Parmi les sept péchés capitaux, certains s’en sortent mieux que d’autres. Avouer un vague penchant pour la paresse, en le faisant passer adroitement pour un besoin de se déconnecter du stress du travail, ou pour la gourmandise à une époque où le bien manger est devenu un diktat et un marqueur social, peut être très positif en termes d’image. L’avarice peut encore s’en sortir, car être économe dans une société qui traque le gaspillage est redevenu un atout. Même l’envie et l’orgueil - à dose homéopathique, bien sûr - peuvent être considérés désormais comme des traits de caractère positifs si l’on veut réussir. Mais la situation se corse sérieusement dès qu’il s’agit de luxure et de colère.

Pour la première, aucun espoir de réhabilitation sociale, même avec un bataillon entier de communicants de haut vol; pour la seconde, en revanche, les choses peuvent flotter et basculer finalement d’une seconde à l’autre, entre condamnation totale et tolérance. En effet, si la colère est frappée d’une double peine, à la fois sociale - plus personne n’est prêt à tolérer un chef ou un collègue qui s’emporte à la moindre occasion - et médicale (les études scientifiques montrant à l’envi son impact dévastateur sur la santé), elle bénéficie encore d’une certaine compréhension en fonction des situations. On s’offusque sur la forme, certes, mais on avoue que sur le fond, celui qui se met en colère n’a pas complètement tort.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Des "rage rooms" au Canada

Au bureau où les rapports, quel que soit le niveau hiérarchique, se doivent d’être le plus neutre possible - rien de personnel, que du professionnel -, céder à la colère équivaut à passer plusieurs tours en prison comme au Monopoly ou, dans le pire des cas, à signer carrément son arrêt de mort. Car il est évident que les entreprises ne sont pas enthousiastes à la perspective d’engager un collaborateur - même un CEO - connu pour ses coups de gueule.

63% des employés reconnaissent avoir perdu leur self-control.

Lucy Beresford, auteure d'une étude pour Canon Europe

L’ennui, c’est que la vie au bureau est par essence génératrice de stress, d’exaspérations et de frustrations, éléments à la base de la colère. Qui n’a pas rêvé devant cette vidéo, largement relayée par les réseaux sociaux, d’un homme sur son lieu de travail, hors de lui, qui balance son ordinateur? Qui n’a jamais eu envie d’exploser face à un commentaire de son chef ou d’un collègue ? Et surtout qui ne l’a pas fait? Une étude réalisée en 2007 par la psychothérapeute Lucy Beresford, pour Canon Europe, révélait que 83% des employés avaient déjà vu un collègue s'énerver au travail et 63% d'entre eux reconnaissaient avoir déjà perdu leur self-control. Les raisons de ces 63% étaient peut-être légitimes, mais hurler sur son collègue ou bombarder l’imprimante de grands coups de pied, même si tout le monde convient qu’elle le mérite, nuit gravement à une carrière. Pour éviter d’en arriver là, il y a les «rage rooms», ces pièces sécurisées où l’on peut évacuer sa rage sur des objets. Mais celles-ci sont encore rares, limitées à quelques expériences menées en Australie et au Canada. La véritable solution consiste donc à apprendre à gérer sa colère au quotidien.

Première question à se poser: quelles sont les causes? Un collègue qui ne fait pas sa part de travail? Un chef tatillon à l’extrême et toujours mécontent? Des directives systématiquement incomplètes ou imprécises? La colère se nourrissant de la répétition, une mise au point avec la personne concernée peut permettre de désamorcer une future crise. Le mieux est de le faire à un moment de calme, en se limitant à des faits et en évitant les reproches et les digressions qui finissent invariablement en discussions stériles, puis en disputes.

Tsunami de colère

Comme lors d’un engagement militaire, l’important est de savoir à quel moment quitter le terrain de bataille. «Dès que l’on a énoncé sa requête, considère Anna, 52 ans, responsable d’un pool administratif. Mon chef adore argumenter, avoir raison même et surtout lorsqu’il a tort. Une discussion avec lui, surtout s’il a l’impression qu’on lui reproche quelque chose, même très vaguement, devient un combat qu’il veut remporter à tout prix. L’autre est toujours le responsable. Alors je finis par me mettre en rage.» Si cette tactique ne règle pas le problème sur le long terme, elle permet cependant de faire baisser l’exaspération et de limiter les crises de colère.

