Ce runabout aux lignes épurées a créé la sensation lors du dernier salon SuisseNautic, à Berne. Tout simplement parce que le Say 29E est le canot de plaisance électrique le plus rapide du monde: 93 km/h pour zéro émission, que demande le peuple! Son prix? A rapprocher de celui d’une Lamborghini Aventador, équipements non compris. Fabriqué en Allemagne, ce petit bijou de 8,85 mètres en fibre de carbone et frisant néanmoins les 2 tonnes – la faute aux batteries! – est l’un des deux bateaux électriques proposés par le chantier naval Portier, ancré à Meilen, au bord du lac de Zurich. «Le Say 29E est un produit vraiment exclusif», lâche Ariane Vonwiller, qui préfère vanter les mérites du Q30 de la société finlandaise Q-Yachts. Celui-ci ne coûte en effet «que» 185 000 francs et affiche une autonomie de 150 km. «On a un client qui est très intéressé», précise la patronne de Portier.

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En attendant les infrastructures

On l’aura deviné, le bateau électrique demeure un produit de niche, de riches diront certains. «Le prix d’un bateau électrique demeure élevé à l’heure actuelle, mais les voitures électriques étaient elles aussi très chères au moment de leur lancement. Reste que le problème numéro un demeure celui des infrastructures. Le jour où l’on aura assez de stations de recharge, je pense que ce sera l’avenir. Une chose est sûre: ces bateaux délivrent largement assez de puissance. Au travers du développement des voitures électriques, nous pouvons en profiter pour bénéficier d’une plus grande autonomie des batteries.» Alors, optimiste, Ariane Vonwiller? «On doit l’être, sinon on n’évolue pas… Certains clients ont peur de perdre une part de liberté tandis que d’autres veulent des produits spéciaux, histoire de se démarquer des consommateurs normaux.»

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Le Yacht Club de Monaco a inauguré en mai ses bornes de recharge rapides.
© Martin Messmer

Un constructeur helvétique l’a bien compris. Son nom? Boesch Motorboote, qui fêtera ses 100 ans l’an prochain et dont les bateaux constituent le summum en matière d’élégance marine, au même titre que Riva chez nos voisins italiens. Mais contrairement au Q30 finlandais, ce ne sont pas des modèles spécifiques qui sortent de l’usine de Sihlbrugg, dans le canton de Zurich. La même coque en acajou verni peut cacher en effet un moteur thermique ou électrique. C’est le cas du Boesch 620 Bimini De Luxe, qui peut être propulsé soit par un V8 traditionnel, soit par un propulseur électrique de 50 kW. Une puissance qui peut être portée à 80 kW ou 100 kW en cas de besoin. Les amateurs de ski nautique apprécieront.

Écouter le clapotis de l’eau

C’est une tout autre approche qui dicte le parcours lacustre de Jean-Marie Bailly, le patron du chantier naval Reymond, à Tolochenaz. Les clients qui débarquent chez lui sont généralement déjà prêts à franchir le pas: «J’assure le service après-vente pour la Suisse romande de Torqeedo, actuellement le numéro un sur ce créneau. Toutes les personnes à qui j’ai vendu un moteur électrique ne reviendraient pas au thermique, pour une raison qui tient presque plus aux nuisances sonores qu’à l’écologie. L’intérêt de la voile, c’est justement d’écouter le bruit de l’eau, et lorsqu’on démarre le moteur à essence, la fête est finie. Ce n’est pas le cas avec l’électrique.» Et ce fin tacticien de la voile de rappeler la loi entrée en vigueur fin 2017, qui stipule que tous les moteurs à deux temps sont bannis de la partie suisse du Léman: «Pour les propriétaires de voiliers, le choix portait sur un quatre temps thermique, beaucoup plus lourd (40 kilos contre 20-25 kilos pour un deux temps, ndlr) ou un propulseur électrique de 15 kilos.»

«Remplacer du thermique par de l’électrique, c’est vraiment logique, surtout dans le cas d’un moteur hors-bord de voilier, avec batterie lithium intégrée, poursuit le professionnel. Le moteur qu’on vend le plus est un 4 CV. Si on souhaite plus de puissance, on passe à des batteries de 25 kilos. Mais le poids n’est pas vraiment un problème, car l’avantage dans le cas du voilier est que l’on peut positionner la batterie où l’on veut.»

Et il n’y a quasiment pas de contre-indications: «Le client peut tout à fait opter pour un pod, un moteur fixé sous le bateau. Il ne passe en gros à travers la coque que les fils électriques. En fait, tous les bateaux peuvent être électrifiés, mais il s’agit d’électrifier logiquement. Tout dépend également de l’état et du style de la coque. Un bateau très habitable sera très rond, il poussera beaucoup d’eau et il faudra pas mal d’énergie pour le faire avancer au moteur, contrairement à un bateau de régate, très fin, avec une carène très glissante. Donc ce sera toujours du cas par cas.»

