Le monde du travail connaît aujourd’hui de nombreuses mutations: révolution numérique, délocalisations, compétitivité très rude, insécurité de l’emploi. Cette conjoncture met les nerfs des chefs d’entreprise et des employés à rude épreuve. Comment rester performant avec de multiples sollicitations d’efficacité et de rendement, associées à de l’incertitude? Les réponses de Denis Inkei, formateur en gestion du stress.
Comment en êtes-vous arrivé à former cadres et employés à la gestion du stress?
J’avais ressenti beaucoup de stress lorsque je travaillais à la tête de mon agence de communication. J’avais alors mené un travail sur moi, en m’inspirant de ma longue expérience des arts martiaux et en étudiant notamment la sophrologie. Je n’avais pas directement l’idée de changer de métier, mais j’avais besoin de trouver des techniques qui puissent m’aider à vivre certaines situations professionnelles. Et d’acquérir des outils pour mieux soutenir le développement de mes élèves que je formais en arts martiaux.
En 2008, avec la crise, le monde s’est écroulé. L’économie était tellement chamboulée que le stress allait devenir plus important, c’était évident. Je me suis dit que je pouvais faire bénéficier d’autres personnes de ce que j’avais appris.
Le stress est-il vraiment un phénomène récent?
Fondamentalement, le stress est déterminé par des algorithmes qui datent de 160 000 ans. Le gros problème, c’est le stress chronique, un phénomène récent qui va certainement augmenter. Une étude du Seco révélait en 2000 que plus du quart de la population suisse se disait stressée ou très stressée. En 2010, on se situait plutôt autour d’un tiers. Des résultats sortis récemment parlent de 40-45%!
Chaque fois que nous réagissons par rapport à un stress – par l’attaque, la fuite ou l’inhibition –, en réalité, cette réaction est préprogrammée en nous. Il est essentiel de se déprogrammer et d’apprendre ainsi à gérer ce stress. Nous ne sommes pas adaptés au rythme d’aujourd’hui: changement permanent, insécurité de l’emploi, messages publicitaires dont le maître mot est le changement. Le changement, l’imprévisibilité nous mettent sous tension. Nous entendons aussi que des changements globaux sont en train d’arriver, que la robotique pourrait faire disparaître tel métier ou tel autre. Nous entrons dans une ère de déséquilibres pour lesquels nous ne sommes pas équipés. Les exigences du monde du travail sont de plus en plus élevées et nous ne pouvons pas être réellement performants sous stress.
Si nous voulons évoluer comme individus, nous sommes obligés de comprendre que le phénomène de stress n’est pas positif, que ce n’est pas ainsi que nous allons trouver la qualité de vie à laquelle nous prétendons aujourd’hui. Car la qualité de vie est surtout dans notre tête.
Comment alors parvenir à gérer ce stress omniprésent?
Pour concevoir ma méthode, je me suis beaucoup inspiré de ce que j’ai reçu et appris avec les arts martiaux, une expérience de près de quarante ans. La notion de flow, ou quand notre attention est librement investie en vue de réaliser un but personnel, y est capitale.
Nous pouvons gérer ce stress en mettant en place des techniques très simples comme apprendre à respirer profondément, faire attention à sa posture ou évacuer ses pensées négatives. Nous avons oublié notre capacité à respirer pleinement. Or, la respiration permet d’oxygéner tous nos tissus, dont ceux du cerveau, afin d’être en forme physiquement et disponible intellectuellement. Maîtriser ses pensées est également primordial pour ne pas stresser. Encourager ses pensées positives permet d’avancer, alors que ressasser les négatives nous inhibe la plupart du temps. La respiration, le corps et la conscience sont d’ailleurs à la base de toutes les techniques de développement personnel. Le but est de créer des automatismes, dans un délai d’un mois, pour pouvoir se sentir bien sans devoir y penser tout le temps.
En quoi votre méthode se distingue-t-elle?
