«En Suisse, on aime avoir des sportifs d’élite, mais pour y arriver, il faut leur donner la possibilité d’apprendre un métier dans des conditions qui leur permettent de poursuivre leur carrière sportive», déclare Christoph Wider, Head of Vocation Education chez Wifag Polytype à Fribourg. Cette PME spécialisée dans le développement et la fabrication de machines pour l’impression sur gobelets et tubes en plastique a obtenu la distinction «Entreprise formatrice favorable au sport de performance» décernée par l’association Swiss Olympic.
Ce label est destiné à récompenser les entreprises qui offrent à de jeunes espoirs sportifs une place de stage ou un contrat de durée indéterminée à temps partiel, avec des horaires flexibles. En contrepartie, elles peuvent faire figurer leur raison sociale, leur logo et leurs coordonnées sur le site web de Swiss Olympic. «Soutenir la relève est positif pour notre image de marque, confirme Christoph Wider. De plus, le fait de s’engager en faveur du sport de haut niveau peut renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise.»
Des places de formation adaptées aux besoins des sportifs
Une demi-dizaine de PME romandes participeraient actuellement à ce programme sport-études. «La relève suisse a besoin de places de formation adaptées pour pouvoir mener de front une formation professionnelle de base et un engagement dans le sport de performance», explique Fabio Gramegna, attaché de presse de Swiss Olympic. Cependant, un certain nombre de conditions doivent être remplies. Tout d’abord, il s’agit d’être capable de faire preuve de souplesse au niveau de l’organisation du travail. Dans certaines professions, les horaires de travail sont difficilement compatibles avec le plan de préparation physique du sportif; dans d’autres filières, la charge d’entraînement n’est pas conciliable avec les efforts imposés par l’activité professionnelle.
Concrètement, l’employeur doit être prêt à aménager les horaires de travail en fonction des nécessités de l’entraînement et du calendrier des compétitions, ce qui n’est pas forcément une mince affaire dans les entreprises qui connaissent le travail posté ou le travail de nuit, par exemple. Le travail en extérieur et les changements fréquents de lieu de travail sont également susceptibles de poser problème. Mais il arrive que les inconvénients présumés se muent en avantages. Ainsi, selon la discipline pratiquée, une occupation soumise à des variations saisonnières peut se révéler profitable du point de vue sportif… De même, certains métiers physiques complètent parfois utilement l’entraînement de base. Dans tous les cas, la recrue doit être titulaire d’une «carte de potentiel» de Swiss Olympic, réservée aux athlètes qui disposent des qualités nécessaires pour réussir une carrière dans le sport de haut niveau et sont systématiquement sélectionnés par leur fédération nationale.
Parmi les PME suisses romandes labellisées figure la fiduciaire genevoise Berney Associés, spécialisée dans le conseil d’entreprise et le conseil fiscal aux PME, l’audit et l’expertise comptable. «Comme nous sommes assez proches du Genève-Servette Hockey Club (GSHC) et que nous sommes connus pour notre engagement en faveur du sport en général, nous n’avons pas besoin de prospecter pour recevoir des candidatures», affirme Laurent Berney, associé.
«Nous avons expérimenté pour la première fois le programme sport-études de Swiss Olympic en 2015. Cela nous a montré que les technologies actuelles permettaient de travailler à distance de manière efficace. En fait, nous avons constaté que ce modèle d’organisation pouvait être étendu à d’autres fonctions, notamment à des postes à responsabilités. En fin de compte, ces expériences nous auront permis de promouvoir une flexibilité du travail pour l’ensemble des collaborateurs.» La dernière recrue est David Zeiter, défenseur au sein de la relève du GSHC.
