Une dizaine de personnes allongées sur le sol, les yeux fermés et respirant profondément; une séance de méditation qui ne semble rien avoir de particulier à première vue. A la différence près que les participants, pour la majorité des femmes, sont sur le point d’achever une semaine sans avoir consommé aucun aliment solide. Nous sommes dans le chalet d’Interlude Bien-Etre, à Val-d’Illiez, un centre de jeûne thérapeutique qui a ouvert ses portes en 2016. Ces six jours passés à boire des tisanes, des jus de fruits et des bouillons de légumes ont été vécus très différemment par chacun, migraine et faim tenace pour les uns, sommeil réparateur et grande sérénité pour les autres.
Certains n’en sont pas à leur premier jeûne. «J’étais très fatiguée durant ce séjour, avec des hauts et des bas au niveau psychologique, avoue Vanessa, responsable en communication dans une entreprise internationale. Mais je me réjouis des effets bénéfiques car après ma première expérience, j’ai ressenti une vitalité extraordinaire durant des mois.» Cure «détox», besoin de lâcher prise, défi lancé à soi-même, envie de perdre du poids… Les motivations pour se priver volontairement de nourriture sont avant tout personnelles. Et aussi, bien souvent, professionnelles. «Je vis avec un stress permanent dans mon job, note Evelyne, directrice des ressources humaines. Après une cure de jeûne, je me sens mieux dans ma peau, plus équilibrée et j’aborde les problèmes avec plus de recul.»
Un régime pour la longévité?
Longtemps lié aux pratiques religieuses, le jeûne a été remis au goût du jour il y a quelques années auprès du grand public, notamment grâce aux travaux de Valter Longo, professeur en biologie cellulaire italo-américain et auteur du best-seller Le régime de longévité. Désormais associée au spirituel et à la santé, l’abstinence alimentaire séduit un nombre croissant de personnes, dont pas mal d’executive managers. En témoigne le succès de la très chic clinique Buchinger, en Allemagne, qualifiée de Mecque du jeûne thérapeutique depuis des décennies. «Nous avons beaucoup de cadres ou de chefs d’entreprise qui viennent en Valais pour faire un break professionnel», confirme pour sa part Louis Clerc, fondateur d’Interlude Bien-Etre.
Ce consultant en études de marché se décrit comme un épicurien: «Depuis quinze ans, je travaillais comme un fou et je me demandais comment, à ce rythme-là, j’allais arriver à la retraite, avec autant de stress et la prise constante de kilos, malgré la pratique du sport.» Curieux de nature, Louis Clerc découvre les vertus du jeûne thérapeutique lors d’un séjour en France. Il en ressent de tels bienfaits qu’il décide de créer il y a trois ans un centre, le premier du genre en Suisse romande. Au menu de la semaine, dont le coût varie entre 900 et 1700 francs, selon l’hébergement choisi: ateliers en développement personnel, cours dédiés à l’alimentation, randonnées, bains thermaux, le tout accompagné par un coach et une naturopathe.
«Des vacances pour l’esprit et le corps, qui se déroulent plus aisément hors de chez soi, à l’abri des nombreuses tentations alimentaires et en partageant cette expérience avec d’autres personnes. Et que la majorité des gens peut pratiquer sans danger», poursuit Louis Clerc. Un avis nuancé par Mauro Frigeri, ancien chef de clinique au service d’oncologie des HUG. «Les femmes qui allaitent, les adolescents, les seniors de plus de 70 ans et les personnes en dénutrition ou souffrant de troubles alimentaires comme la boulimie et l’anorexie doivent s’abstenir de jeûner. Pour les autres, mis à part ceux qui souffrent de certaines maladies graves, aucun problème: notre corps est fait pour tolérer le jeûne, que ce soit durant une semaine ou de manière intermittente, un jour par semaine.»
Bientôt une étude suisse
Désormais installé à Bellinzone, Mauro Frigeri constate que, globalement, le jeûne suscite encore peu d’intérêt de la part du corps médical en Suisse dans une société qui prône trois repas par jour. Mais différentes études scientifiques menées sur des animaux font état d’une amélioration du système immunitaire, d’une meilleure prévention des maladies neurodégénératives, d’un effet positif sur le diabète et la tension artérielle. Le jeûne permettrait aussi de vivre plus longtemps en meilleure santé en retardant les maladies chroniques liées à l’âge. Pour les sceptiques, les preuves scientifiques manquent encore en ce qui concerne ses effets sur les humains, mais Mauro Frigeri est convaincu que les données scientifiques vont s’accumuler avec le temps.
L’intérêt du médecin oncologue pour le jeûne remonte aux premières études, toujours sur des animaux, démontrant une meilleure tolérance aux chimiothérapies et une plus grande efficacité de ces traitements. L’an prochain, Mauro Frigeri chapeautera une étude sur les effets du jeûne couplé à des activités physiques – les deux devant aller de pair pour que les effets du jeûne soient vraiment bénéfiques – sur des humains.
«Le protocole d’analyses doit encore être validé par Swissethics, les commissions suisses d’éthique relative à la recherche sur l’être humain», explique Mauro Frigeri, qui précise qu’il ne préconise pas à ses patients atteints d’un cancer de jeûner avant leurs séances de chimiothérapie: «Il s’agit pour l’heure d’un choix personnel.»