Face au collaborateur dont l’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident se prolonge, l’employeur se trouve devant un dilemme: d’une part il est tenu par la loi de respecter l’intimité de l’intéressé, d’autre part il ressent un besoin très naturel de comprendre ce qu’il se passe. «Dès lors, plusieurs questions se posent: à quoi lui servirait-il de connaître le diagnostic? Serait-il en mesure d’appréhender cette information dans toute sa complexité? Et, surtout, comment parviendrait-il à garantir qu’elle reste confidentielle?» résume Lisa Langwieser, infirmière spécialisée en santé au travail et formatrice d’adultes pour les entreprises en Suisse romande. Ces questions sont d’autant plus délicates que le diagnostic médical «est souvent compliqué et provisoire et que la durée d’une maladie est difficile à prévoir, même pour un médecin».
Mais qu’entend-on par «secret médical»? D’après la législation suisse, il s’agit de tout renseignement personnel collecté par le médecin, que ce soit en face-à-face, par téléphone ou par écrit. Le patient ne doit pas avoir à craindre que des données de ce genre soient transmises à son employeur sans son assentiment. Tout ce que l’employeur est autorisé à savoir est nécessairement lié de façon directe aux aptitudes du travailleur à exercer son métier. Ainsi, le certificat médical d’arrêt de travail ne doit mentionner que les informations indispensables à l’employeur: le début et la fin prévisible de l’incapacité de travail, son degré en pourcentage de temps ou de rendement, sa cause (à savoir maladie, accident ou grossesse) et, enfin, la date à laquelle le certificat a été établi, avec le timbre et la signature du praticien.
Consentement éclairé du patient
Donc, l’employeur n’a pas à être informé du diagnostic. Une exception est faite si le travailleur y a préalablement consenti. Cependant, le Code des obligations stipule que personne «ne saurait valablement renoncer, de façon excessive, aux droits de sa personnalité», ce qui signifie que cet assentiment risquerait de n’avoir aucune valeur juridique s’il englobait la communication de n’importe quelle information médicale à l’extérieur. A plus forte raison, l’employeur ne peut pas «autoriser» un médecin-conseil à lui rapporter tout ce qu’il aurait constaté. La tâche de ce dernier se limite, sur demande de l’employeur, à vérifier la réalité de l’incapacité de travail. «Or, dans la pratique, il n’est pas rare que l’employeur, inquiet, cherche à obtenir des «informations complémentaires» auprès du médecin-conseil dont il a sollicité l’intervention. Mais montrer que l’on se sent concerné par l’état de santé du collaborateur ne nécessite en aucun cas de connaître le diagnostic», souligne Lisa Langwieser.
Sont soumis au secret médical, outre les médecins, les dentistes, les chiropraticiens, les pharmaciens, les sages-femmes, les psychologues et leurs auxiliaires. Concrètement, aucune information médicale ne doit sortir du cabinet de consultation sans le consentement éclairé du patient. L’accord de ce dernier est nécessaire pour l’établissement d’un certificat médical décrivant les travaux qu’il ne peut plus effectuer – et ceux qu’il est encore en mesure d’accomplir. A noter que ce consentement ne doit pas nécessairement revêtir la forme écrite. La violation du secret médical désigne donc le fait de rendre accessibles des données médicales à un tiers non autorisé. Il s’agit d’un délit pénal passible de jours-amendes.
Faire appel à des spécialistes
En 2017, le Tribunal fédéral a dû trancher pour la première fois un cas de violation du secret professionnel par un médecin-conseil. Bref rappel des faits. Un conflit de travail surgit entre un employé et le directeur général d’une école privée organisée sous forme de société anonyme. Peu après, l’enseignant est licencié moyennant préavis. Il tombe malade et son médecin traitant rédige un certificat médical d’arrêt de travail, qui est renouvelé à plusieurs reprises. L’employeur demande alors à l’employé de se soumettre à un contre-examen médical chez un expert psychiatre. Le lendemain de la visite, le psychiatre en question adresse à l’employeur un rapport médical complet incluant anamnèse, diagnostic, ainsi que diverses autres informations, dont certains propos «peu amènes» que l’employé aurait tenus à l’endroit de son employeur: «dangereux psychopathe», «veut toujours avoir raison», etc. Une copie du rapport est adressée à l’employé, qui dépose une plainte pénale pour violation du secret médical. Après une condamnation en première instance et un appel, l’affaire finit devant le Tribunal fédéral, qui confirme le 4 mai 2017 la décision cantonale.
