Développer un nouveau produit, lancer une campagne de marketing ou mettre en place de nouveaux services à la clientèle, en principe, une entreprise qui démarre un projet délègue les différentes tâches prévues à ses employés. Mais il est désormais aussi possible de s’orienter vers une plateforme de crowdworking, où des travailleurs issus du monde entier proposent leurs services. Ce phénomène s’est développé à partir des années 2000. Il est lié à la «gig economy», dans laquelle il n’y a plus de contrats de travail entre entreprises et travailleurs. Ces derniers enchaînent les «gigs», c’est-à-dire des petits boulots à la tâche pour différents mandataires.

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Dans le cadre du crowdworking, une entreprise peut découper un projet en plusieurs tâches sur des sites comme Amazon Mechanical Turk ou Upwork, les leaders du marché. L’objectif: mettre en concurrence des milliers de travailleurs. Seuls ceux qui décrochent le mandat seront payés via la plateforme. Cette dernière encaisse jusqu’à 20% de commission sur la transaction. Les avantages pour une entreprise: l’accès à un grand nombre de professionnels disponibles immédiatement sans devoir les embaucher ni devoir passer par un prestataire «classique» qui, dans la plupart des cas, exige des tarifs plus élevés.

Deux dollars de l’heure

De nombreuses multinationales ont aujourd’hui recours à ce mode de travail. Récemment, le service de streaming américain Netflix en a bénéficié pour créer un algorithme afin d’améliorer le système de notation de ses vidéos. Le géant Microsoft fait régulièrement appel à des prestataires externes pour tester de nouveaux logiciels. «La complexité des tâches effectuées sur les plateformes de crowdworking varie énormément, explique Ivo Blohm, expert en économie d’internet à l’Université de Saint-Gall. On y trouve des tâches très répétitives rémunérées en centimes de francs, comme liker des publications d’une marque sur les réseaux sociaux. On retrouve aussi des tâches plus complexes, comme la création d’un logo ou le développement d’un logiciel.» Pour le travail demandant plus de qualifications, les rémunérations peuvent atteindre plusieurs milliers de francs.

Ainsi, Pauline, 30 ans, tire depuis cinq ans son revenu principal d’une activité de traduction obtenue via la plateforme Upwork. «Je suis techniquement mieux payée qu’un employé traditionnel mais, évidemment, sans avoir les avantages sociaux équivalents, explique la jeune femme, qui y a toutefois pleinement trouvé son compte. J’aime avoir la liberté d’organiser mon travail, pouvoir prendre rendez-vous chez le médecin quand cela m’arrange. Il est vrai que j’ai la chance d’avoir un contrat unique de 40 heures par semaine, renouvelé tous les six mois, ce qui n’est pas le genre de mandat le plus fréquemment proposé sur ce type de plateforme.»

De tels cas restent pour l’instant des exceptions. Une étude de l’Organisation internationale du travail montre que près de la moitié des «crowdworkers» aux Etats-Unis le sont pour avoir un supplément de revenus. Une autre étude a récemment révélé que le salaire horaire moyen sur la plateforme Amazon Mechanical Turk était de 2 dollars…

Quelle est l’ampleur du phénomène en Suisse? On estime que 32% de la population a déjà cherché à effectuer des tâches rémunérées sur une plateforme de crowdworking, et que 18% en a effectivement trouvé, selon un sondage effectué par Syndicom auprès de 2000 personnes. Un quart des personnes interrogées affirment que ces rémunérations constituent au moins la moitié de leur revenu mensuel. Toutefois, l’expert Ivo Blohm pense que les Suisses sont un peu défavorisés sur ces plateformes car ils se trouvent en concurrence avec des personnes vivant dans des pays avec un niveau de salaire beaucoup plus bas. «A l’exception des missions à haute valeur ajoutée, ce n’est guère intéressant sur la durée.»

Avantageux pour une PME?

Lancée en 2013, la plateforme zurichoise Mila fait partie des précurseurs du crowdworking en Suisse. Elle propose des services techniques pour des appareils électroniques. Lorsqu’ils sont confrontés à un problème technique (par exemple avec une box internet), ses usagers peuvent trouver un spécialiste sur le site web de Mila. Ces spécialistes sont soit des particuliers – étudiants ou individus travaillant en tant qu’indépendants – pour des interventions simples, soit des structures professionnelles dans le cadre de problèmes plus complexes. Avec ces dernières, la société zurichoise a conclu des contrats et engrange une partie du chiffre d’affaires. Quant aux particuliers, Mila perçoit 20% de commission sur chaque prestation, facturée environ 100 francs par heure au client final.

«Un particulier peut gagner entre 100 et quelques milliers de francs par mois. Les PME, quant à elles, peuvent gagner jusqu’à 10 000 francs par mois», affirme Chris Viatte, CEO de Mila. La plateforme recense actuellement plus de 3000 particuliers et plus de 1000 entreprises en Suisse. De plus, Mila possède des partenariats avec une quinzaine de grandes sociétés actives dans le domaine électronique, comme Swisscom (qui détient une participation majoritaire de Mila), Interdiscount ou Bosch. Au lieu d’envoyer leurs propres techniciens, elles confient la gestion des interventions techniques à la plateforme.

Le crowdworking est pris au sérieux auprès des PME romandes actives dans l’informatique. Le sujet fait l’objet d’une commission de réflexion, lancée en octobre dernier par le Groupement romand de l’informatique. Quant aux bénéfices pour les PME, Albin Baptista, président du groupement et directeur de l’entreprise Micro Informatic Systems, se montre prudent. Selon lui, les tarifs négociés sur les plateformes de crowdworking sont trop bas pour dégager un modèle viable pour une entreprise. «Une présence sur une plateforme de crowdworking peut toutefois augmenter la visibilité d’une PME. Un mandat décroché par ce biais peut se transformer en collaboration de longue durée avec une entreprise.»