Un psychologue disponible jour et nuit pour tous les collaborateurs dès 49 francs par semaine: voilà qui devrait particulièrement intéresser les entreprises qui n’ont pas de gros moyens pour investir dans les mesures de promotion de la santé au travail. C’est le pari de la start-up autrichienne Instahelp, qui s’est implantée en Suisse en janvier en espérant séduire le marché romand avec son service de conseil psychologique en ligne. Fondée en 2015 à Graz, cette société appartient à Up To Eleven Digital Solutions, qui commercialise notamment… des serrures de porte intelligentes.
Entretien confidentiel et anonyme
Dès sa création, Instahelp a visé le public cible des petites et moyennes entreprises, en tablant principalement sur deux arguments: ses tarifs sont bas et les problèmes psychiques au travail sont en hausse. Burn-out, développement personnel, mobbing et management du stress figurent parmi les motifs de consultation les plus fréquents. Aujourd’hui, Instahelp revendique un carnet de plus de 15 000 travailleurs (essentiellement allemands et autrichiens) abonnés à sa plateforme via l’employeur. Contactée par e-mail, la nouvelle CEO Bernadette Frech, en poste depuis moins d’une année, confirme le récent démarrage des activités en terre helvétique avec une équipe comptant déjà trois psychologues suisses.
Concrètement, Instahelp propose des consultations psychologiques en ligne en temps réel. Tout se déroule de manière confidentielle et anonyme par chat, téléphone ou vidéo, par le biais d’applications téléchargeables sur ordinateur, tablette informatique et smartphone. Les psychologues cliniciens qualifiés qui répondent sont accessibles 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. La première étape consiste à ouvrir un compte personnel sur la plateforme Instahelp, en précisant la préoccupation pour laquelle on désire consulter. La réponse arrive normalement dans un délai de deux minutes. Le nouvel inscrit se voit alors proposer plusieurs psychologues, au choix. Il ne reste plus qu’à sélectionner une formule d’abonnement hebdomadaire et le tour est joué. Trois options sont possibles: le tarif «accompagnement» à 49 francs, le tarif «standard» à 69 francs et le tarif «intensif» à 89 francs. En échange, le client peut s’entretenir par chat, téléphone ou vidéo pendant respectivement 20, 40 ou 60 minutes par semaine. En bref, Instahelp introduit les principes du low cost dans la psychologie.
Le problème, c’est que si le contact est superficiel, l’effet est aussi superficiel.
Surfant sur l’épidémie de burn-out, la jeune société rappelle que seulement 30% des personnes ayant besoin d’un soutien psychologique se font effectivement aider. Listes d’attente interminables chez les psys, réticence à appeler au secours, manque de moyens financiers ou simplement absence de temps sont les principaux freins. Sans compter qu’il n’est pas facile de se libérer en pleine journée pour aller voir un psy. De ce fait, certaines personnes «cherchent de l’aide dans l’immensité des forums internet et des blogs dont la qualité est souvent plus que douteuse», dit-on chez Instahelp. Et d’ajouter qu’il existe «une corrélation significative entre l’état psychique d’un employé et sa productivité». Jouant la carte de la modernité, Bernadette Frech relève que le conseil psychologique en ligne constitue déjà une pratique professionnelle courante dans certains pays.
De fait, Instahelp n’est pas la seule ni la première entreprise sur le marché. Les pionnières ont démarré leur activité il y a plusieurs décennies aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, avec des résultats encore difficiles à évaluer, faute de recul. «Il n’existe pas de recherche scientifique sur ces services. Il n’est donc pas possible de faire des déclarations sur leur efficacité», estime Olivier Rüegsegger, responsable de la politique professionnelle à la Fédération suisse des psychologues (FSP). Les rares données disponibles proviennent des prestataires eux-mêmes, et sont donc potentiellement entachées de partialité. Ces données sont au demeurant plutôt maigres, vu que tous les échanges sont confidentiels et anonymes.
