«Tu feras carrière, mon enfant.» Depuis toujours, les parents nourrissent une ambition parfois démesurée pour le futur professionnel de leur progéniture. Et cela, peu importe le milieu social et le cursus effectué. Pourtant, certains enfants se retrouveront à la tête de l’élite économique du pays alors que d’autres non. Pour quelles raisons? Dans Pourquoi eux? Les secrets d’une ascension, Frédéric Marquette a confessé une cinquantaine de grands patrons français.
Ce diplômé de l’Ecole centrale de Paris et actuel directeur associé chez EIM Executive Interim Management, société spécialisée dans le management de transition, analyse les ressorts derrière la réussite des grands patrons. Selon lui, pour faire carrière, il ne faut pas être carriériste.
Pourquoi ce livre?
Depuis vingt ans, j’évolue dans le management de transition. Cela veut dire que tous les jours je rencontre des patrons d’entreprise pour faire le point sur leur carrière passée et future. Au fil des discussions et des cas, j’ai été frappé par certaines similitudes des profils et la diversité des carrières. Certains sont parvenus au sommet et d’autres pas. Pour quelles raisons? Pourquoi ces différences? Quelle est la part d’ambition, de chance, quelles sont les qualités derrière cette réussite?
Que signifie aujourd’hui «faire carrière»?
Faire carrière ne signifie pas devenir calife à la place du calife. Faire carrière, c’est trouver son propre chemin de vie professionnelle. C’est arriver à l’âge de la retraite avec de la satisfaction sur la voie empruntée et être prêt à recommencer. Ce livre n’est donc pas une apologie du carriérisme. Il s’agit d’une réflexion sur celles et ceux qui sont arrivés au sommet, comment et pourquoi. Il y a des profils très différents et des qualités diverses. Certains sont faits pour être indépendants. D’autres pour diriger de grandes équipes. Au sens où je l’entends, faire carrière signifie donc savoir exprimer ses qualités et tracer sa voie en fonction d’elles.
Une personne égoïste ou trop centrée sur ses propres intérêts n’y arrivera pas.
Y a-t-il un gène commun de la réussite chez les grands patrons?
Non, tout simplement parce qu’il n’y a pas un seul profil type. Un grand patron dans l’industrie automobile n’a pas le même pedigree que son homologue dans l’industrie du luxe ou dans le secteur high-tech. Malgré de nombreuses différences, nous retrouvons tout de même certaines caractéristiques chez toutes celles et tous ceux qui sont au sommet.
Quels sont donc les dénominateurs communs?
Parmi les grands patrons interrogés, très peu s’imaginaient à cette place lorsqu’ils ont commencé leur carrière. Certains se voyaient chanteur lyrique. D’autres pensaient embrasser la carrière de leurs parents dans les chemins de fer. Les dirigeant(e)s des grandes entreprises françaises ne sont pas toutes et tous des filles et des fils de grands bourgeois ou de grands patrons. Leur point commun est d’avoir eu l’envie et le courage de travailler ainsi que de prendre des responsabilités d’équipe. L’autre point commun, c’est leur capacité à prendre des décisions.
Dans un monde professionnel volatil, complexe et incertain, la prise de décision n’est pas un processus purement intellectuel. C’est avant tout de l’émotionnel. Il faut donc avoir le courage de décider et de faire des choix sans maîtriser tous les paramètres. Toutes les personnes qui sont au sommet ont cette notion de courage. Elles font confiance à leurs intuitions et à leurs expériences. Dernier point commun: l’ouverture d’esprit et l’empathie.
Selon vous, pour faire carrière, il ne faut pas faire carrière. Qu’entendez-vous par là?
