L’expérience client: voilà le nouveau concept qui est en train de chambouler le monde du marketing. Contrairement à la démarche publicitaire traditionnelle, qui cherche à rendre un produit désirable, l’expérience client consiste à se rapprocher encore plus des consommateurs en essayant de se mettre à leur place. Les définitions varient légèrement selon les auteurs, mais elles se recoupent. La première a été posée en 1998 par les conseillers en marketing B. Joseph Pine et James H. Gilmore. Ils postulent que les entreprises ne peuvent plus se limiter à proposer des produits ou des services; pour se démarquer de la concurrence, elles doivent offrir à leurs clients la possibilité de vivre une «expérience» qui «laissera une trace dans leur tête».
Si l’on remonte un peu plus loin dans l’histoire du marketing, on pourrait citer les recherches des professeurs de marketing Morris Holbrook et Elizabeth Hirschman. Au début des années 1980, les deux auteurs ont été les premiers à parler de «composante émotionnelle de la consommation». L’expérience client, customer experience en anglais, désigne ainsi le ressenti du consommateur tout au long du processus qui mène à l’achat – mais qui ne se termine pas par le paiement de la facture, puisque l’intéressé va ensuite parler de son expérience autour de lui et se transformer en quelque sorte en réclame vivante.
Presque une science
D’après certains sondages, un client satisfait témoignerait de son expérience à dix connaissances en moyenne, et le développement des réseaux sociaux amplifie encore l’impact de ce réflexe. Le challenge revient par conséquent à créer un moment unique, inoubliable pour le consommateur. Pour cela, il faut réussir à le toucher au niveau émotionnel, sensoriel, psychologique et, pour tout dire, de manière presque intime. Un pari difficile, car l’achat a changé de visage au cours du temps: s’il est devenu de plus en plus impulsif, il est à présent extrêmement labile. Les gens achètent davantage, mais ils changent globalement beaucoup plus souvent d’avis, car ils ont pris l’habitude de s’informer et de comparer les offres.
«Avez-vous remarqué que lorsque vous communiquez sur la qualité de vos produits et services, la croissance est plus difficile à atteindre que par le passé? C’est parce que les clients ont évolué. Non seulement ils font moins confiance aux slogans publicitaires et aux belles images, mais ils accordent davantage de crédit aux avis des autres consommateurs. Si vous ne réfléchissez pas en termes d’expérience client quand vous faites appel à une agence de communication, vous allez remplir un panier percé», affirme Stéphane Fellay, fondateur de l’agence spécialisée Experientiel, à Vaulruz, dans le canton de Fribourg. Et d’ajouter que selon une étude publiée en 2016 par l’agence Walker à Zurich, l’expérience client dépassera en 2020 le prix et le produit comme critère distinctif d’une marque.
Pour certains, c’est le nouveau graal de la performance marketing. Mais la publicité dans son acception traditionnelle n’est pas morte pour autant: au fond, le but a toujours été de satisfaire l’acheteur. Ce qui a changé, c’est qu’on s’intéresse davantage à la façon dont le client vit l’expérience de l’achat. C’est presque devenu une science. A partir de là, de nouvelles expressions sont entrées dans le vocabulaire courant, comme le marketing sensoriel, qui vise à titiller un ou plusieurs des cinq sens du consommateur pour rehausser ses sensations.
Si le marketing sensoriel ne date pas d’hier (la bonne odeur du pain encore chaud chez le boulanger n’en donne-t-elle pas un bel exemple?), les bases de ce nouveau paradigme ont été formalisées, conceptualisées, pour aboutir à une vision quasi holistique du marketing. Il s’agit en effet de satisfaire la clientèle à trois niveaux: la qualité, la conformité aux allégations publicitaires et, enfin, le plaisir. Il s’agit donc de provoquer un «enchantement» (ce terme revient souvent dans la bouche des experts). En ce sens, l’expérience client présente un aspect collaboratif puisque l’acheteur est susceptible de devenir, presque malgré lui, un ambassadeur de la marque.