Au départ, ma question était: comment insuffler ces petites techniques dans le quotidien? Dans la plupart des cas, les réponses proposées pour éliminer le stress (prenons l’exemple du yoga, ou de la pleine conscience) consistent à sortir de son quotidien pour se réparer. Moi, je propose comment faire, dans l’action, pour ne pas stresser. J’aime utiliser l’image d’un bateau qui a un trou. Face à cela, nous avons deux possibilités. Soit nous écopons, et c’est une opération sans fin, à l’image de techniques qui nous demandent de sortir de l’action: on se repose, on est bien, et puis on revient au travail de la même manière et on retrouve très vite nos tensions. L’autre solution est de boucher le trou. Le problème est résolu une fois pour toutes. Alors, au lieu de décharger des tensions accumulées, ma démarche consiste à faire en sorte de ne pas se charger, ou de diminuer fortement la charge.
Il n’y a donc pas besoin de prendre du temps pour se faire du bien?
Respirer pleinement peut se faire au travail, en marchant dans la rue, en attendant le bus. Il est vrai qu’au bureau, la charge de travail étant souvent très importante, il est difficile de penser à soi. J’encourage les gens à commencer par faire entrer ces nouveaux fonctionnements du corps et de l’esprit pendant les moments où ils sont tranquilles. Puis, quand ces changements sont assimilés, à les appliquer au travail.
Certaines techniques que je propose, comme les imageries mentales, demandent de se retirer un moment. Mais cela prend quinze ou vingt minutes. J’encourage les gens à faire du yoga et du sport, mais pour le plaisir, pas pour se décharger de tensions. Sinon, on sort du travail, on court au yoga, on rentre du cours en se dépêchant et on est de nouveau énervé.
Vous comptez parmi vos clients des cadres de grandes entreprises, de banques privées. Etait-ce une volonté de toucher spécifiquement ce public?
Je travaille avec tous les types d’entreprises, sans besoin d’adhérer à leurs valeurs. Ce sont des gens que j’ai en face de moi, même si c’est l’entreprise qui me paie. Je viens du monde humanitaire et associatif. Au début, quand j’ai proposé mes services, je n’ai pas eu de réponse de ce milieu professionnel. Puis du personnel de banques privées, en 2009, a commencé à faire appel à moi. Le bouche à oreille a opéré, mon site internet a été mis en ligne. Aujourd’hui, je n’ai quasiment pas besoin de faire de prospection.
Cependant, il est primordial de former les dirigeants d’entreprise. Un des plus importants principes de management est de considérer que l’on imite toujours la personne au-dessus de nous. La gestion du stress se répercute donc, par cascade positive. Même s’il est très important aussi de former les employés, qui subissent beaucoup de tensions.
Quelles réactions récoltez-vous de la part de vos clients?
Depuis 2010, je suis intervenu auprès de 3500 personnes. Quasiment tout le monde parvient à l’objectif fixé, celui de réduire de 50% les tensions en un mois. Je leur dis qu’ils ont le reste de leur vie pour éliminer les 50% restants. Cette diminution des tensions de moitié provoque une amélioration de la qualité de vie.
Cela permet d’obtenir la sensation de reprendre le contrôle sur son travail et sur sa vie. Souvent, nous stressons de stresser. Connaître les moyens de diminuer son stress permet déjà d’arrêter cela.
Comment toucher les gens réfractaires à ce genre de démarche?
Je crois que personne n’a envie de conserver un sentiment de mal-être. Certains ne savent pas comment aller mieux, il faut alors enclencher la machine qui les fait penser à eux. Nous avons entre 40 000 et 60 000 pensées par jour, donc si nous en avons 100 qui concernent notre mieux-être, ce n’est pas énorme. En tout cas, les gens formés gardent quelque chose même s’ils ne vont pas au bout de la démarche. Ils gagnent confiance sur le fait qu’ils se voient désormais mieux armés pour affronter leur stress.
Ce que j’observe, notamment dans les séminaires organisés ou dans les formations au sein d’équipes, c’est que prendre conscience du stress permet de beaucoup relativiser. Car communiquer sur son stress se fait rarement. En parler permet de se dire: ce n’est pas uniquement moi qui ai ce problème. Les réactions négatives liées au stress (colère, remarques désobligeantes) peuvent heurter. Quand la prise de conscience que ces réactions sont liées au stress se fait, les gens prennent la chose moins personnellement. Ils constatent que le stress est un phénomène existant et que ses effets ne sont pas dus à la personnalité de l’un ou de l’autre.
