Décrocher un contrat au détour d’un couloir ou convaincre une assemblée d’investisseurs lors d’une présentation minutée: autant de situations où il faut savoir aller à l’essentiel à l’aide d’un sales pitch. L’expression anglaise désigne les solutions utiles pour diriger la discussion en vue de conclure une transaction, sans rien laisser au hasard. Trois, deux, un… Pitchez!
1. Messages simples, idées concrètes
Les meilleurs pitchs sont souvent les plus simples. Se focaliser sur une ou deux idées concrètes reste essentiel pour véhiculer son message. «L’entrepreneur est passionné, et cette ardeur le pousse souvent à partager trop d’informations, ce que son auditeur ne peut pas toujours enregistrer», constate Serge Piguet, responsable de formation chez Genilem et design thinker. Le cofondateur de la start-up zurichoise Selma Finance, Patrik Schär, gagnant du concours de pitch au Geneva WealthTech Forum 2019, ajoute: «L’approche que nous utilisons est structurée et simple: quand nous devons vendre nos services, nous synthétisons d’abord le problème de notre interlocuteur. Ensuite, nous lui montrons notre manière de le résoudre en quelques points. Largement éprouvée, cette méthode nous a permis de nouer des relations stables avec nos clients, et aussi de remporter le concours!»
2. Prendre soin de soi
Toute élocution, toute persuasion passent par la voix. Les chances de succès sont accrues lorsqu’elle est cristalline. «Boire un thé chaud ou respirer avec le ventre sont des moyens de se sentir davantage en phase avec son corps et d’avoir une voix claire, explique Paul Michel, avocat de l’antenne genevoise du cabinet Eversheds Sutherland. Le ton doit aussi être élevé, pour être clairement entendu, surtout dans un tribunal.»
Le jeune homme sait de quoi il parle: vainqueur du Concours d’art oratoire Michel Nançoz en 2018, il participe par ailleurs à des ateliers dédiés à enseigner l’art rhétorique. Son constat est partagé par Alisée de Tonnac, CEO et cofondatrice de Seedstars World, une société qui encourage et finance des start-up issues de pays émergents: «Etant une personne de nature angoissée, faire des pompes, sauter, faire monter l’adrénaline sont autant de solutions qui m’aident à rester concentrée. Je pratique également le yoga et la méditation, qui sont efficaces pour la gestion du stress.»
3. Se mettre dans le bon état d’esprit
Il peut arriver que la tension prenne le dessus. Les pensées deviennent confuses et le cerveau perd le contrôle. Il faut alors se reconcentrer sur sa mission. «Le stress peut nous amener à réagir de manière trop forte – agressivité ou totale passivité, remarque Serge Piguet. L’enjeu est de le gérer pour rester dans une écoute active et savoir quand répondre ou simplement encaisser le coup.»
4. Engager le dialogue, stimuler l’empathie
Détendre l’atmosphère permet d’augmenter le succès d’une interaction, car cela amorce la discussion et crée de l’empathie entre les parties. «Un mandat de production télévisée d’environ 180 000 francs par an était en jeu, et comme je le fais souvent, j’ai démarré ma présentation en adoptant une attitude légèrement décalée par rapport à la situation, se souvient Nicolas Blanchet, responsable de production télé. En démarrant ma présentation, j’ai annoncé: «Au vu de la solennité de ce moment pour nous tous, je vous propose de commencer par une minute de silence.» Tout le monde a explosé de rire! Cela a permis de briser la glace et d’entamer une discussion décontractée sur l’intérêt du projet, me permettant de faire valoir mon professionnalisme plus aisément.»