Cela dit, l’employeur reçoit normalement un feed-back sous forme de statistiques sur les problèmes les plus fréquemment abordés. Ainsi, ils peuvent «prendre des mesures de prévention appropriées», selon la société concurrente Independent Counselling & Advisory Services (ICAS), active en Suisse depuis 2001 et également représentée en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Autriche et au Luxembourg.
Une frontière floue
Mais en Suisse, Instahelp fait tiquer les professionnels de la relation d’aide. Ils s’indignent par exemple que les contacts se déroulent essentiellement via chat. «La richesse de notre travail, c’est la rencontre. Le face-à-face est essentiel pour développer un lien de confiance thérapeutique. Faire ce travail par écrit, je n’y crois pas une seconde», affirme ainsi la psychologue Catherine Vasey, fondatrice de la société Noburnout à Lausanne. «Le problème, c’est que si le contact est superficiel, l’effet aussi est superficiel.» Pour les personnes qui veulent simplement déposer un poids, les entretiens sans contact physique ou visuel sont tout à fait envisageables. Mais pour soigner des problèmes graves comme la dépression ou le burn-out, c’est mission impossible.
«Et puis, quelle est la différence entre ce service et les chats gratuits qui existent déjà sur internet? Je ne vois pas pourquoi il faudrait payer pour des conseils que vous pouvez trouver ailleurs sans débourser! Enfin, la liste des situations dans lesquelles Instahelp s’interdit d’intervenir – probablement pour se protéger juridiquement – est si longue qu’on se demande bien quels problèmes ses psychologues sont encore habilités à traiter. Ils ne s’occupent pas des crises aiguës, ne posent pas de diagnostic, ne proposent pas de thérapie et interviennent seulement en appoint à une prise en charge classique en cas de trouble psychique. Au final, il ne reste franchement pas beaucoup de cas de figure pour lesquels on peut les consulter», remarque Catherine Vasey.
Dans la liste restante, il y a un regrettable amalgame entre des problèmes relativement anodins (comme l’insécurité professionnelle) et des diagnostics graves (anorexie mentale, dépression), observe Carol Gachet, directrice de l’organisme privé Intervention de crise et prévention (ICP). «Une telle indifférenciation dénote à mon avis un manque de professionnalisme», ajoute-t-elle. En Suisse, seuls les psychologues spécialisés en psychothéraphie peuvent traiter ce genre de troubles. Or, les psychologues proposés par Instahelp ne le sont pas. Pour être en conformité avec la loi suisse, ils doivent donc se limiter à faire du conseil. Or, la frontière entre la psychothérapie et le conseil est «un peu floue», estime Olivier Rüegsegger.
Wanted: psychologues suisses romands
Pour étoffer son équipe, Instahelp recherche actuellement des psychologues suisses romands. Son offre d’emploi, postée vers la fin août sur Indeed.ch, précise que les candidats doivent notamment détenir un diplôme en psychologie clinique, justifier de plusieurs années d’expérience, posséder une assurance RC professionnelle et être disposés à travailler le week-end. Le salaire horaire en fait sursauter plus d’un: il est inférieur à 50 francs, respectivement 90 francs, selon le type d’abonnement. «A ce tarif-là, on se demande bien qui va postuler», déclare Carol Gachet, directrice de l’organisme privé Intervention de crise et prévention (ICP), à Belmont-sur-Lausanne.
Un sentiment partagé par Catherine Vasey, fondatrice de la société Noburnout, et par Olivier Rüegsegger, responsable de la politique professionnelle à la Fédération suisse des psychologues (FSP). Ce dernier pense «peu probable» que les professionnels romands se bousculent au portillon. Il faut savoir que le salaire horaire tourne habituellement autour des 140 francs en Suisse. D’après Olivier Rüegsegger, ce sont les bas salaires pratiqués à l’étranger qui permettent à Instahelp d’offrir des prestations aussi bon marché. «Mais je doute que des thérapeutes bien formés et avec de nombreuses années d’expérience puissent travailler sérieusement dans ces conditions», conclut-il.