Apprendre à gérer son stress, c’est aussi apprendre à mieux collaborer, à vivre ensemble?
Sans doute, mais un travail sur son propre fonctionnement est nécessaire. L’effet de groupe est provoqué par ce travail que chaque individu fait. Le gros bénéfice du changement, c’est la perception de la personne par son entourage, même si elle-même ne s’en est pas rendu compte. En principe, les gens stressent au travail et se déchargent à la maison. Leur plus gros souci, souvent, est de ne pas réussir à contrôler leurs émotions avec leurs enfants, ce qui peut provoquer beaucoup de souffrance.
Il est important d’apprendre comment l’on fonctionne, pour arriver chez soi complètement zen, sans importer en nous une énergie qui provient du travail. Un des plus gros feed-back, une des plus grandes satisfactions que j’ai, ce sont des gens formés qui me disent qu’ils se sentent mieux en famille. Sans cela, nous ouvrons des zones de stress partout et tout le temps.
Ce qui veut dire que nous devons être toujours dans le contrôle?
Non, et c’est là toute l’importance de l’automatisation. Il faut s’entraîner consciemment à ces gestes simples (respiration profonde et consciente, contrôle des pensées…) pendant un mois. C’est le temps dont le cerveau – qui bénéficie d’une plasticité extraordinaire – a besoin pour modifier une habitude.
Après ce délai, le fait d’avoir une bonne posture ou de respirer profondément avant un épisode stressant va se faire automatiquement. Le matin au réveil, on ne se demande pas chaque jour comment se doucher ou se laver les dents, tout est automatique. Tout contrôler est insupportable, cela ne permet rien de spontané. En ce sens, l’automatisation permet de gagner en liberté.
Un parcours entre journalisme et ONG
Aujourd’hui formateur en gestion du stress en entreprise, Denis Inkei a commencé par étudier le journalisme et les sciences politiques, puis les sciences de la communication qu’il a enseignées à l’Université de Genève et à Annecy. Durant ses premières années de journalisme, il a notamment créé la rubrique «solidarité internationale» au Courrier.
S’intéressant de près aux actions de Médecins sans frontières, il décide par la suite de s’engager auprès de l’ONG et en devient le responsable de la communication de la section suisse. Il travaille ensuite quelque temps pour MSF Espagne, afin de vivre une expérience nouvelle et d’apprendre l’espagnol. A son retour, il devient le chef du service de presse à la RTS. «En me retrouvant dans le conseil de direction, j’ai beaucoup appris sur le fonctionnement d’un média, ce que j’ai trouvé passionnant.» Après une petite année à ce poste cependant, Denis Inkei choisit de devenir indépendant et ouvre l’agence Inkei Communication, tournée vers les questions humanitaires, les droits de l’homme, des questions sociétales. «Pour porter des idées, j’avais besoin d’être en accord avec mes valeurs.»
Parallèlement à son parcours professionnel, il se forme aux arts martiaux, dont l’exigeant yoseikan budo, où il acquiert un 5e dan. «Je suis passé par toutes les étapes: combattant, champion, arbitre, entraîneur.» Il se forme également à la sophrologie, au reiki, s’intéresse à la méditation et à la spiritualité. En 2009, conscient que la crise économique va provoquer des tensions supplémentaires dans le monde professionnel, il crée sa structure actuelle, Inkei Développement, cabinet de formation en gestion du stress.
Il a à ce jour formé près de 3500 employés et cadres issus de banques privées, d’administrations et de grandes entreprises de Suisse romande.
Son livre «La performance, desserrer les freins, booster les ressources» vient de paraître aux Editions Jouvence.
5 conseils pour diminuer son stress
Respirer en trois temps: activer le diaphragme, puis le thorax et enfin la partie scapulaire (clavicules et épaules).
Prendre conscience de ses pensées: interrompre les processus mentaux négatifs.
Se corporaliser: relâcher le haut du corps, ancrer son poids dans le bas du corps, se sentir dans son corps.
Se féliciter après chaque réalisation (au lieu de se décourager en constatant ce qu’il reste à faire).
Répéter ces différents aspects plusieurs fois par jour pendant un mois, pour que ces nouvelles attitudes s’ancrent et deviennent des automatismes!
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