Des visages souriants, des baby-foots et du café à volonté… Les articles qui parlent de coworking décrivent tous un espace chaleureux où il fait bon travailler, tout en partageant des moments riants avec ses sympathiques colocataires… Dans une société où les indépendants sont en augmentation, le partage des bureaux serait la solution idéale pour lutter contre la solitude des travailleurs à domicile et multiplier les échanges avec ses congénères.

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Mais qui a déjà vécu en colocation sait fort bien que le paradis de la collectivité est un mythe. Nicolas*, lui, a bien failli y croire. A la fin de l’année dernière, fatigué par des journées passées derrière son ordinateur dans son appartement, ce Genevois s’est laissé séduire par les promesses d’un espace de coworking tout neuf aux bureaux design, avec une jolie lumière et des apéritifs réguliers – l’espérance de rencontres stimulantes qui pourraient générer de nouvelles opportunités professionnelles.

La colocation, ce n’est pas pour tous

«J’y allais en moyenne une fois par semaine, car ils proposaient une formule abordable à 120 francs pour quatre fois par mois, se souvient-il. Contrairement à ce que je pensais, en fait, c’est un peu comme une bibliothèque remplie d’étudiants à l’université: tout le monde bosse à fond et en silence sur ses propres projets. Les gens sont corrects, mais sans plus. Les espaces communs ne sont pas suffisants, donc il aurait fallu, pour entrer en contact, que je provoque les rencontres et comme je suis introverti, je ne l’ai pas fait.» Après quelques mois, Nicolas a finalement suspendu son inscription. Il passe désormais une partie de son temps chez l’un de ses employeurs, où il rencontre des personnes évoluant dans son secteur d’activité, ce qui facilite les connexions.

L’aventure de Nicolas est révélatrice d’un élément que les fondateurs de bureaux partagés omettent souvent de formuler: la colocation, ce n’est pas fait pour tout le monde, et ce n’est pas toujours facile. Certains coworkers en témoignent sur internet, sous le couvert de l’anonymat. Au premier rang des soucis rencontrés se trouvent les tâches ménagères. La tasse de café qui traîne, le tour de ménage pas fait, le frigo qui sent mauvais ou les poubelles en sursis… Comme dans un appartement, il y a ceux qui rangent et nettoient, et puis les autres. Le seuil de tolérance étant propre à chacun, les frictions ne sont pas rares.

Au deuxième rang, on trouve les désaccords financiers. Un coworker qui paie son loyer toujours en retard, oublie d’acheter les capsules de café, se sert de celles des autres et emprunte cartouches d’imprimante et stylos à ses collègues, cela arrive. Une ou deux fois, ce n’est pas grave. Mais quand c’est à répétition, une telle attitude peut générer des conflits larvés qui empoisonnent l’espace de travail. Enfin, le respect du travail d’autrui fait partie de la liste des incontournables dans un open space partagé. Une personne qui utilise la salle de réunion alors qu’elle était réservée, fait venir des amis pour une visite impromptue ou passe ses appels en hurlant peut rapidement faire perdre patience à ses voisins.

Un espace de créativité

Depuis onze ans maintenant qu’il exerce à Décal’Quai, un espace associatif de coworking situé à la gare de Montreux, Jean-Marie Michel a connu nombre de rebondissements. «Des personnes qui ne lavaient rien, par exemple, se souvient en riant ce photographe indépendant. Une fois, j’ai rangé tout à fond car j’avais un rendez-vous avec des clients très importants le lendemain. Mais le soir, un collègue est venu au bureau faire un apéro avec des amis, et quand je suis arrivé le lendemain matin, tout était sens dessus dessous. J’ai dû tout ranger avant mon rendez-vous, et cela m’a fait péter les plombs…»

D’autres fois, c’était simplement l’esprit qui ne collait pas, explique Jean-Marie Michel. «Nous sommes une association et aussi un lieu culturel avec des concerts et des expositions. Les gens qui viennent ici sont souvent créatifs. Pour nous, les moments de communauté sont indispensables, parce que cela permet aussi de développer des projets communs. C’est sûr que, parfois, des gens viennent chez nous parce que le loyer est bas, mais quand ils viennent d’un secteur très différent comme la gestion ou la comptabilité, la mayonnaise ne prend pas et ils ne restent pas longtemps.» Pour lui, un des critères de réussite du coworking est celui des affinités professionnelles partagées entre les coworkers.