Selon les recherches menées en Suisse par le psychologue bâlois Niklas Baer, spécialisé dans les questions liées aux absences de longue durée et la réinsertion professionnelle, les employeurs ne sont pas assez informés sur la conduite à adopter dans ce genre de situations. Le manque d’informations semble plus marqué dans les petites et les moyennes entreprises que dans les grandes. «Par conséquent, il serait important d’offrir aux PME une aide pragmatique et sur mesure, comme celle qui existe déjà en matière de promotion de la santé au travail», affirme le chercheur bâlois. Pour Lisa Langwieser, il faudrait avoir le réflexe de faire appel à des professionnels de la santé au travail: «Ces spécialistes savent traduire un diagnostic médical en capacité de travail pour le poste et la fonction de chaque travailleur. Ils peuvent donc conseiller l’employeur et lui proposer des aménagements de poste.»
L’important est de soigner les rapports de confiance. Mieux vaut s’adresser à l’employé.
Responsable de groupe pour la réadaptation professionnelle à l’Office de l’assurance invalidité (AI) du canton de Genève, Sophie Brunner estime que «l’important est de soigner les rapports de confiance. Je conseillerais donc à l’employeur de s’adresser directement à l’employé s’il souhaite obtenir des informations. S’il n’a pas le droit de le questionner sur sa santé, il devrait pouvoir lui demander s’il a une idée de la durée probable de l’arrêt de travail. Les limitations fonctionnelles devraient aussi pouvoir être abordées.» Lorsque l’absence se prolonge au-delà de 30 jours ou que des absences perlées sont observées sur toute une année, le cas peut être annoncé à l’AI pour lancer une procédure de détection précoce de l’invalidité. Le collaborateur sera alors convoqué par l’AI pour une évaluation de sa situation. S’il accepte de se présenter et qu’une demande AI est officiellement déposée, on lui demandera de signer une autorisation de levée du secret médical pour l’instruction qui portera sur sa situation médicale, familiale, sociale, professionnelle et financière. Mais là encore, l’employeur n’aura pas accès aux informations du dossier.
Procédure AI au-delà de 30 jours
Il reste une situation où la protection du secret médical peut se révéler problématique: c’est lorsque le collaborateur présente des troubles susceptibles d’entraîner un risque de mise en danger pour lui-même et son entourage. «Prenons l’exemple d’un machiniste qui souffre de troubles de la vision à cause d’une maladie chronique. Dans un tel cas, il est utile d’en informer l’employeur. Néanmoins, même dans un tel cas, il n’a nullement besoin de connaître le diagnostic. Il lui suffit d’avoir connaissance des limitations du collaborateur à remplir sa fonction», déclare Lisa Langwieser. Sont potentiellement concernées toutes les compagnies aériennes, les entreprises de transport, les sociétés d’exploitation de barrage hydraulique, etc. On se souviendra de la catastrophe aérienne causée par le copilote d’un Airbus de Germanwings qui, le 24 mars 2015, avait délibérément provoqué le crash de l’avion, avec à son bord 150 passagers, dans les Alpes-de-Haute-Provence. «Son inaptitude à piloter un aéronef avait été détectée par le médecin traitant, mais n’avait pas été communiquée ni à l’employeur, ni au médecin de l’entreprise, ni à l’autorité de surveillance en raison du secret médical allemand», se souvient Me Werner Gloor, avocat au Barreau de Genève, juge suppléant à la Cour de justice de Genève et président à la Chambre des prud’hommes.
En Suisse, cependant, on peut supposer que le médecin-conseil «soit légitimé, voire tenu, même en l’absence d’un consentement de l’intéressé ou d’une réglementation traitant de la question, de prévenir immédiatement l’employeur afin que le danger puisse être écarté», ajoute l’avocat, qui pense que cette démarche serait donc considérée comme une «nécessité licite».