5. Réfléchir à son storytelling
Cet aspect est peut-être le plus lié à l’art rhétorique. «Il faut d’abord soigner le fond et seulement ensuite la forme, insiste l’avocat Paul Michel. Pour cela, il faut connaître le dossier par cœur: il n’y a pas de place pour l’approximation.» En ce qui concerne la forme, il faut limiter l’utilisation de supports visuels au strict minimum, et respecter les temps d’attention de l’audience: «Je recommande de ne pas utiliser plus d’une ou deux images par tranche de cinq minutes.» Mais un côté personnel peut parfois se révéler décisif: «En tant qu’investisseur, surtout pour des start-up en phase d’amorçage, j’évalue avec attention l’histoire personnelle racontée par l’entrepreneur, ajoute Alisée de Tonnac, la directrice de Seedstars World. La technologie n’étant pas encore développée, c’est surtout grâce à cela que je peux être convaincue d’une potentielle réussite.»
6. Anticiper les objections, adapter son message
Prendre le temps d’analyser les points faibles de son projet et prévoir des réponses aux questions qui pourraient être déstabilisantes sont indispensables pour réussir son pitch. «Beaucoup de gens sous-estiment le temps qu’il faut pour préparer une bonne présentation, remarque Serge Piguet, responsable de formation chez Genilem. Ce n’est pas juste sur la présentation visuelle qu’il faut travailler, mais également sur les questions-réponses qui suivent. Il est également fondamental d’observer attentivement les signaux de son interlocuteur tout au long de la discussion. Etre un bon orateur, c’est savoir bien écouter son audience.»
7. Soigner son accroche et sa chute
«Répéter son discours souvent et à haute voix, et idéalement le soir car c’est là que le cerveau est le plus réceptif, est une étape clé pour consolider son élocution», explique Paul Michel. Afin de se souvenir des passages les plus importants, il est fondamental de soigner avec une attention particulière le début et la fin du discours, ou des parties du discours.» Ce sont d’ailleurs ces moments qui resteront probablement le plus ancrés dans les souvenirs des auditeurs.
8. Connaître son marché
«Il m’est arrivé de discuter avec des start-up qui avaient rencontré des clients potentiels sans connaître le marché dans lequel ils évoluaient: quelle taille, quel chiffre d’affaires global, quels prix pratiqués par les concurrents, raconte Serge Piguet. Ne pas connaître les informations de son écosystème équivaut à un échec quasi sûr.» Une maîtrise technique qu’Alisée de Tonnac trouve aussi fondamentale: «L’adage If you can’t measure it, you can’t manage it est très parlant. Des réalisations concrètes et mesurables se communiquent et convainquent mieux que de simples mots.»
9. Allier l’émotion avec l’intellect
«Lorsque l’on recherche des fonds, les messages trop optimistes sont à proscrire, car ils peuvent susciter de la méfiance, explique Serge Piguet. C’est l’équilibre entre l’enthousiasme dans la vision et le pragmatisme du quotidien qu’il faut trouver.» Du côté de ceux qui doivent évaluer la qualité d’un argumentaire, pas de doutes: «Un bon orateur doit savoir ravir ses auditeurs, les transporter dans un ailleurs, les extraire d’une pensée, d’une conviction, relève Yaël Hayat, avocate à Genève et présidente du Concours Michel Nançoz. C’est ce que l’avocat Paul Michel a réalisé lors de sa plaidoirie au concours dont il fut premier lauréat en 2018. Lors de sa défense au soutien des malheureux homards ébouillantés, il a invoqué les textes fondamentaux et même philosophiques, allant jusqu’à insuffler une âme, une dignité aux crustacés. Il a su mélanger différents registres, parfois légers mais aussi profonds, il a su persuader par le cœur mais aussi convaincre par l’esprit. Cela représente, pour moi, une éloquence consacrée non comme un artifice, mais comme un couronnement.»
10. Perfectionner la diction
La manière dont on dit les choses peut avoir un impact très important. «Exagérer la diction, c’est quelque chose qui peut vraiment faire la différence, car cela permet de mieux transmettre les messages, dit Paul Michel. Le silence est aussi un élément à utiliser sciemment: il contribue à faire naître une ambiance. Un sculpteur a le marbre comme matière inerte à travailler, le rhéteur a le silence d’un lieu. Son but est justement de le manier avec les émotions qui, par vagues, façonneront les décisions.»