Nous faisons signer notre règlement interne à chacun. Après, c’est tout simplement du savoir-vivre.

Andreas Schollin-Borg, cofondateur et directeur de Gotham

Avec le temps et l’expérience, Jean-Marie et ses amis ont compris qu’un espace de coworking, pour fonctionner, devait se doter de règles claires et incontournables. Depuis quelques mois, ils ont par exemple mis en place des tours de rangement obligatoires, qui complètent le passage de la femme de ménage. Et désormais, chaque membre de l’association doit consacrer deux jours par an à l’entretien du lieu en faisant du bricolage. Malgré l’investissement qu’un tel endroit implique, Jean-Marie ne regrette rien: pour lui, il serait impossible de revenir en arrière et de travailler ailleurs.

Les choses sont parfois plus simples quand le coworking s’effectue dans un espace dédié. Les exemples sont de plus en plus nombreux en Suisse, selon les estimations de Coworking Switzerland qui a publié une étude début 2018 sur le sujet. Dans notre pays, il existe environ 155 espaces de coworking, contre 6 seulement en 2011. Au total, environ 10 000 personnes en Suisse travaillent dans des bureaux partagés, en majorité dans des villes. La moitié sont des indépendants, l’autre moitié sont employés dans des PME ou des grandes entreprises et ont choisi de faire du télétravail dans ce type d’espace plutôt qu’à la maison.

L’un des leaders du coworking en Suisse est l’entreprise Gotham, qui vient d’ouvrir un nouvel espace au Flon, à Lausanne, et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle ouvrira 18 bureaux partagés supplémentaires d’ici à 2023, d’abord à Martigny, puis à Genève, Bâle, Berne et Zurich. Son cofondateur et directeur, Andreas Schollin-Borg, assure que le coworking ne génère aucune tension, en tout cas s’il est correctement organisé. «Nous faisons signer notre règlement interne à chacun de nos locataires, explique-t-il. Après, c’est tout simplement du savoir-vivre. Et quand il y a un souci, on en discute.» Pas de séances organisées, mais des tournois de ping-pong où les langues se délient autour d’un verre. «Les gens qui parlent fort, ce sont souvent les plus sociables, dit-il. Donc les autres n’ont en général aucun problème à leur dire de baisser un peu la voix s’ils veulent parvenir à se concentrer.»

Chez Gotham, la majorité des clients sont des fidèles, assure son directeur. C’est pourquoi tous finissent par se connaître et avoir un esprit de communauté qui facilite le dialogue et évite les crises de nerfs. Les professionnels abordent souvent ces questions avec humour, pour dédramatiser les enjeux. L’espace Coworkshop, à Paris, dresse ainsi la liste des «Monsieur» et «Madame» à éviter pour améliorer sa productivité: Madame «je sais tout», Monsieur «pot de colle», Madame «parle trop fort», ou encore Monsieur «ragots» qui vous confie les affres sentimentales de sa voisine de table alors que vous devez absolument boucler ce PowerPoint…

Comme dans un open space

Même si les espaces de coworking sont souvent plus ludiques et chaleureux qu’un open space en entreprise – chez Gotham, par exemple, on se déplace en trottinette –, il reste que les problèmes qui peuvent y survenir y sont les mêmes tant ils sont liés au partage d’un espace. L’avantage, dans le cas des bureaux partagés, c’est que comme l’offre se développe, on peut en changer assez facilement si cela ne convient pas. Et puis cela n’est pas obligatoire: certaines personnes ne seront pas épanouies dans un de ces bureaux très tendance et préféreront changer régulièrement de café, ou le confort de leur salon, pour travailler.

* Prénom fictif