Juliette, qui témoigne sous un prénom d’emprunt, utilise divers groupes WhatsApp au sein de son entreprise, une société de grande taille implantée à Genève dont elle préfère taire l’activité. Il y a quelques semaines, un épisode malheureux lui a fait prendre conscience que l’exercice était risqué. «Un membre d’un groupe WhatsApp a révélé, via l’application, qu’une collègue allait être licenciée… Il avait oublié que cette même collègue faisait partie du groupe, se souvient-elle. Gros malaise, car elle-même n’était pas encore au courant. Il est immédiatement allé lui parler, mais ça reste une énorme maladresse. La personne a appris la nouvelle une demi-heure avant que les Ressources humaines ne la lui annoncent…»

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Outil de cohésion pour le groupe

Certes, l’erreur aurait pu tout aussi bien avoir lieu à la cafétéria de l’entreprise, et pas sur WhatsApp. Mais l’extrême popularité de cette application rend les malentendus peut-être plus nombreux. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes utilisent quotidiennement la plateforme au logo vert, représentant un téléphone entouré d’une bulle, qui permet d’envoyer et recevoir des messages gratuitement, via le réseau internet. Fondée en 2009 par deux anciens ingénieurs de Yahoo!, elle a pour but de faciliter les échanges et de garantir des conversations confidentielles, car celles-ci ne sont pas stockées et les utilisateurs peuvent conserver leur anonymat. Son nom est tiré de «what’s up», une expression américaine qui signifie «quoi de neuf». En 2014, elle est rachetée par Facebook pour 16 milliards de dollars.

WhatsApp n’est plus seulement un simple outil. Elle fait partie de la vie de millions de personnes, dans le monde et en Suisse, qui n’envoient plus de SMS, mais passent uniquement par cette application pour envoyer des photos à leur maman, organiser l’anniversaire de leur meilleur ami, mais aussi suivre l’activité du département commercial de leur entreprise, donner des instructions à leur assistante ou encore envoyer des messages tendres à leur époux… WhatsApp est un fourre-tout où les anecdotes les plus insignifiantes côtoient les informations les plus stratégiques. A la fois gratuit, pratique et rapide, WhatsApp est devenue aussi incontournable dans les entreprises, petites ou grosses, pour remplacer les autres canaux de communication devenus trop lents, trop formels. Car tout le monde possède un smartphone.

La plupart du temps, l’expérience est hautement positive, d’abord parce qu’elle permet de créer un lien plus personnel, alors que les séances ou les e-mails ne le permettent pas. Stéphane, biologiste à Lausanne, estime ainsi que WhatsApp est un «outil de cohésion au niveau du groupe. J’ai par exemple pu accéder à des morceaux choisis de la vie de mes collègues et ma hiérarchie. Cela les rend plus humains. Mes collègues sont devenus un peu plus que des collègues.» Dans son entreprise, le logiciel interne de discussion a été relégué et désormais, WhatsApp s’est généralisée. Stéphane n’y voit qu’un inconvénient: «Je reçois des messages les soirs et le week-end, ce qui est quand même une intrusion dans ma vie privée, dit-il. Mais en même temps, c’est à moi de me discipliner et de couper l’application!»

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«Je trouve WhatsApp parfait pour gérer des événements et des groupes. Mais il faut rester clair et concis.»NADINE REICHENTHAL,Professeure, Graines d'entrepreneurs
© DR

Tous les domaines d’activité sont concernés. Cécile, qui travaille dans une ONG à Paris, a vu aussi l’une de ses équipes prendre en main WhatsApp avec succès: «Ça a désengorgé les mails, favorisé le passage d’informations et permis de faire vivre un esprit d’équipe et l’expression d’une solidarité commune», constate-t-elle avec plaisir. Dans les entreprises plus grandes, les avantages sont également au rendez-vous. Vincent, cadre dans un groupe de consulting, apprécie notamment le fait que les messages soient cryptés: «Dans les dossiers délicats, c’est plus discret que les SMS, notamment quand le client est sur écoute…» Mais comme n’importe quel outil technologique, WhatsApp a ses défauts. Comme le fait de multiplier les échanges, et ceci à toute heure.