Second élément important: pourquoi se met-on vraiment en rage? Parce que le collègue ne tient jamais ses promesses? Parce que le management de l’entreprise est illogique? Parce que la main droite du big boss ignore ce que fait sa main gauche? Peut-être... Mais la vraie raison est ailleurs. Elle est dans l’attente! Lorsqu’on passe des heures sur un dossier pour une réunion que tout le monde qualifie de cruciale et qu’elle est annulée la veille sans explication ou pour un motif ridicule, la déception et la frustration se transforment en tsunami de colère. Logique. Certes, mais inacceptable, surtout pour le collègue annonciateur de la mauvaise nouvelle, qui n’est que le messager d’instances supérieures qui n’auront jamais à essuyer la colère de leur collaborateur.

Sortir du piège de la colère requiert à la fois un travail psychologique sur soi et l’application d’astuces pratiques, le plus important étant de prendre du recul et de dédramatiser. Plutôt que de se répéter en boucle que l’on a travaillé pour rien - ce qui est faux, car la réunion aura bien lieu un jour ou l’autre - mieux vaut essayer de positiver en se disant que le dossier est déjà bouclé et que, aujourd’hui ou demain, il aurait de toute manière fallu le faire. «Quand je sens que je vais exploser, raconte Eric, informaticien, je me dis qu’après tout ce n’est pas ma boîte, que je suis payé pour faire un job et que je l’ai fait. Ensuite, libre à mon patron de faire ce qu’il veut. Ce n’est pas très motivant, mais je me protège comme cela, sinon je hurlerais dix fois par semaine!»

Verbaliser ses émotions

Rachel, assistante marketing dont le chef réclame toujours tout en urgence en lui donnant le minimum d’informations et jamais de retour, a mis au point une technique très personnelle. «J’écris sa demande sur un petit papier et lorsque je lui transmets le dossier, je prends quelques secondes pour le déchirer ce petit papier et le jeter à la poubelle. Je fais cela en toute conscience et je me sens soulagée. Je ne suis plus frustrée, je ne m’énerve plus. Le dossier a cessé d’être mon problème, il est sorti de ma vie.»

La colère étant un phénomène physique, l’endiguer passe aussi par la reconnaissance de certains signes annonciateurs: accélération du rythme cardiaque, bouffée de chaleur, contraction des mâchoires… A ce stade, prendre le temps de respirer profondément et calmement avant de répondre, sortir quelques minutes pour faire le tour du pâté de maisons ou simplement s’octroyer une pause - seul - à la cafétéria ou dans un coin isolé de l’entreprise, permet de faire baisser la pression. La pire chose à faire étant de répondre sur le coup à son interlocuteur ou à un mail.

Le dossier a cessé d'être mon problème, il est sorti de ma vie.

Rachel, assistante marketing

En tête-à-tête, mieux vaut jouer la carte de la franchise et avouer que l’on a besoin d’un peu de temps pour réfléchir avant de répondre. Suivant le contexte et à condition que l’on souhaite faire connaître à l’autre son mécontentement, certaines formules font merveille comme: «Je suis contrarié par cette nouvelle et j’ai besoin de l’analyser, sinon ma réponse sera dictée par mes émotions.» Dans un premier temps, le simple fait de verbaliser ce que l’on ressent permet de prendre du recul; ensuite, cette stratégie donne l’impression d’une personne sûre d’elle et capable de maîtriser ses émotions.
En réunion, il est possible de trouver des prétextes pour s’échapper, par exemple la sonnerie d’un téléphone urgent et impossible à repousser, l’arrivée d’un prétendu mail urgent ou encore un soudain mal de tête.

Mieux vaut, en effet, faire croire à une santé fragile que de dire à son chef ou à son collègue ce que l’on pense vraiment de son idée. En revanche, rien n’empêche de l’écrire! Sans oublier de détruire le papier. D’abord, parce que cette démarche est libératrice; ensuite, pour éviter qu’une personne bien intentionnée ne le trouve et ne le rapporte au principal intéressé. Enfin, avant l’explosion, fermer les yeux et se poser la question: est-ce que ça vaut vraiment la peine de me mettre en colère? La réponse est toujours: non!