Concrètement, quels sont les outils de l’expérience client? Difficile de répondre de manière univoque à cette question, car les spécialistes finissent naturellement par développer leur propre recette. Cependant, certains ingrédients sont incontournables. En premier lieu, il y a l’analyse du parcours client, soit le cheminement du consommateur jusqu’à l’acte d’achat. En l’occurrence, ce processus s’est globalement «allongé et complexifié», selon Stéphane Fellay. «Le développement digital a engendré une multiplication des points de contact et des canaux de vente.» La première étape de l’expérience client consiste donc à s’assurer que les prestations de l’entreprise sont facilement accessibles. Ce qui implique de faire la chasse aux grains de sable: interfaces peu commodes, formulaires de contact mal ficelés, lacunes des collaborateurs censés conseiller la clientèle, etc.
Une fois que le parcours client a été «cartographié» et les «irritants» supprimés (pour utiliser les expressions consacrées), il faut encore réfléchir à ce qui pourrait permettre de dépasser les attentes de la clientèle. «Or, à force de rogner toujours plus sur les prix pour gagner en compétitivité, les entreprises ont diminué la qualité de l’expérience client. Résultat, nous sommes les premières générations à manger moins bien que nos grands-parents et à porter des vêtements qui s’usent plus vite. Les entreprises qui réussiront à se distinguer sur les marchés à l’avenir sont celles qui sauront susciter un «ah, on s’occupe enfin de moi!» chez le consommateur», déclare Stéphane Fellay.
Personas et «mystery shoppers»
Autre ingrédient de base de l’expérience client: les «personas». Il s’agit de consommateurs fictifs, diversement «paramétrés» mais créés sur la base de données réelles pour être ensuite utilisés dans des ateliers pratiques, par exemple dans le cadre d’un développement de produit. «La création de personas vous permet de comprendre les habitudes et les motivations de vos clients, ainsi que les freins auxquels vous devez apporter des réponses adaptées», explique Fabien Arévalo, fondateur et directeur de l’agence Altamedia, spécialisée depuis seize ans dans l’expérience client. A ne pas confondre avec les clients mystères (mystery shoppers en anglais), qui font également partie de l’arsenal de l’expérience client. Il s’agit de personnes bien réelles que l’on paie pour tester la qualité d’un service via e-mail, téléphone ou visite sur place.
Cette méthode s’apparente ainsi à un audit masqué. Elle est en fait connue depuis longtemps et peut s’intégrer dans une étude de marché, qui permet de collecter et d’analyser des informations à portée commerciale au moyen de questionnaires de satisfaction. L’expérience client va toutefois beaucoup plus loin, en intégrant des outils digitaux (comme la géolocalisation des clients) pour perfectionner les produits et les services en les personnalisant.
Reste encore à définir ce que l’expérience client n’est pas. Tous les experts s’accordent pour dire que ce terme est galvaudé. Il est parfois utilisé, à tort, pour désigner des actions de marketing ostentatoires (par exemple, animations géantes et démonstrations de rue). Il lui arrive aussi d’être assimilé par erreur au service client. Enfin, si l’on en croit certains observateurs critiques, l’expérience client présenterait au moins une limite: il n’est pas facile de se mettre dans la tête du consommateur, la composante émotionnelle de l’achat étant par définition imprévisible. La même expérience ne laisse donc pas exactement le même souvenir à tous les consommateurs.
Conseils et formations pour PME
En Suisse romande, plusieurs agences de conseil et/ou de communication se sont spécialisées dans l’expérience client: Experientiel à Vaulruz, Altamedia et Telono à Genève, notamment. Elles proposent, outre des conseils, des ateliers pratiques pour les entreprises. Par ailleurs, la Haute Ecole de gestion de Genève a lancé l’année dernière un CAS (certificat de formation continue en cours d’emploi) en expérience client. Une formation certifiante unique en Suisse, selon le directeur du programme, Didier Gabin.
Développée en collaboration avec des entrepreneurs du secteur de la vente au détail, elle est «tout à fait adaptée aux PME et permet aux participants de mettre en place un projet interne avec le soutien des enseignants experts, ce qui leur garantit un retour sur investissement», indique-t-il.