Nadine Reichenthal, qui coache des start-up et des écoliers participant au programme «Graines d’entrepreneurs», ne compte souvent pas moins de 200 messages sur cette application. «J’ai 300 e-mails dans ma boîte, cela correspond donc à un volume normal, explique-t-elle en riant. Je trouve que WhatsApp est parfait pour organiser des événements et gérer des groupes. Par exemple, ce soir je vais rappeler à mes étudiants que demain, nous finalisons l’étude de marché. Pour donner des consignes, c’est super. Mais il faut être clair et concis. Parce que quand ça dérape, c’est de la folie, je peux me retrouver avec des centaines de notifications en quelques minutes.»

C’est pourquoi cette experte pense que pour prendre une décision, mieux vaut opter pour une séance ou une conférence téléphonique, plutôt que de se perdre dans les WhatsApp qui donnent souvent lieu à des quiproquos. «Le SMS à la base, ça veut dire’messages courts’, donc sur WhatsApp, il ne faut pas commencer à raconter sa vie. Pour bien faire, les messages ne doivent pas être plus gros qu’un tweet», conseille-t-elle.

Des messages qui n’en finissent plus

«C’est aussi délicat quand on voit que la personne a lu le message, mais ne répond pas, ajoute Nadine Reichenthal. Ça rend fou! Il faut que l’interlocuteur comprenne qu’on peut lire le message, mais répondre plus tard. Sinon il peut y avoir des malentendus…» Dans les domaines sensibles comme celui de Vincent, l’aspect informel de la messagerie peut aussi jouer des tours. «D’abord, certaines personnes ne reçoivent pas de notifications WhatsApp, je ne suis jamais certain que leur réactivité sera grande, relève-t-il. Pour des contacts rapides avec une seule personne, je privilégie les SMS. Par ailleurs, quand je vois la photo de profil WhatsApp de certains de mes collaborateurs, je préfère ne pas utiliser ce canal pour ne pas les gêner… Pour utiliser l’application en entreprise, mieux vaut éviter une photo de soi en maillot de bain, déguisé en écureuil géant, ou même un verre de vin à la main…»


"IL FAUT SAVOIR QUITTER UN GROUPE WHATSAPP"

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Olivier Glassey, sociologue à l'Université de Lausanne
© UNIL

Olivier Glassey, sociologue à l’Université de Lausanne, invite à utiliser l’application avec prudence, afin de ne pas se laisser déborderpar les conversations gênantes.

Pourquoi cette application nous séduit-elle tant?

C’est un moyen de communication minimaliste, qui va à l’essentiel. On peut enclencher une discussion avec une personne ou un groupe, quelle que soit sa dimension. C’est très pratique, notamment pour coordonner. Les gens l’utilisent dans un cadre privé, avec leurs amis ou leur famille, pour partager des photos ou organiser des événements. Et c’est tout naturellement qu’ils se sont mis à l’employer aussi dans un cadre professionnel.

Quelles en sont les vertus dans le monde du travail?

D’abord, la conversation se fait sous forme de bulles: c’est rapide et beaucoup moins formel que les autres canaux, on peut aller à l’essentiel. Et puis on sait que le message sera vite reçu, car la personne le reçoit sur son téléphone, qui est la première chose qu’elle a sous la main. Le message ne sera pas noyé dans une cascade d’e-mails ou sur une plateforme professionnelle disponible uniquement sur son ordinateur de bureau.

Justement, le fait que ces conversations professionnelles soient au même endroit que celles avec sa famille ou ses amis ne pose-t-il pas un problème?

C’est un mélange des genres risqué, en effet. Les erreurs de manipulation sont possibles, on peut envoyer un message à la mauvaise personne. Et puis avec les groupes, la traçabilité n’est pas bonne, on oublie souvent qui en fait partie ou pas.
Sur le même espace, on doit naviguer entre des interlocuteurs différents. Comme c’est informel, on a aussi tendance à envoyer des messages qui débordent du cadre strictement professionnel. Cela peut être sympathique. Mais jusqu’à quel point a-t-on envie de voir les photos du barbecue de son collègue? L’envie de partage des uns ne colle pas toujours avec l’envie de recevoir des autres.

Surtout qu’il n’est pas facile de dire stop…

C’est difficile de dire «non» à un collègue qui veut partager sa vie privée. Cette intimité peut être vécue comme un spam et il est compliqué de s’en extraire. Je crois qu’il ne faut pas hésiter à considérer WhatsApp comme un outil éphémère: on peut supprimer un groupe, on peut en quitter un autre, sans que cela ne soit un problème pour la vie de bureau