qui imposent l’évolution de l’offre», observe Stéphane Décotterd, dont la carte évolue au gré des arrivages.

Potimarron en dessert, racines de persil ou betterave en sorbet

Et pour obtenir des aliments d’exception, les chefs doivent investir beaucoup de leur temps. «J’essaie d’acheter un maximum de produits de proximité. Mais ce n’est pas facile, car selon la saison, les légumes manquent et côté poissons, surtout, on les reçoit au compte-gouttes», constate Frédérik Kondratowicz, chef de l’Hôtel de Ville, à Fribourg, qui a l’habitude de se fournir au marché. «Il y a à Fribourg un marché de producteurs, dont beaucoup de bios. J’y retrouve par exemple un fournisseur, avec lequel je travaille de père en fils. Et un autre dont le stand fait tout juste un mètre carré, mais qui me vend des salades et des côtes de bettes tout simplement magnifiques, en plus des meilleures confitures du monde.»

L’avantage du terroir, c’est la traçabilité, la fraîcheur, l’échange avec le producteur que l’on connaît, confirme Jean-Marc Soldati, au Cerf, à Sonceboz: «Le terroir, je l’ai toujours utilisé, mais j’y viens de plus en plus et je ne cesse de découvrir ou de redécouvrir des produits magnifiques.» Poivre de la Maggia, safran de Mund, fromages de la région agrémentent ainsi les plats du Cerf. Mais le coup de cœur du chef reste les variétés anciennes de tomates. «C’est génial, elles offrent une diversité de goûts et de couleurs très intéressante en cuisine.»

En effet, constate Frédérik Kondratowicz, «la tendance est aux belles assiettes colorées et aux variétés de textures. Alors je joue volontiers sur la double texture d’un même produit: une fois entier, l’autre fois en coulis, par exemple. Et c’est ainsi que l’on crée la surprise», affirme le chef qui n’hésite pas à proposer du potimarron en dessert, de la racine de persil ou de la betterave en sorbet. Cuisiniers et clients y trouvent leur plaisir. «Les gens en redemandent et c’est en plus une manière de soutenir l’économie d’une région et de la valoriser», conclut Jean-Marc Soldati.

Attaché à son terroir, aucun des cuisiniers que nous avons contactés n’en devient pour autant un locavore intransigeant ou exclusif. «La cuisine sert aussi à voyager et à faire voyager. Le terroir ne doit donc pas être seulement fribourgeois ou suisse. L’Europe regorge de magnifiques produits», note Frédérik Kondratowicz. D’autant plus que, suivant où l’on se trouve en Suisse, une volaille de Bresse est plus proche qu’un agneau des Grisons…