Des moteurs électriques qui ne sont pas adaptés uniquement aux manœuvres dans le port: «Les gens voient qu’il y a un peu de vent, donc ils sortent avec le moteur. Ils mettent tout de suite les voiles et souvent, en fin d’après-midi, le vent tombe et ils rentrent depuis le milieu du lac au moteur électrique. Souvent, je leur dis qu’ils peuvent brancher leur chargeur au restaurant. Le temps de manger, ils récupèrent 20 à 30% de batterie. Tous les moteurs électriques sont compatibles avec des panneaux solaires. La plupart de mes clients qui possèdent des voiliers sur une bouée au large sont passés aux panneaux solaires. Ceux qui ne naviguent que le week-end, j’ai tendance à leur dire d’acheter un panneau. Il faut dix-huit heures de soleil pour recharger une batterie.» Amoureux de la voile, Jean-Marie Bailly réfute néanmoins tout sectarisme: «Je dirais que les bateaux à moteur typés électriques sont plutôt assez sympas au niveau du design. Ce sont des bateaux à la limite qu’on aimerait posséder, même si financièrement, c’est une autre paire de manches.»

Avis et vent contraires

Nettement moins d’enthousiasme en revanche du côté de chez Psaros, à Vésenaz. François Psarofaghis est le responsable de la partie mécanique au sein de ce célèbre chantier naval plusieurs fois primé au Bol d’or – son frère Jean s’est imposé à plusieurs reprises en catégorie monocoques: «Le moteur électrique? Eventuellement pour les bateaux de régate ou pour la pêche, mais pas pour les gros voiliers habitables. Avec les premiers, vous avez vos batteries et vous chargez au port. Le problème avec les seconds, c’est l’absence totale de stations de recharge autour du lac Léman. Et le marché est encore tellement petit que ça ne devrait pas changer rapidement.» Pour François Psarofaghis, le moteur électrique n’a rien de particulièrement vertueux: «Il faut déjà voir comment est produite l’électricité. Et puis, toutes ces batteries, il faudra bien les éliminer un jour!»

L’avenir, un thème propre à inspirer un designer reconnu à la fois dans les univers automobile et marin. Père du Nissan Qashqai, directeur du style chez Zagato jusqu’à l’été dernier, Stéphane Schwarz a également dessiné par le passé de somptueux bateaux: «C’étaient des propositions pour des superyachts, à l’exemple du concept de catamaran Ikko, réalisé avec l’autorisation de Nigel Gee, un chantier naval anglais. A l’époque (en 2008, ndlr), il s’agissait encore d’une propulsion traditionnelle, mais l’architecture de la coque permettait de réduire la consommation.»

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Le moteur Torqeedo Cruise permet de naviguer 2h30 à vitesse moyenne.
© Torqeedo

Une première bouée à la mer qui pourrait bien en annoncer d’autres. «La motorisation électrique est tout à fait envisageable à l’heure actuelle pour les petits trajets, mais pour un bateau de plaisance ou un cargo, c’est une tout autre affaire. On commence à découvrir dans certains ports des points de recharge. Le Yacht Club de Monaco, par exemple, s’est équipé de bornes de recharge. C’est encore confidentiel mais c’est révélateur de ce qui va se passer dans un proche avenir», ajoute le Franco-Suisse, dont le studio de design est basé à Genève.

Regard sur l’automobile

«Je constate que le monde nautique est en train de regarder le monde automobile. Contraints d’éradiquer d’ici à 2040 les moteurs à combustion, les constructeurs de voitures procèdent à de gros investissements dans la mobilité électrique, et de nouveaux progrès vont être entrepris, notamment dans le domaine de l’autonomie des batteries. Les évolutions sont très rapides, que ce soit aux Etats-Unis, avec Tesla ou d’autres, en Europe avec les Allemands, ou surtout avec les Chinois qui investissent massivement dans l’électrique. Personnellement, je suis encore un peu sceptique sur le 100% électrique. L’avenir appartiendra peut-être à plusieurs sources d’énergie, dont l’hydrogène.»

A force de le titiller, Stéphane Schwarz finit par avouer qu’il planche actuellement sur la question: «Le but du design, ce n’est pas uniquement de faire du style, quelque chose qui soit plaisant visuellement. C’est aussi d’offrir du «mieux-vivre». Tout ce discours écologique portant sur l’environnement est fondamental pour nous. Je ne connais pas un designer qui ne voudrait pas intégrer une motorisation électrique dans un projet de bateau. Il y a des valeurs intéressantes à défendre, par exemple dans l’agencement de l’espace. On peut composer avec des moteurs assez petits par rapport aux moteurs classiques, et aussi disposer les batteries d’une certaine manière.»

Et Stéphane Schwarz d’enfoncer le clou dans la coque du bateau traditionnel: «Il existe aujourd’hui de très belles embarcations, mais aussi beaucoup de laideur. J’aimerais m’investir davantage dans le monde nautique, et amener un style qui se différencie vraiment, qui soit plus harmonieux. L’électrique me fait penser à l’idée de fluidité. Est-ce que le yacht du futur sera propulsé par de l’électrique? Une chose est sûre, le monde de la plaisance et du divertissement devra s’inscrire dans une démarche écologique.»

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Le Say 29E est le canot de plaisance le plus rapide du monde: 93 km/h!
© DR