Il s’agit de trouver sa propre voie et de faire en sorte que l’on ne regrette rien. Faire carrière avec une ambition excessive peut être contre-productif pour trois raisons. En cas d’échec, une personne obnubilée par sa réussite aura beaucoup plus de mal à rebondir. De plus, afin de réussir et d’arriver au sommet, il faut savoir prendre des risques ou accepter un projet difficile qui vous donnera une certaine visibilité. Comme dans tous les projets difficiles, il y a le risque de se planter. Une personne ambitieuse ne prendra pas toujours ce risque. Enfin, pour arriver au sommet, il faut bâtir une équipe et la motiver. Une personne égoïste ou excessivement centrée sur ses propres intérêts n’y arrivera pas.
En France plus particulièrement, les grandes écoles forment les grands patrons de demain. Devenir un grand patron est-il donné à tout le monde?
A l’issue de ce livre, je suis complètement opposé à l’idée que les grandes écoles sont un facteur de reproduction d’une classe sociale dominante. C’est même tout l’inverse. Deux tiers des grands patrons interrogés sont passés par les grandes écoles. Mais beaucoup d’entre eux sont issus de milieux relativement modestes. Dans leur cas, les grandes écoles ont joué le rôle d’ascenseur social. Elles leur ont donné un statut, un réseau et le bagage nécessaire pour réussir professionnellement. En revanche, je ne sais pas si cela est toujours valable. Pour entrer dans les grandes écoles aujourd’hui, il faut un très bon niveau au bac. Mais en voulant faire de l’égalité des chances en supprimant les notes et les devoirs, les collèges et les lycées sont devenus plus inégalitaires qu’avant. Ils ne poussent plus les élèves. C’est désormais à la famille de motiver et de guider les étudiants.
Y a-t-il des gens prédestinés?
Bon, il faut un minimum d’intelligence, mais ce sont surtout les caractéristiques personnelles et les qualités humaines qui font la différence. Encore une fois, les personnes qui réussissent ont le courage de vivre dans un quotidien professionnel où l’on encaisse des coups tous les jours. Elles savent prendre des décisions, écouter et s’entourer de bienveillance. Elles sont aussi résilientes. Ces valeurs viennent de la famille. C’est du moins ce qui ressort des témoignages. Celui notamment de ce grand patron, orphelin de père dans l’enfance, et fils d’une boulangère qu’il a vue se lever tous les jours au milieu de la nuit pour travailler et qui lui a donné beaucoup d’amour et de confiance. Ce sont des exemples qui marquent.
Finalement, tout se joue assez jeune. A 20 ans, on a déjà en soi les qualités personnelles et relationnelles qui font que l’on va réussir ou pas.
Vous avez confessé une cinquantaine de grands dirigeants. Quels regards portent-ils sur leur carrière?
Aucun ne regrette. Tous pensent que la chance a joué un grand rôle dans leur réussite. Dans la chance, il y a les rencontres. Celle de la bonne personne en début de carrière qui va jouer le rôle de mentor ou de locomotive. Ces grands patrons soulignent aussi que leur mari ou leur femme est au cœur de cette réussite. Sans ce soutien et les sacrifices du conjoint, ils n’auraient pas tenu.
Quelle importance le réseau joue-t-il?
Les rencontres ont un rôle important, mais elles ne sont pas décisives ou prédéterminantes pour arriver au sommet. Il faut avant tout faire ses preuves. Le réseau est important en cas de difficultés professionnelles, mais il ne sert à rien de réseauter de manière excessive.
A vous lire, ceux qui réussissent ont intégré certaines valeurs comme l’écoute, l’engagement, la résilience ou l’autonomie...
Ecouter ne veut pas dire se plier à toutes les exigences des collaborateurs. Le monde professionnel d’aujourd’hui est plus incertain et volatil. Il y a le besoin d’être plus réactif à tous les niveaux de la hiérarchie. Pour un grand patron, il est donc encore plus important de savoir déléguer, faire confiance, fédérer, responsabiliser. Il faut donc une certaine qualité d’écoute et de pédagogie. Ce qui ne veut pas dire faire plaisir à tout le monde.