A la recherche du bon équilibre
Depuis le mois de juillet, le récent champion suisse junior Elite A de hockey sur glace David Zeiter a rejoint la fiduciaire Berney Associés pour un stage professionnel d’une année. Ce stage lui permettra d’obtenir un certificat fédéral de capacité (CFC) et une maturité professionnelle commerciale. «Il est très important de choisir la bonne formation et d’aimer ce que l’on fait», se félicite David Zeiter, qui estime avoir trouvé un bon équilibre: «D’un côté, il y a les entraînements et les matchs, qui impliquent un investissement physique intense; de l’autre, le travail de bureau, qui nécessite davantage de réflexion.»
Le soutien de la famille, de l’organisation sportive et de l’entreprise viennent parfaire cette alchimie. Mais la flexibilité du travail reste primordiale et il s’agit pour le sportif de prévenir son employeur le plus tôt possible en cas d’absence imprévue, afin de permettre aux deux parties de s’organiser en conséquence.
Une motivation exemplaire
D’après Laurent Berney, les démarches ne sont pas très compliquées: «Il n’y a pas beaucoup de contraintes administratives. La nécessité pour l’entreprise de faire preuve de souplesse représente finalement le seul frein éventuel.» Il y a tout de même quelques inconvénients. Ainsi, comme le programme sportif de David Zeiter change de semaine en semaine, il s’avère difficile de planifier le travail très à l’avance. Il faut également tenir compte des lendemains de match, avec une baisse de rendement prévisible. La fatigue est un élément à ne pas sous-estimer, d’autant plus que Swiss Olympic impose un nombre minimum de dix heures d’entraînement hebdomadaire, sous la direction d’un entraîneur qualifié.
Chez Wifag Polytype, la star du sport se nomme Lars Huber. Ce défenseur du Hockey Club Fribourg-Gottéron effectue sa troisième année d’apprentissage en tant qu’automaticien. Donner sa chance à un athlète prometteur tel que lui est un moyen de véhiculer un message politique, estime Christoph Wider. En effet, l’entreprise a exploité pendant de longues années un grand centre de formation, avant de le céder en 2015 à l’association Frimeca, qui a pour but de réunir, dans le canton de Fribourg, toutes les professions actives de la branche technique industrielle. Depuis sa création au début années 1960, elle a ainsi formé plus de 1000 apprentis, dont de nombreux jeunes sportifs de haut niveau. Mais Lars Huber est le premier à disposer d’une «carte de potentiel» de Swiss Olympic.
«Nous ne sommes pas allés chercher ces jeunes, ce sont eux qui sont venus à nous, ajoute Christoph Wider. Lars Huber, typiquement, c’est seulement après l’avoir engagé que nous avons vu qu’il évoluait dans l’élite. Il a fallu faire toutes les démarches auprès de Swiss Olympic. Le HC Fribourg-Gottéron a œuvré en tant que courroie de transmission. C’est un peu comme un puzzle: il y a l’athlète, ses parents, son entourage, l’employeur, l’école professionnelle, le club formateur, la fédération nationale et Swiss Olympic.» Il s’agit de trouver des compromis, afin d’éviter d’entrer en concurrence dans la liste de priorités du jeune sportif.
Swiss Olympic parle d’un «champ de tensions» qui nécessite une excellente coordination entre toutes les parties prenantes. Pour l’employeur, cela implique des renoncements. «Nous devons libérer Lars Huber pour les entraînements du matin, et nous le laissons partir avant midi quand il va disputer un match à Davos le soir», précise Christoph Wider. Plus embêtant: le risque de blessure. L’année passée, le jeune hockeyeur a dû être opéré à la suite d’une déchirure des ligaments croisés du genou et a manqué le travail pendant deux mois.
Swiss Olympic conseille vivement aux entreprises de conclure un accord individuel avec le principal intéressé, en complément du contrat d’apprentissage, pour clarifier un certain nombre de points potentiellement critiques. Il s’agit essentiellement des absences régulières et irrégulières (entraînements), des absences ponctuelles (compétitions ou camps de préparation physique), des vacances et des activités de marketing liées au statut d’athlète de l’apprenant.